«I Am Not a Witch» de R. Nyoni :
«Les camps de sorcières existent en Afrique»
Rungano Nyoni, la réalisatrice zambienne de « I Am Not A Witch » : « beaucoup de gens ignoraient l’existence des camps de sorcières en Afrique ». Siegfried Forster / RFI
Il fallait oser le faire, une comédie sur un camp de sorcières en Zambie, petit pays de 15 millions d’habitants en Afrique australe. Avec son premier long-métrage, la Zambienne Rungano Nyoni a charmé le public et les critiques au Festival de Cannes. Présenté dans la Quinzaine des réalisateurs, I Am Not a Witch (« Je ne suis pas une sorcière ») raconte l’histoire d’une fille de 9 ans, Shula, envoyée dans un camp de sorcières parce qu’on l’accuse d’en être une. Entretien avec sa réalisatrice.
RFI : Pourquoi était-il si important pour vous de raconter cette histoire, I Am Not a Witch ?
Rungano Nyoni : Il y a beaucoup de raisons à cela. Ce film réunit tous les thèmes dont je voulais parler : la question de la liberté, quel prix doit-on être prêt à payer pour être libre ? Je voulais aussi parler des choses que la société vous impose, mais dont des règles sont complètement absurdes.
Ces camps de sorcières existent-ils réellement ?
Oui, cela existe dans la vraie vie. Mon film est une exagération de ce qui se passe réellement. Donc, vous trouvez des choses réelles dans le film, d’autres sont agrandies. Ces camps de sorcières existent sous différentes formes dans différents pays en Afrique. Au Ghana se situe l’un des plus anciens camps de sorcières. C’est là que j’ai fait ma recherche. En Zambie, il y a un camp de sorcières informel.
Comment les gens sur place ont-ils réagi par rapport au tournage de votre film ?
Malheureusement, ils n’ont pas la chance de voir le film. Ils savent que je présente mon film à Cannes et que le sujet est sur la situation de ces femmes. Ils comprennent l’idée du film et que c’est une sorte de fable et pas un documentaire. Ce film est le résultat de mon imagination.
Le fait de ridiculiser ces camps de sorcières pourrait-il poser des problèmes ?
Je ne pense pas ridiculiser l’idée de ces camps de sorcières. Je n’ai rien contre les croyances des gens et il y a beaucoup de choses que je ne peux pas expliquer. Mais je suis complètement contre des choses qui sont dirigées contre une partie de la population au nom d’une race ou d’un sexe. C’est ça qui rend l’idée de camp de sorcières absurde : ce sont uniquement des femmes, qui sont accusées d'être des « sorcières » - surtout des femmes âgées. Je suis complètement contre cette pratique. De là, il n’y a pas de problème pour moi avec l'idée de me moquer de cette pratique, parce qu’il s’agit d’une pratique idiote et horrible.
Vous montrez dans votre film que beaucoup de choses sont impactées par l’existence de ce système de sorcières : la santé, l’économie, la justice, la politique, le tourisme… Pour le reste de la population, le système semble fonctionner. Alors, comment changer le système ?
L'une des choses que je voulais faire avec ce film, c'était parler d’un sujet grave, mais d’utiliser la forme de la comédie pour faire entrer les gens dans l’histoire. Pour cela, j’utilise aussi des absurdités. Mon film n’est pas un drame réaliste, mais les absurdités sont basées sur des choses réelles. J’essaie d’obtenir l’engagement du public d’une manière différente. Il y a des documentaires qui existent pour parler de la vraie vie de la sorcellerie. Dans une fiction, on peut manipuler le monde comme on veut, selon ses désirs. C’est une autre manière de parler du sujet. Comme je parle aujourd’hui avec vous ici à Cannes des camps de sorcières, dont beaucoup de gens ignoraient l’existence. Pour cela, il y a une certaine confusion : les choses sont-elles réelles ou pas ? Parce que c’est la première fois qu’on parle des camps de sorcières et pourtant ils existent depuis très longtemps. Donc, mon film est certainement une bonne chose.
Vous êtes née à Lusaka, en Zambie. Où avez-vous appris à faire du cinéma ?
Je suis zambienne, mais je suis partie au Pays de Galles à l’âge de 9 ans. C’est là où j’ai grandi. Je n’ai jamais appris le cinéma avec quelqu’un, je l’ai appris en autodidacte en faisant des films. Je suis aussi comédienne pour le théâtre. De là vient ma relation avec le cinéma. Sinon, j’ai appris le cinéma en regardant des films, en faisant des courts-métrages, des stages, et en allant à beaucoup de festivals.
Vous allez hors de Zambie pour y tourner des films sur la Zambie. Quelle est aujourd’hui la situation en Zambie pour un réalisateur ?
Je me rends régulièrement en Zambie, parfois deux fois par an. Aujourd’hui, je connais la situation sur place beaucoup mieux qu’à l’époque où je faisais mon court-métrage [Mwansa the Great, 2011, primé dans beaucoup de festivals, ndlr]. A l’époque, c’était très difficile de trouver l’équipement pour tourner le film. Aujourd’hui, c’est devenu beaucoup plus facile. Il y a une télévision qui produit des films, des fictions. Il y a une très petite industrie qui se développe. Il est très difficile de trouver des acteurs professionnels, donc j’étais obligée de tourner avec des amateurs. Nous n’avons pas une véritable école de cinéma, mais il y a une école fondée avec des fonds européens pour des jeunes en difficultés. Cela existe depuis deux ans. Sinon, les gens font comme moi, ils sortent et tournent des films.
dans le film «I Am Not A Witch» de Rungano Nyoni. Festival de Cannes
► Lire notre critique du film I Am Not a Witch
► RFI au Festival de Cannes 2017 : nos articles, éditions, émissions, photos et vidéos