P. Aldo Giannasi

Pères Blancs - Beni Brahim

B.P. 47  Ouargla

Algérie

 

Ouargla le 08/03/2016 

 

Photo : Une vue de la partie la plus ancienne de Ouargla, la kasbah.

Sur le fond, la grande palmeraie

 

Chers Amis, chères Amies.

Je vous reviens à l’occasion de Pâques, de Ouargla, l’oasis du Sahara algérien, où je suis arrivé en novembre dernier. En cette lettre je désire répondre aussi à des questions que m’ont posées des amis. Je je dirai quelque chose sur l’Algérie, puis sur l’oasis, pour terminer avec une réflexion sur la rencontre avec les musulmans.

Algérie, nouvelle donne

Quand je suis arrivé en 2012, j’ai trouvé une Algérie relativement prospère, avec une économie sans gros problèmes. Les puits de pétrole du Sahara garantissaient des recettes financières considérables qui permettaient au Gouvernement de faire tourner la machine administrative et subventionner les produits de première nécessité, comme la farine, le pain, l’essence… La chute du prix du pétrole a mis l’Algérie au pied du mur, du fait aussi que pendant des décennies on n’a pas fait grand-chose pour faire émerger une industrie et une agriculture modernes. Les exportations se sont limitées presque uniquement aux hydrocarbures (97% du total), alors que les importations ont augmenté à un rythme exponentiel. Les premières mesures d’austérité sont déjà en acte, d’autres suivront. Ceci arrive au moment où le pays doit faire face à la menace terroriste surtout sur les longues frontières désertiques jouxtant la Lybie et le Mali, où les infiltrations des « djiadistes » sont plus difficiles à contrôler.

Pour la protection de la femme

 

 Au mois de mars de 2015, l’Assemblée Nationale Algérienne a approuvé une loi pour protéger la femme des violences, aussi bien à la maison qu’en dehors. Par rapport aux dispositions qui l’ont précédée, cette loi contient une nouveauté, puisqu’elle punit sévèrement non seulement les voies de fait sur les femmes, m ais poursuit aussi les insultes verbales et les offenses sur la voie publique, ainsi que le harcèlement sur les lieux de travail. Les islamoconservateurs se sont opposés à ce projet, l’accusant d’avoir été importé de l’étranger et de constituer un danger qui pourrait disloquer la famille. Leurs critiques ont retardé son approbation par le Sénat. Mais le Ministre de la Justice a travaillé bec et ongles pour faire réexaminer ce texte qui a fini par être approuvé. Son application demandera du temps, du fait aussi que le code de la famille n’a pas été modifié pour autant, mais le texte de loi est là et peut être invoqué. L’Algérie peut donc recevoir la tête haute la conférence africaine qui se déroule le 7 et le 8 Mars. Elle groupe les chefs de police de beaucoup de pays ainsi que d’éminentes personnalités de l’ONU, y compris Ban Ki-Moon. Le but de la conférence est d’étudier une stratégie commune pour diminuer drastiquement les violences faites aux femmes et de mettre fin à l’impunité.

 

 

 

L’oasis de Ouargla.

 

Les dunes de Ouargla, à perte de vue

 

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire que Ouargla, où j’habite, s’est transformée rapidement en une ville de plus de 200.000 habitants, après la découverte du pétrole. Jusqu‘aux années ‘70, elle pouvait compter entre 10 et 15.000 habitants. Elle reste tout de même une oasis. Elle est presque entourée par une forêt de palmiers (au-delà d’un million de pieds), cultivés avec soin, elle a des puits presque inépuisables à une profondeur limitée, grâce auxquels les habitants cultivent aussi des légumes et des fruits. Et tout autour elle a le désert. Il suffit de sortir de la ville et on se trouve au milieu des dunes de sable, sur lesquelles joue le vent, façonnant toujours de nouvelles formes et les déplaçant même parfois. Il ne pleut que très rarement, mais ne manquent pas les tempêtes de sable qui obscurcissent le soleil et introduisent des grains de sable très fin, presque impalpable, partout. Si une femme court pour ramasser son linge, ce n’est pas à cause de la pluie, mais à cause du sable. Et on se rend compte de la largeur de l’espace désertique, quand on a une panne de voiture. Une fois, je me suis retrouvé bloqué  à 70 km. de l’oasis la plus proche. Heureusement j’ai pu compter sur le bon cœur d’un « samaritain » algérien qui m’est venu en aide.

« Petit troupeau »                                                   

On me dit parfois : combien de chrétiens y a-t-il à Ouargla? Une vingtaine, pas plus pour le moment. Mais alors trois prêtres, comment peuvent-ils s’occuper ? Je réponds : notre regard n’est pas seulement tourné vers eux, mais vers tous ceux qui vivent autour de nous et ils sont nombreux. Avec ce petit groupe de fidèles nous nous réunissons chaque samedi soir (le dimanche n’est pas chaumé en Algérie), dans la chapelle de notre maison, nous célébrons l’Eucharistie et nous nous arrêtons pour un petit moment convivial.  Nous décidons ensemble comment coopérer

 

 Les 3 sœurs du Burkina et l’Évêque du diocèse

 pour de petites initiatives au service des immigrés qui sont arrivés à Ouargla après avoir traversé le désert.

Depuis cette année, une communauté de sœurs du Burkina Faso est présente dans la paroisse. Actuellement elles sont aux prises avec l’étude de la langue arabe, mais progressivement elles prendront le large.  Beaucoup d’habitants de la Kasbah, attendent leur entrée en action, surtout ceux qui ont connu la présence active des Sœurs Blanches du passé.

 

 

Le Centre Culturel

Un angle de la bibliothèque. Les PP. Aldo (à gauche), Patient du Congo et le stagiaire François du Mali

 

 

Les Pères Blancs sont présents à Ouargla depuis 1875. Notre maison est à l’intérieur du vieux bourg de l’oasis, la kasbah. L’entente cordiale ave les habitants plonge donc ses racines très loin. Depuis un siècle, les Pères Blancs ont donné vie à une bibliothèque, ouverte au public.  Parmi les livres, une section importante est consacrée à l’histoire, à la langue et aux us et coutumes de l’oasis. Cette section s’est enrichie au fil des années et aujourd’hui elle est de fait la plus riche pour l’histoire et la culture de Ouargla. Des professeurs et des étudiants de l’Université y viennent pour leurs recherches. C’est la fleur à la boutonnière de notre Centre Culturel qui, outre à la bibliothèque, se rend disponible pour le soutien linguistique (français et anglais) aux élèves et aux étudiants. Ainsi, notre maison, petite quant à ses dimensions, cachée presque au milieu des maisons de la kasbah, se trouve à être un centre vivant, fréquenté et apprécié par le public, inséré dans la vie de l’oasis.

La rencontre avec les musulmans

Au risque de sembler trop long, je voudrais toucher encore le problème des relations avec les musulmans parce que parfois des amis m’expriment leur perplexité sur mon attitude, jugée trop favorable et pas suffisamment réaliste face au monde musulman.

Je réponds en affirmant que je suis conscient de la diffusion qu’a atteint le radicalisme islamique dans le vaste panorama de l’islam mondial, non seulement dans les pays où les « djiadistes » alimentent les guerres ou le terrorisme, mais aussi au niveau de la base là où l’enfant ou le jeune reçoivent la formation pour la vie, dans l’école. Un savant algérien, Said Djabelkhir, spécialiste de la mouvance « soufie » en islam, a fait une recherche dans trois manuels scolaires d’éducation religieuse en usage en Algérie. Les constatations qu’il a faites sont alarmantes. Il souligne que les leçons contiennent un discours qui,  même s’il ne pousse pas directement à la haine,  provoque le mépris radical du jeune envers la différence, c.à d. le non-musulman. On bâtit ainsi une pente qui porte facilement à l’extrémisme et à la violence.

On ne peut pas nier ces faits, mais il est nécessaire d’élargir son regard au-delà. Il y a des musulmans qui réagissent courageusement aux islamistes. Un magistrat d’Oran ici en Algérie a imposé une peine exemplaire à un prédicateur fanatique, Hamdelfattah Amadache, qui a appelé publiquement au meurtre d’un écrivain, parce qu’il aurait écrit des paroles irrespectueuses envers l’islam. Suite à ce fait un groupe d’intellectuels a fondé une association pour dépister et dénoncer ceux qui fomentent la haine et la violence par leur propos. Le Ministre des Cultes, Mohammed Aissa, pour sa part,  ne cesse de réagir au radicalisme et prône un islam tolérant et pacifique. Malgré toute la propagande des extrémistes, la majorité des musulmans reste ancrée sur des positions modérées. Et il reste vrai que la rencontre, vécue dans le respect et la sincérité, aide à faire disparaitre les préjugés réciproques et à construire la compréhension, la sympathie et la collaboration. J’en suis témoin.

Des initiatives d’avenir

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


La rencontre avec les musulmans n’en est pas à ses premiers pas. Les medias nous montrent presque uniquement les aspects négatifs de l’actualité, ce qui frappe les gens. Du bien on en parle peu. Il est vrai le proverbe : un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui croit. Mais le bien est là et va de l’avant. A la fin de l’année 2015, j’ai trouvé  sur un site d’information sur l’islam une liste de tout ce qui a été fait pendant l’année pour faire avancer la rencontre et le dialogue avec les musulmans, aussi bien sur le plan religieux que culturel. C’est une liste beaucoup trop longue pour que je puisse la reproduire dans cette lettre. Je me limite à quelques exemples et avec un style télégraphique. La Nativité du Christ et l’anniversaire de la Naissance de Mohammed cette année sont tombés le même jour, une coïncidence qui arrive tous les 33 ans. Divers groupes ont jugé cet évènement comme un signe de paix et se sont réunis pour réaffirmer l’estime réciproque pour les deux religions dans l’amitié. Chez nous aussi, une petite délégation de femmes est venue pour nous offrir les vœux. Pour l’occasion, elles ont amené avec elles un championne olympique. Une chanteuse russe, Juliana, a choisi la musique pour faire passer une message de paix et a parcouru l’Europe avec un groupe de « rappeurs »  en chantant : « Shalom, Salam, Ave Maria, arrêtez les armes ». Cette initiative me fait penser au concert du 5 juillet 2015, fête nationale de l’Algérie, à Notre-Dame d’Afrique à Alger. Un orchestre algérien joua de la musique soufie. C’était le mois du Ramadhan et le concert commença tard dans la nuit, mais la Basilique était pleine. Avant le début du spectacle, j’ai lu un message que le Vatican, comme il fait chaque année, avait envoyé à tous les musulmans du monde pour le mois du jeune. Il fut accueilli d’un applaudissement formidable et le lendemain il eut droit à un écho dans un journal. Je cite encore parmi les initiatives, le lancement d’une campagne au Liban « contre l’utilisation de la religion dans la politique et les guerres ». Les initiateurs étaient deux profs d’université, un musulman et un chrétien. Au mois d’août, les juifs et les musulmans belges décident de « recréer des liens entre les deux communautés ». Et je pourrais continuer.

Pâques, le Cénacle

Noel est une fête populaire aussi en islam, au moins dans certains pays, Pâques, non. Le Coran refuse la perspective d’un Messie qui meurt sur la croix. C’est un des écueils majeurs entre les deux fois. Pour nous, Pâques nous rappelle aussi le Cénacle. J’aime beaucoup y penser, d’abord à cause du tablier que Jésus revêt pour laver les pieds de ses disciples. C’est le signe de l’importance et de la dignité du service aux frères. Et c’est toujours au Cénacle, où le Christ Ressuscité se manifeste, que les disciples demeurent en prière, avec Marie, sa Mère, dans l’attente du don de l’Esprit. C’est cet Esprit du Christ qui nous fera trouver la fraternité !   Joyeuses Pâques à toutes et à tous dans l’année du Jubilé de la Miséricorde.

Affectueusement,   P. Aldo