Les congrégations religieuses « africanisent » leurs structures
Les congrégations missionnaires, longtemps pilotées depuis l’Europe, sont désormais de plus en plus dirigées par des Africains.
Cette tendance s’amplifie, alors que l’Église célèbre jeudi 2 février la journée de prière pour la vie consacrée.
Au centre, le P. Stan Lubumgo, supérieur général des Pères Blancs / (Pères Blancs)
La décision date de 2010 et fait l’effet d’un symbole. Cette année-là, les représentants de la congrégation des Missionnaires d’Afrique portaient à leur tête le P. Richard Baawobr, un prêtre ghanéen (1). Pour la première fois, un responsable africain se trouvait à la direction de ceux qui sont plus connus sous le nom de « Pères blancs ». Un choix confirmé en mai 2016 lors de l’élection de son successeur, le P. Stan Lubungo, Zambien.
Spiritains, eudistes, pères blancs… les sociétés missionnaires européennes sont sans doute l’un des signes les plus visibles du basculement géographique du catholicisme mondial. Une tendance qui se renforce, alors que l’Église célèbre jeudi 2 février la journée de prière pour la vie consacrée. En forte croissance en Afrique et en Amérique latine, alors qu’il régresse en Europe, une partie de l’avenir du catholicisme se joue désormais au sud, comme l’a illustré en 2013 l’élection d’un pape argentin.
« Nos confrères sont des jeunes Africains qui sont bien au fait de la réalité de leur continent »
Premier effet de ce changement : la proximité des supérieurs avec leurs ouailles. « Mes successeurs africains ont un style un peu différent de celui que j’ai connu, mais ils sont très proches des confrères », affirme le P. Gérard Chabanon, qui fut le dernier Européen à être supérieur général des pères blancs. Vicaire général pour l’Afrique de la communauté Saint-Jean pendant 8 ans, le P. Jovien-Andrea Seudjang, de nationalité camerounaise, admet également volontiers que sa parole pesait sans doute davantage que celle d’un responsable européen, auprès de ses frères africains. « Non seulement parce que je suis Africain, mais aussi et surtout parce que nous avons été formés ensemble. »
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L’« africanisation » de la gouvernance influe également sur les priorités des responsables sur le terrain. « Elles ne sont pas celles que nous aurions choisies il y a 20 ans, constate encore le P. Chabanon, qui réside désormais à Kampala, la capitale ougandaise. Mais nos confrères sont des jeunes Africains qui sont bien au fait de la réalité de leur continent. Ils ne sont pas dans la répétition de ce que nous faisions, accordent une grande importance aux commissions justice et paix, ou encore au dialogue interreligieux. »
« J’ai été le tout premier Africain à occuper cette fonction »
Autre retombée : les vocations. « Dans toutes nos provinces en Afrique, les prêtres qui en sont chargés sont originaires du continent. Pour appeler de jeunes Africains, il faut de jeunes Africains. » Chez les frères de Saint-Jean, le P. Jovien a également senti que sa parole avait un poids particulier en ce qui concerne le discernement. Mais aussi lorsqu’il devait refuser un candidat au sacerdoce après plusieurs années de formation. « J’ai été le tout premier Africain à occuper cette fonction. Ma parole était très attendue comme si je pouvais comprendre des choses que les autres ne voyaient pas », assure-t-il.
Cependant, toutes les communautés n’ont pas fait le choix de cette « africanisation ». Parmi les raisons invoquées : la persistance des divisions entre les pays. « L’Afrique est traversée par des tensions très fortes, comme l’était l’Europe il y a un siècle. Les instabilités politiques et économiques sont extrêmes », veut croire le responsable d’une communauté très présente en Afrique.
Ce basculement vers le sud est-il irréversible ?
C’est en partie pour cette raison que la communauté de l’Emmanuel, dont 2 400 membres vivent en Afrique, maintient un responsable européen pour le continent. « Je me souviens d’un frère congolais qui m’avait dit, il y a quelques années : “comment un Camerounais peut-il me représenter ?” », relate pour sa part Pierre-François Graffin, qui est, avec sa femme Christine, délégué de la communauté de l’Emmanuel pour l’Afrique. Pour piloter cette province, le responsable de cette communauté nouvelle admet devoir « changer de référentiel ». « Je ne comprends pas tout, et je le dis : je suis Européen, il faut m’expliquer. Cette petite provocation a pour avantage de mettre les pieds dans le plat. »
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Pour ceux qui l’ont choisi, ce basculement vers le sud est-il irréversible ? « Sans aucun doute, répond le P. Chabanon. Dans notre petite société missionnaire, 85 % des candidats sont africains ! Et c’est à eux que vont échoir les fonctions importantes. » Chez les frères de Saint-Jean, la situation est différente : celui qui a succédé au P. Jovien est un frère français. « On ne s’est pas dit qu’il fallait à tout prix un Africain pour me remplacer. Mais nous avons nommé un Français qui était en mission en Afrique depuis des années. Il connaît très bien le terrain, et est estimé pour cela. En revanche, s’il avait débarqué d’Europe, cela aurait sans doute été beaucoup plus difficile… »
(1) Il est, depuis, devenu évêque de Wa, au Ghana.