La vie en communauté, c’est important Il fait froid en Afrique ! Durant mon premier mois à Kampala, en Uganda, j’ai dû d’abord m’adapter au climat. J'étais toujours étonné de voir les chrétiens venir à la messe du matin habillés avec des vêtements légers. Je paraissais probablement aussi étrange, parce que j'étais toujours vêtu d’un pull ou d’un manteau. Parfois je ne savais pas vraiment quoi faire. Sans pull, je sentais le froid et avec un pull, c’était un peu chaud. Quant à la nourriture, ce n'était pas mauvais. Quand j'ai vu pour la première fois un plat de Matooke (nourriture de bananes), j'étais très heureux et j’ai pensé que c’était doux (comme le foutou ou le foufou de banane en Afrique occidentale). Quelle déception ce jour-là ! J'ai lutté au début, mais plus tard, je me suis habitué à cette nourriture et l’ai aimée (quand on ne la servait pas chaque jour au petit déjeuner et au dîner naturellement !). J’ai pratiqué le luganda et appris ses aspects culturels dans un village appelé Kikiyusa où je vivais avec le clergé local. Ce fut pour moi un moment de réelle inculturation, côtoyant des personnes vivant leur vie quotidienne dans leur environnement culturel. Les premières semaines, j’étais désorienté et peu sûr de moi-même : je me sentais coupé de mon pays natal, de ma ville, famille, parents, amis, culture... dans un pays qui m’était inconnu. Parfois je sentais les larmes monter en moi. J’ai dû admettre et accepter la réalité douloureuse que ma culture n'est pas la plus riche au monde et que chaque culture a ses propres qualités et faiblesses. On peut tirer bénéfice des valeurs d'une culture seulement si on accepte de faire face à ses faiblesses. Du rêve à la réalité Au premier cycle et au noviciat, j’en étais venu à comprendre que la communauté est un endroit où nous apprenons à accepter les autres dans leurs différences, avec leurs qualités et leurs limites. La communauté doit se construire : elle est un idéal et non pas quelque chose de déjà fait. Elle se construit avec la prière, la charité, la responsabilité, la confiance et l'amour. J’avais appris qu’évangéliser suppose vivre ensemble les valeurs du Royaume, avant de les proclamer à d'autres. Après mon cours de langue à Kikyusa, j’ai été envoyé dans une communauté qui vivait une période d’instabilité. Le curé venait d’apprendre qu'il n'était plus le curé et qu’il devait juste attendre la nomination officielle du nouveau. Un vicaire qui était fatigué de la routine de la paroisse et qui mettait son espoir dans le nouveau curé; et un nouveau curé pas encore nommé officiellement qui attendait sa nomination pour réaliser ses rêves. Il n’y avait pas vraiment de travail en équipe et c’était difficile pour moi, stagiaire, de trouver ma place dans tout cela. Mon expérience dans cette communauté, bien que difficile, a fait surgir en moi une grande conscience de ce que doivent être les fondations d'une communauté qui se veut témoin du Royaume, de l'Amour (présence de Dieu) déjà là et pas encore, et en même temps signe de ce Royaume pour le monde qui l’entoure. Recommencer à zéro Après un an, j’ai été nommé dans un centre pour les jeunes à Kampala. Mes débuts dans ce centre ont été difficiles : je n’étais pas préparé à ce travail et aucune consigne précise ne m’a été donnée à mon arrivée. Pour la majeure partie de la jeunesse qui fréquentait le centre, mon arrivée était l’occasion propice de venir demander de l’aide : ils me voyaient jeune comme eux, noir (je les comprendrait mieux), et comme j’étais nouveau, je ne connaissais pas beaucoup leur situation. J'ai eu des douzaines de jeunes qui, chaque jour, venaient demander de l'argent pour toutes sortes de raisons. J'ai noté qu'il est plus facile de dire oui que de dire non à une demande d’aide financière. Dire non à dix ou à douze personnes par jour, cela demande beaucoup d'énergie. Je terminais certaines journées avec des maux de tête ou d’estomac ! Un mois après mon arrivée dans ce centre, deux jours après que l'ancien directeur fut parti, le nouveau directeur partait à son tour en congé. Nous sommes restés à deux pendant deux mois. J’ai connu une communauté entière seulement 4 mois après mon arrivée, après le retour de congé du directeur et l’arrivée d’un nouveau membre. Vivre ensemble suppose… Prier ensemble. Le matin, nous avons la méditation, bréviaire et Eucharistie ensemble. En soirée, nous prions encore le bréviaire ensemble comme dans beaucoup de communautés. Il est très difficile d’être tous présents à la prière du soir, parce que c'est la période la plus occupée du centre où beaucoup voudraient nous parler et nous rencontrer. Prier avec mes confrères était pour moi un élément très important : prier ensemble nous fait prendre conscience de l'essentiel dans notre mission : rester unis en Celui qui est au centre de nos vies. C'était également une manière pour nous de montrer de qui nous tirons notre force, notre consolation, nos joies, et également la source de notre fraternité. Notre prière individuelle était aussi un signe, pour beaucoup de jeunes, de l’importance de la prière dans la vie de chaque personne. Par-dessus tout cela, notre communauté était fidèle à la récollection mensuelle que nous faisions assez souvent avec la communauté du centre de vocations. La récollection mensuelle doit être un moment fort d'intimité où, par l'honnêteté et la franchise de chaque membre devant les autres et devant celui qui les unit, la communauté peut grandir. Se joindre à d’autres, comme nous le faisions assez souvent, risque de limiter la spontanéité des membres dans leur partage. Mais d’autre part, la communauté qui a de temps en temps une récollection avec d’autres s’ouvre aux réalités et aux défis d'autres groupes de personnes qui cherchent, elles aussi, à être des témoins authentiques de la Bonne Nouvelle du Royaume. Partager ensemble. Bien que nous ayons peu de temps pour nous-mêmes en tant que communauté, nous partagions ensemble nos expériences, nos joies et nos peines, principalement pendant les repas et également le soir après 9 heures, quand nous nous retrouvions pour un genre de récréation. Ces soirées ont été un temps très important de détente pour moi, mais également une occasion de me renseigner sur l'histoire du pays (la politique, sciences économiques, religions, société...), particulièrement auprès des confrères plus anciens qui vivaient dans le pays depuis vingt à quarante ans. Notre communauté du Centre de la Jeunesse était l’une des plus jeunes, non pas en raison de l’âge des confrères, mais en raison de l'âge de la communauté elle-même : elle était âgée de moins d'un an et des quatre confrères qui la formaient, trois étaient nouveaux, étant arrivés plus ou moins en même temps, moi y compris. Nous avons eu à construire notre vie ensemble. Nous sommes passés, petit à petit et avec peine, selon les faiblesses de chacun de nous, de l’incompréhension à la compréhension, du découragement à l'encouragement, de la bouderie au dialogue, des individus à la communauté. Former une vraie communauté, cela prend beaucoup de temps, dépendant également de la personnalité de chacun. Témoigner ensemble. Par nos temps de prière et de partage, nous avons été témoins de l'amour du Christ pour nous et pour les personnes qui nous entouraient. Quand nous venions tous ensemble à la messe, particulièrement la messe du vendredi soir, au moment où les gens se joignent à nous, la plupart sont très impressionnés et franchement inspirés par notre mission, reçue en tant que groupe (la communauté), par notre unité comme Missionnaires d'Afrique, et par notre ouverture aux gens. C'est un signe du Royaume, un signe d'espoir et d’amour pour ceux qui nous regardent, et pour moi, une force. Je retiens de mon expérience que vivre en communauté est toujours un appel à l'amélioration. Nous devons devenir toujours plus responsables de la croissance de l'un et de l'autre (sociale, spirituelle, missionnaire, etc.) et rechercher toujours davantage à perfectionner la communication, le dialogue et l'unité entre nous. Missionnaire ou représentant d’une ONG ? Un des expériences douloureuses que j’ai vécue au centre de Kampala, a été que la jeunesse a cru que le centre avait beaucoup d’argent à distribuer, et que j’avais le pouvoir d'aider ou de ne pas aider. Beaucoup de jeunes viennent pour demander de l'aide. Si vous aidez, vous devenez un de leurs « bons amis » et ils vous féliciteront, et vous vous sentirez plus près d'eux. Mais si vous refusez, à leurs yeux c’est simplement parce que vous ne voulez pas les aider. Vous devenez un genre d'ennemi et ils prennent de la distance avec vous, vous ne vous sentez pas près d'eux, vous avez le sentiment que vous « n’accomplissez pas entièrement votre mission ». Comment vivre en amitié avec les personnes à qui je suis envoyé et en même temps remplir de façon consciencieuse mes responsabilités envers le projet du centre ? Ne pas toujours écouter mes sentiments était pour moi un grand défi. Pour avoir vécu ces situations, je me rends maintenant compte du danger d’écouter seulement ses sentiments. Victime d’une réalité de la Société Cette étape de ma vie m'a aidé à me rendre compte davantage de l'importance d'une communauté dans notre projet apostolique. La mission est assignée d'abord à une communauté. Un soutien et un discernement de la communauté sont nécessaires pour l'accomplissement de notre vocation missionnaire. Habituellement, je suis plus à l'aise dans une structure bien organisée. C'est une faiblesse et une qualité. Ces deux années de vie communautaire m'ont amené à plus de franchise et de créativité. Je me suis rendu compte de mes capacités et de mes limites. Je peux qualifier mon stage de situation malheureuse et heureuse. Malheureuse en raison de la situation elle-même : changer de communauté en cours de route. Mais une expérience fructueuse en raison de mon vécu avec l'aide de mon accompagnateur spirituel et des différents confrères. En fait, je me considère chanceux d’avoir eu l’occasion, pendant ma formation, d'être une victime de la réalité de la Société : le manque de personnel. Cela me permet d’avoir un aperçu de mon futur engagement comme Missionnaire d’Afrique. Je n’aurais pas envie de vivre la même expérience, et ne la souhaite pas à un autre stagiaire, mais je suis quand même très heureux de l'avoir vécue. La manière dont j'ai vécu mon stage a été pour moi une expression de mon amour sans condition pour le Christ et pour les hommes, un amour qui ne meure pas en raison des défis (quand les choses tournent mal), mais qui les surmonte et tire sa force d'eux, un amour en réponse à Dieu qui m’appelle à tout laisser pour le suivre. YAMEOGO Pataghsenyelma Sylvain Sylvain termine ses études à Londres. Il sera ordonné prêtre en juillet 2007. |