Avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries
qui ont besoin de la lumière de l’Évangile
Pendant mes huit années de formation chez les Missionnaires d’Afrique, les deux années de mon stage ont nul doute été pour moi une période marquante. Tout d’abord, le stage faisait suite à l’année spirituelle que j’ai vécue à Fribourg. Lors de celle-ci, je n’avais eu d’autres choix que de restreindre mes activités sociales extérieures afin de mieux entrer dans le silence, de relire ma vie antérieure et de me donner corps et âme aux Exercices spirituels qu’on nous proposait. À la fin de cette année j’avais découvert que la vie monastique n’était probablement pas pour moi et que l’attrait d’aller en Afrique pour y partager ma foi se faisait plus pressant.
C’est donc avec joie que je pris mon envol pour la Zambie en juillet 1989. Quelques jours après mon arrivée à Lusaka, j’étais rendu au Nord du pays à la mission d’Ilon- dola pour y faire l’apprentis- sage du « cibemba » en com- pagnie d’un autre candidat, de prêtres missionnaires, de coopérants et de 4 missionnaires Baptistes. Il y avait tant à apprendre, à découvrir. Cela demandait de la patien- ce, beaucoup d’écoute et le goût de communiquer et de se lancer vers l’inconnu.
Après mon cours de langue je me suis retrouvé à Serenje, une paroisse de 200 km de diamètre avec 10 sous-paroisses, environ 70 cent- res et une équipe dynamique de confrères, catéchistes, animateurs pour la prière dominicale et tant de groupes paroissiaux pour hommes, femmes et jeunes. La diversité des engagements pastoraux ne manquait pas et les confrères n’hésitaient pas à m’envoyer ici et là dans la paroisse avec l’un des catéchistes. À ce rythme je n’ai eu autres choix que de mieux maîtriser le « cibemba » d’une part mais surtout de mieux ap- précier ce que les gens disaient et vivaient quotidiennement. De fait, mon apprentissage était plus que linguistique
J’ai alors aperçu une nouvelle façon de concevoir les choses, i.e. les événements qui ponctuent le quotidien de tout être humain et ceux associés aux grandes étapes de la vie tels le choix d’un conjoint(e), la venue d’un enfant, le départ d’un être cher. Pour ces moments particu- liers il semblait toujours y avoir un proverbe en « cibemba » qui offrait une sagesse et un savoir-faire permettant de guider les choix des gens ou de les encourager à persévérer. Mais surtout rien n’égalait les moments où j’étais témoin de la façon dont les gens faisaient face à des défis existentiels, comme comment prendre soin d’un membre de la famille qui a perdu la tête et qui ne cesse de créer des problèmes de toutes sortes. Bref, mon stage a été le moment idéal de m’ouvrir les yeux et de me rendre compte de la diversité des situations et agissements des gens. Je peux donc dire que le stage m’a initié à aller vers la périphérie suivant l’exemple stimulant de mes formateurs i.e. les confrères de ma communauté de Serenje.
Allez vers la périphérie est intrinsèque à notre vocation missionnaire. Comme le dit si bien le pape François, « la joie de l’Évangile qui remplit la vie de la communauté des disciples est une joie missionnaire »
Et il ajoute : « Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile ». Oui, sortir pour aller à la rencontre de l’autre mais sans perdre de vue le but ultime, être témoin du Christ. Donc dans nos échanges, la communication est essentielle et notre savoir linguistique, notre expérience de la vie des gens, des défis auxquels ils font face, nous offre le terreau idéal pour permettre de mieux exemplifier la Parole de Dieu et de permettre à cette Parole de prendre racine et de porter ses propres fruits.
Le pape François fait également ressortir que ce mouvement d’aller vers la périphérie signifie être prêt à se laisser bousculer, déranger, de ne pas être en mesure d’avoir nécessairement la solution au défi et d’admettre et reconnaître que bien souvent d’autres ont déjà trouvé de nouvelles pistes porteuses d’espoir. Oui, bien souvent, il n’est pas nécessaire de réinventer la roue. Quelqu’un d’autre a déjà trouvé une voie, d’où l’importance de s’unir aux autres qui, tout comme nous, ont le souci de répondre aux cris de douleur qui nous interpellent.
À ce mouvement de sortir s’ajoute aussi celui d’être accueilli. Parfois, il y a des bras tendus qui nous attendent. Par contre, il ne faut pas s’attendre à être toujours les bienvenus. De nombreux épisodes des Actes des Apôtres nous rappellent comment Paul a bien souvent été rejeté (Ac 13, 50), emprisonné (Ac 16, 23) et parfois même lapidé (Ac14, 19). Aller vers la périphérie demande donc beaucoup de courage en sachant prendre appui sur du solide i.e. sur la prière par laquelle Dieu nous offre sa grâce nous permettant de continuer notre vocation d’être témoin du Christ.
Oui, être accueilli est parfois tout un défi. Mais à cela s’ajoute la nécessité de savoir être aussi celui qui accueille. Comme le dit le pape François :
« L’Église en ‘sortie’ est une Église aux portes ouvertes. Sortir vers les autres pour aller aux périphéries humaines ne veut pas dire courir vers le monde sans direction et dans n’importe quel sens. Souvent il vaut mieux ralentir le pas, mettre de côté l’appréhension pour regarder dans les yeux et écouter, ou renoncer aux urgences pour accompagner celui qui est resté sur le bord de la route. Parfois c’est être comme le père du fils prodigue, qui laisse les portes ouvertes pour qu’il puisse entrer sans difficultés quand il reviendra » .
Dans cette numéro du Petit Écho, quelques-uns de nos confrères ont bien voulu nous partager leur vécu face à cet aspect de notre vocation missionnaire. Que ce partage de vie nous stimule à continuer à nous engager « auprès des personnes vivant dans les périphéries pour un monde plus juste ».
Martin Grenier
Assistant général (article tiré du Petit Echo n° 1083)