Michaël Privot : Quand j’étais Frère musulman. Parcours vers un islam des lumières (compte-rendu)
Michaël PRIVOT : Quand j’étais Frère musulman : parcours vers un islam des lumières. Préface de Ismaël Saidi. Ed. La Boîte à Pandore, Paris, 2017, 235 p . ISBN 978-287557-290-5. (19.90 €)
Une recherche de « Michaël Privot » sur internet affiche de nombreuses références, certaines menant vers des pages l’accusant d’à peu près tout ce qui fait le fonds de commerce des islamophobes et de l’extrême-droite.
« J’ai donc eu envie de mettre en mots ce que je suis et de passer à l’étape suivante de ma vie, en ne conservant que les enseignements de mon parcours » (p.13), atypique s’il en est ! À 19 ans, le jeune homme né à Verviers (Belgique), « dans une démarche fondamentalement postmoderne de l’offre disponible sur le grand marché du spirituel », se reconnaît finalement dans les écrits d’un gnostique iranien, et devient musulman.
Poursuivant un brillant parcours universitaire, son esprit libre et critique ne l’empêche pas de garder les pieds sur terre. Il s’implique dans les activités de la vie sociale, dans le fonctionnement du Complexe Éducatif et Culturel Islamique de Verviers (CECIV) et se retrouve dans la confrérie des Frères Musulmans qu’il quittera d’une manière aussi peu formelle (malgré lui) qu’il y est entré « à l’insu de son plein gré » (p. 102). Il rapporte son cheminement avec lucidité et honnêteté, tout en livrant de nombreux détails sur les (dys)fonctionnements de la Confrérie et sur les raisons qui l’ont amené à les quitter (un tiers du livre). « Si ma loyauté était engagée, c’était envers mes quelques compagnons de route […] pas envers une organisation » (p.108)
Dans la dernière section du livre, il nous livre un peu plus ses convictions personnelles de croyant, influencé par Tareq Oubrou, puis Nasr Hamid Abu Zaïd, mais surtout Rachid Benzine et la méthode « anthropo-historique », comparable à celle de l’exégèse historico-critique dans la tradition chrétienne.
Non conditionné dans son enfance par la religion et l’imaginaire qui lui est associé, sa manière de vivre l’islam a de quoi surprendre un chrétien et ne manquera pas de « heurter » nombre de musulmans . « Converti à l’islam en abstraction de son Prophète » il ne s’en est « jamais porté mal » (p.205). Il revendique une démarche de liberté pour écrire une nouvelle page de l’islam qui rique de laisser les musulmans « orphelins d’un Prophète super-héros qui a réponse à tout » (p.201). À la suite de R. Benzine et de la méthode citée, il considère que imân, généralement traduit par « foi », « serait fondamentalement une alliance, une adhésion pleine et entière à la divinité, à la façon dont on fait alliance avec un chef de tribu », et le « mu’min, que tout le monde traduit par croyant, serait dès lors celui qui adhère, qui est dans l’alliance » (p.211).
Si la première partie, jeunesse et cadre familial, est très personnelle, la suite du livre nous introduit dans les arcanes des structures de différentes organisations, musulmanes ou politiques, non seulement belges mais aussi étrangères. Les personnes avec lesquelles il a pu réfléchir, dialoguer et établir des projets, avec plus ou moins de succès, constituent une galerie de portraits présentés de manière telle que ce livre risque de lui attirer de nouvelles animosités !
À 42 ans, courageux, enthousiaste et optimiste, il continue son cheminement. « Après tout, je suis aussi un universitaire, un islamologue et pas seulement un militant que l’on voudrait écervelé. Et je suis en paix avec mon parcours » (p.164) Nous ne pouvons que lui souhaiter de pouvoir rester dans cette paix dynamique, et nous espérons qu’il pourra écrire, dans quelques années, une suite à ce livre à lire et à faire lire.
Sérieux mais non académique, teinté d’humour, cet ouvrage est non seulement un témoignage personnel à accueillir comme tel mais aussi une description de certaines facettes de l’islam en Belgique où l’on voit que, comme dans d’autres pays où une école n’est pas dominante ou imposée, il est traversé par de multiples courants, de misères et de grandeurs.
Marc Léonard.