Père Philippe ANTOINE
Philippe est né à Paris le 20 octobre 1926, et il a toujours été très discret sur son enfance et sa famille. Tout ce que l'on sait, c'est que son père était joaillier, ou plus précisément qu'il possédait et dirigeait une petite fabrique de bijoux. Il n'avait qu'un seul frère, jumeau, auquel il était très attaché et qui est décédé à l'âge de sept ans. Il a commencé ses études secondaires chez les Dominicains à saint Charles de Juvisy-sur-Orge pour les continuer au collège Stanislas à Paris. Après avoir passé le baccalauréat, il fait des études de droit et obtient le doctorat. Puis il rentre à l'école de la France d'Outre-Mer.
A la sortie de celle-ci, il commence une carrière d'administrateur au Cameroun où il est nommé chef de subdivision de Batouri pour devenir ensuite 1er adjoint de la région d'Edéa. Travailleur et consciencieux, il devient rapidement Directeur de l'information au Cameroun et enfin chargé de Mission à la présidence du Conseil. Sa carrière est interrompue par le décès de son père.
En effet, il donne alors sa démission pour prendre sa succession à la tête de sa fabrique de joaillerie. Ne craignant pas sa peine, il mène bien son affaire qui prospère et se développe ainsi qu'en témoigne Mgr Ramondot qui le connaît bien et le suit au point de vue spirituel depuis le collège Stanislas. En effet, parallèlement à sa vie professionnelle, Philippe poursuit une vie spirituelle qui s'approfondit peu à peu et qui le pousse à envisager la vie sacerdotale.
L'idée de la vie religieuse le préoccupe depuis longtemps. Même au Cameroun, parfois, il éprouvait le besoin de se lever la nuit pour réciter des psaumes en souvenir de ses premiers maîtres Dominicains. Lors d'un retour en congé en France, il a même songé à la vie monastique, mais son besoin de vie active l'a retenu.
Depuis son retour en France pour prendre la succession de son père, il se trouve pris entre ces deux options : Continuer son activité professionnelle de joaillier pour faire survivre son entreprise et sauvegarder les emplois qui font vivre ses employés ou continuer sur la voie du sacerdoce auquel il se sent de plus en plus appelé. Dans cette direction, il se sent aussi de plus en plus appelé par l'Afrique qu'il a connue au Cameroun et qu'il a aimée. Pris entre les deux, il décide de faire 3 années de philosophie et de théologie chez les Sulpiciens à Issy les Moulineaux ce qui lui permet, avec l'accord de son directeur spirituel de continuer à répondre à ses activités professionnelles qui exigeaient sa présence à Paris. Il avait auparavant mis sa société en gérance, et celle-ci continuait à vivre sous la direction du chef d'atelier.
En 1967, il se décide à s'engager définitivement sur la voie du sacerdoce, et quand il a annoncé à Mgr Ramondot qu'il voulait entreprendre des démarches pour se préparer à se faire missionnaire, Monseigneur lui répond : "Je m'y attendais" et il l'oriente chez nous. Philippe liquide son entreprise de joaillerie et commence son année spirituelle à Gap en septembre 1967. Il a alors 39 ans. Après son année spirituelle il part à Totteridge pour terminer sa théologie, pour faire son serment de missionnaire d 'Afrique le 2 février 1970 et être ordonné prêtre le 27 juin de la même année. Sa première nomination est pour le Mali qu'il avait demandé car il veut se consacrer au problème musulman. Il est nommé au diocèse de Ségou.
Commence alors pour Philippe une période de 14 années où il va pouvoir réaliser ce qu'il avait envisagé pour sa vie de prêtre missionnaire d'Afrique. Naturellement, il commence par passer 6 mois à Faladjè, le centre de langue, pour apprendre le Bambara. Il a alors 44 ans et se mettre à apprendre une nouvelle langue à cet âge lui est pénible. Il y fait aussi sa première expérience de vie et de prière communautaire, et il ne cache pas qu'il n'y trouve pas le partage qu'il avait espéré entre confrères. Il rejoint ensuite la paroisse de Ségou, est nommé à Kolongotomo en 1975 et fait un bref séjour à Markala avant d'être nommé en France pour études en 1984.
Ces 14 années passées dans le diocèse de Ségou sont pour lui l'occasion de vivre autre chose que ce qu'il avait vécu autrefois comme administrateur au Cameroun. Il le dit lui-même : " j'ai ressenti beaucoup plus profondément qu'il y a 20 ans la rupture avec des possibilités d'agir à l'intérieur de l'Église de Dieu. Un environnement qui n'est pas celui de l'administrateur. " Et il ressent la différence entre le service qui est allié à la puissance et le service à la manière du jeudi Saint qu'il veut réaliser aujourd'hui dans sa vie. " Vie simple et frugale, vie proche des gens. Tendance à vivre en ascète, note le régional de l'époque, à vivre en paysan bambara avec son champ d'arachides ou de riz." Mais aussi, il garde de son passé, et il en est conscient, le goût d'un certain pouvoir et la tendance à imposer ses idées dans la communauté.
Tout cela ne pouvait être qu'occasion de crises avec ses confrères et son Évêque, et comme Philippe avait plusieurs fois fait remarquer l'absence de juridiction ecclésiastique au Mali, son Évêque, avec l'accord du régional lui demande d'aller en France, faire un recyclage canonique pour mettre en place cette juridiction. C'est donc un peu contraint et forcé qu'il revient en France en septembre 1984 pour 1 année d'études canoniques.
Philippe part alors résider à la paroisse St Sulpice pour ce recyclage en droit canon, mais très rapidement, l'épiscopat malien le propose pour un poste de professeur de droit canon à Koumi au Burkina Faso. Assez réticent, il répond positivement à cette proposition, mais demande à faire une deuxième année à Paris pour obtenir sa licence. Ce n'est donc qu'en octobre 86 qu'il rejoint Koumi, tout en restant inscrit dans le presbytérat de Ségou au Mali.
Il partage son temps alors entre sa vie de professeur à Koumi, sa vie de vicaire judiciaire pour le diocèse de Ségou et la prédication d'un certain nombre de retraites. En juillet 1990, il rentre en France pour un congé normal et en profite pour présenter sa thèse de droit canonique. A son retour en Afrique, il est appelé à ajouter à son travail un va et vient entre les séminaires de Koumi et celui de Samaya qui vient d'être fondé près de Bamako au Mali. En mai 1992, il est d'ailleurs nommé définitivement à ce séminaire.
En 2000, il quitte définitivement l'enseignement du droit canon au séminaire et est nommé vicaire à la paroisse cathédrale de Bamako, mais continue son travail de juge pour les questions juridiques de mariage et autres. Cela dure jusqu'en octobre 2002 date où après discussion avec le Provincial du Mali, il décide de quitter définitivement le Mali.
Il part alors en Algérie, dans le diocèse d'Oran, à l'essai pour un an. Il y reste jusqu'en 2006 et rentre alors définitivement en France et est nommé à Paris, à l'accueil de la rue Friant. Il a alors 80 ans. A côté de cet accueil à la rue Friant, il s'investit dans une pastorale de la confession dans différentes paroisses de Paris et une pastorale de contact en allant servir, plusieurs fois par semaine, des repas du soir à l'association de la mie de pain. Il accepte aussi, durant un certain temps d'assurer l'intérim pour la direction de la maison après le décès du responsable. Mais, peu à peu, sa santé se dégrade et en début 2017 il est nommé à la maison de retraite de Bry sur Marne où il y a tous les soins nécessaires. Il n'y reste pas longtemps.
Le 27 novembre, après une vie bien remplie et toute donnée au Seigneur, il rejoint la maison du Père.
Dans la lettre qu'elle a envoyée à l'occasion de ce décès, la présidente de l'Association des Amis des Pères Blancs résume bien ce qu'a été la vie de Philippe: " Après une longue vie missionnaire, il a trouvé le repos et est entré dans la paix et la joie de Dieu. J'aimais beaucoup le rencontrer rue Friant et admirais sa douceur, sa gentillesse, son humilité, son esprit de service, et je pense que nous pouvons rendre grâce pour sa vie si bien remplie au Cameroun, au Mali, en Algérie et en France ".
Jacques Delattre