TÉMOIGNAGE DE TIMOTHÉE BATIONO Le Mozambique, un pays que je n’ai pas choisi Situons un peu la vie environnementale de mon expérience pastorale. Depuis août 1998, je suis au Mozambique, pays situé dans le sud-est de l’Afrique. C’est un vaste pays qui est délimité par l’Afrique du Sud, le Swaziland, le Zimbabwe, la Zambie, la Tanzanie, le Malawi et l’Océan Indien. Cette année, le pays a connu de grandes calamités sans précèdent. Les victimes se comptent par centaines de morts et les sans abris par millions. A l’heure où j’écris, des villages entiers se trouvent encore sous les eaux, les sauveteurs n’ont pas de repos. Le Mozambique n’a pas été mon choix et j’ai reçu mon affectation comme une grande surprise. Pour moi, il y avait bien des raisons pour un tel sentiment : l’apprentissage de la langue portugaise et de la langue locale, ce que je voyais déjà comme une tâche assez difficile, et puis l’image que j’avais du pays n’était pas encourageante, étant donné que ce dernier m’avait été présenté par l’opinion internationale comme un pays où les mines anti-personnelles se rencontraient à tout bout de chemin. J’avais une image bien négative du pays. C’est ainsi que le 13 août 1998, je débarquais à Beira pour la première fois de ma vie, sans la moindre connaissance de la langue portugaise. Ma chance fut qu’un confrère était là présent pour m’accueillir. Je fus conduit au Centre des catéchistes de Nazaré que dirige une équipe des Missionnaires d’Afrique. C’est au centre de Nazaré que j’ai appris la langue portugaise avec un professeur particulier. Dans la même semaine de mon arrivée, je me suis présenté pour commencer le cours. Après 3 mois, je me débrouillais pas mal sur le plan grammatical ! Je suis ensuite allé dans la communauté de Chimoio qui paraissait être le lieu adéquat pour améliorer mon parler. C’est à Chimoio que j’ai obtenu mon permis de conduire. Après quoi, j’ai fait mes valises pour aller à Murraça dans la communauté où j’étais censé faire mon expérience pastorale. Après avoir passé une semaine dans la forêt : une semaine due à la pluie et au mauvais état de la route. Ce fut une expérience inédite dans cette forêt. En effet, j’ai compris l’angoisse et le désarroi des réfugiés dans leurs voyages interminables, ne sachant pas ce qui les attendait à la fin de leur journée. De là m’est née l’idée de les porter dans ma prière. Le positif que je tire d’une telle expérience est un appel à la prière pour ceux qui souffrent, particulièrement les déplacés. A Murraça m’attendait une communauté de trois prêtres et un jeune brésilien qui faisait une expérience en Afrique. En arrivant dans la communauté, après plusieurs tentatives pour me trouver un facilitateur pour la langue locale, un Père m’a accompagné dans le dur apprentissage de la grammaire du Chisena. Cette langue étant une langue bantu, et moi venant de l’Afrique occidentale, je dois avouer que le début ne fut pas facile. Mais la volonté et le courage de communiquer ont rendu la tâche bien abordable. Bref, en mai 99, je partais pour ma première célébration de La Parole. Les chrétiens m’ont beaucoup soutenu et encouragé. Je peux dire que tout cela a porté son fruit puisque, aujourd’hui, je n’ai pas besoin d’écrire toute mon homélie. A propos de l’environnement, j’ai été choqué de voir la destruction du pays. Pour ma part, je n’avais jamais vu un pays saccagé par la guerre. J’ai connu une expérience qui était vraiment forte pour moi dans la première semaine de mon arrivée à Beira : un dimanche, je partais pour la messe à la paroisse située à 1 kilomètre du centre ; grande fut ma surprise quand j’ai vu les gens sortir de leurs maisons. J’ai été attristé de voir la misère au sens propre du mot. Je me sentais révolté à la vue de celle-ci. A partir de ce jour, je me suis demandé comment faire pour que l’on puisse aider les gens à sortir d’une telle situation. Certainement, c’est de là que m’est venue l’inspiration pour mon nom local : Nyamaudzu. Car je crois qu’avec une toute petite organisation, les gens, les hommes et les femmes, pouvaient améliorer la situation de leur vie. « Ventre affamé n’a point d’oreille » Quand je suis arrivé dans ma communauté, il m’a été offert une période de 6 mois pour l’apprentissage de la langue locale. Après 3 mois, vu mon progrès dans le parler, on m’a proposé d’accompagner la jeunesse sur le plan pastoral. Je me suis dédié avec la jeunesse à un certain éveil de conscience. Il faut dire que la situation de guerre n’avait pas beaucoup favorisé une prise en charge de soi. Ici, il n’est pas rare d’entendre que le travail du jeune à l’église se limite à danser et à chanter. Pour ma part, j’ai insisté sur le travail manuel comme moyen d’autopromotion sociale. C’est dans ce cadre que certains travaux ont été réalisés ; couper de la paille, faire des briques et couper des troncs d’arbres pour l’amélioration de l’habitat. Aujourd’hui, les jeunes sont fiers du parloir que nous avons construit à la paroisse. Des jeunes ont pu faire des briques pour les vendre, vendre du savon pour avoir quelque chose dans leur caisse. Dans une communauté à 20 km du centre, nous avons initié le travail en équipes de 5 jeunes pour les travaux champêtres. Cela a été d’un apport capital pour leur labour et leur récolte. Dans une autre communauté, nous avons pu ouvrir un champ de la jeunesse. Ici tout le monde est pauvre. Pour évangéliser, j’ai cru au dicton « ventre affamé n’a point d’oreille ». Pour ma part, j’ai encouragé beaucoup les jeunes à travailler pour gagner leur nourriture. Dans mes visites pastorales, j’ai eu la chance de rencontrer des pasteurs des Églises indépendantes ou des sectes. La plupart d’entre eux reconnaissent l’Église catholique comme leur « mère ». Dans le district, nous avons plus de 40 églises. Je crois que le contact avec l’extérieur (Malawi, Zimbabwe), a aidé pour la multiplication de ces églises. A l’avenir, les Missionnaires d’Afrique veulent organiser une rencontre pour une étude systématique des sectes. Dans la communauté, j’ai travaillé dans le jardin pendant un certain temps et après, j’ai donné un coup de main à la cuisine et pour les achats pour la maison. Ces activités ont toujours été choisies avec un consensus communautaire. Je me suis dédié dans la mesure du possible à ces activités. Mais ce que je déplore, c’est que comme communauté, nous avons une tendance activiste. Car les sollicitations sont parfois nombreuses. Aussi, je crois qu’il a, un tant soit peu, manqué de réflexion sur les travaux que nous menions comme communauté. Pour terminer, je crois que je me suis senti plus à l’aise avec la jeunesse qu'avec les plus âgés. Car la répartition des travaux ne m’a pas permis d’être en contact permanent avec ces derniers. Impact de mon expérience pastorale sur ma foi Le stage a été pour moi une expérience inédite. Il m’a donné de développer un courage vis-à-vis de l’affrontement de la souffrance : maladie, manque du nécessaire; la confiance en soi ; rencontre avec les jeunes gens, jeunes couples qui, malgré mon jeune âge, me confient leurs problèmes et préoccupations. Les conseils que j’ai pu donner ont porté des fruits. Je suis heureux de me réaliser à travers la joie que je leur apporte. Je suis heureux de voir un certain rayonnement revenir quand tout semblait perdu. La vie de prière est organisée de telle sorte que j’ai pu facilement m’insérer sans beaucoup de difficultés. J’aime faire ma méditation le matin de bonne heure pour offrir à Dieu tout le travail du jour qui va commencer et le remercier pour la nuit écoulée. L’Eucharistie, centre de notre vie communautaire, est le plus souvent célébrée le matin. C’est l’occasion de faire l’offrande solennelle de la journée. Durant la semaine, nous avons la possibilité de faire un partage d’Évangile. La prière de l’office des heures a été pour moi une manière de pouvoir être en contact avec l’Église Universelle. La nuit, je tiens mon journal qui me permet de vivre de près mon cheminement spirituel. Tout est écrit dans une atmosphère de prière. Mon directeur spirituel m’a été d’un apport capital dans mon cheminement. A lui je présentais mes difficultés et mes joies. Il reste pour moi un homme de prière exemplaire, un aîné qui a su m’écouter et me conseiller. Les conseils évangéliques Je crois aux conseils évangéliques comme vertus importantes pour servir, aimer et partager de plus près, comme le Christ. L’Obéissance me conduit à un service dans l’amour et l’indifférence : Convaincu de cela, j’ai essayé d’être obéissant. Le Célibat consacré ou la Chasteté : j’ai approfondi de plus en plus ce conseil comme une grâce spéciale du Seigneur pour une totale disponibilité et un amour inconditionnel. Le partage durant l’accompagnement spirituel a été enrichissant dans ce domaine. La Pauvreté : Je me contente de ce que j’ai, tout en essayant d’être au courant des besoins des nécessiteux, pour pouvoir leur venir en aide dans la mesure de mes moyens. J’ai essayé d’être sobre dans l’utilisation des biens personnels aussi bien que communautaires. Au terme de mon stage, je pense que j’ai beaucoup grandi dans mes relations avec les autres, et dans ma relation avec Dieu. Certes, j’ai connu des difficultés : souffrance de voir un pays dévasté, vivre avec les gens dans la misère, les problèmes climatiques, l’apprentissage de deux langues successivement pour ne citer que cela. Mais tout cela ne m’a pas enlevé la joie. Je suis heureux d’avoir participé, un tant soit peu, à l’établissement de la confiance en soi de ceux que j’ai rencontrés. J’ai pu leur dire que Dieu est amour et qu’il les aime. Toutefois, je sais que j’ai été limité par le temps, la maladie, l’impossibilité de tout faire. Conclusion Ma plus grande motivation est la joie que je ressens malgré tout : la joie d’être un instrument de Dieu pour le bonheur de mes frères et sœurs. La Parole de Dieu que je fréquente me donne la force et la joie de vouloir continuer sur le chemin de la vie missionnaire. Timothée a été ordonné prêtre à Koudougou le 10 juillet 2004. Il est ensuite reparti au Mozambique. |