« Pourquoi faire des vidéos à ton âge ? »
(PE n° 1093 – 2018/07)
Cette question était en tête de la liste de quelques suggestions qu’un confrère m’a faites en me proposant d’écrire un article pour le Petit Echo à l’occasion du 150ème anniversaire de notre fondation. Pourquoi à mon âge passer la majeure partie de mon temps avec mes yeux rivés sur mon ordinateur ? Pourquoi à mon âge jongler avec toutes ces photos, m’évertuant à les faire avaler par des logiciels tels que « Powerpoint » et « Movie Maker » ?
Selon la formule traditionnelle de nos notes nécrologiques, j’ai 76 ans, dont 40 ans passé en Tanzanie. A ton âge ? Cette question, n’est-ce pas un sous-entendu pour « ce n’est plus un âge pour » ou « on ne se lance pas dans des aventures pareilles quand on devient croulant ». Est-ce vraiment si extraordinaire de faire de l’animation missionnaire dans la dernière tranche de sa vie ? Missionnaire un jour, missionnaire toujours nous apprenait-on au noviciat ! Parfois j’ai l’impression que certains jeunes confrères me perçoivent comme un fossile du jurassique. Moi je me sens encore tout jeune, surtout quand je me trouve en plein milieu d’un tas de photos en train de fabriquer une vidéo qui nous fera revivre l’épopée de nos missionnaires jeunes ou vieux, du passé ou du présent.
Je crois que j’ai attrapé le virus de l’animation missionnaire et vocationnelle aux premiers jours de ma carrière de Missionnaire d’Afrique. J’aime la photographie et me promène souvent dans les rues de Bruxelles avec mon appareil en poche. Pour bien dormir, le soir avant de me coucher, je lis des bandes dessinées en les dégustant lentement. Je suis un abonné régulier de « YouTube ». Mes films favoris : Charlie Chaplin, Laurel et Hardy et bien entendu un bon western de temps en temps.
Lavigerie a bien compris l’enjeu des médias écrits et de la force de la photographie pour l’avenir de la mission. Dans le bric-à-brac des premières caravanes, il a insisté pour que les confrères emportent avec eux ces curieux appareils photographiques des temps anciens. C’étaient de drôles de boîtes noires en forme d’accordéon montées sur des trépieds et munis d’un parapluie noir (attention à la lumière du soleil). Si vous voulez de l’aide, des bienfaiteurs, envoyez-nous des clichés et racontez-nous ce que vous vivez. Intéressons les gens de nos pays à notre travail en Afrique. Le mot d’ordre de notre fondateur a bien été suivi. Deo Gratias.
Si nous voulons recruter, montrons notre apostolat au travers de belles photos. Des jeunes des temps proches de notre fondateur ont été « pêchés » grâce à l’hameçon de ces formidables clichés (plaques de verre !) produits par ces archaïques caméras. Les photographies de nos confrères barbus perchés sur le dos d’un dromadaire ou d’un baudet récalcitrant ont fait le buzz de l’époque. Dans mon propre cas, c’est un film, dans le style de BIZIMANA de l’illustre père Roger De Vloo, qui m’a ouvert la porte des Pères Blancs.
Dans les années 80 j’ai passé 4 ans en Belgique à faire de la propagande missionnaire auprès des jeunes. En ce temps-là, c’était toujours l’époque des diapositives. On ne parlait pas encore de vidéos comme outil d’animation…Mais cela n’allait pas tarder. J’avais 40 ans, je me baladais un peu partout avec mon projecteur et mes montages dias…Il y avait aussi une exposition photos amplement puisées dans les réserves de notre revue Vivante Afrique. Pendant les vacances d’été 1988 une quinzaine de jeunes de ma paroisse natale m’ont suivi en Tanzanie pour un séjour d’un mois dans nos missions. C’était l’opération PETITS OUTILS une aventure inoubliable.
Verviers 1986 : Exposition missionnaire pour les jeunes. |
Bref je n’ai pas attendu l’âge de la retraite pour me lancer dans l’aventure des médias modernes.
C’est en revenant de Tanzanie en 2006 que j’ai, pour la première fois, manipulé un ordinateur. J’étais nommé à Namur pour m’occuper de notre maison de La Plante. Un confrère bienveillant m’a initié aux secrets de l’informatique ; un de mes frères m’a introduit dans les dédales de Powerpoint. Pour le reste je me suis débrouillé : c’est en forgeant que l’on devient forgeron. Comme La Plante était le siège de Photos- Service et que toutes les archives photographiques de Vivant Univers/ Vivante Afrique étaient à portée de main, je n’ai eu qu’à puiser dans le panier. Merci à Gust Beeckmans pour cet incroyable boulot de numérisation. Merci aussi à nos photographes renommés comme Vincent de Decker.
Au moyen du logiciel « Power Point », j’ai commencé par illustrer des psaumes et des paraboles pour nous aider à prier. J’ai mis sur pied différents montages pour nos fêtes annuelles des familles et diverses autres occasions. Pour le 125ème anniversaire de la campagne antiesclavagiste initiée par notre Fondateur, à la demande de Richard Nnyombi, j’ai produit une série de vidéos, certaines en Anglais et même en Swahili. Idem pour Justice et Paix. Quand on a commencé à parler du 150ème anniversaire de notre fondation, soudainement sont arrivées chez nous les premières versions digitalisées des anciens films du père De Vloo (Africa Films). L’idée m’est alors venue de mettre tout cela en musique et de produire des vidéos avec du cinéma. Cela a marché. Philippe Docq les a mises sur Youtube…Tout cela, à mon âge, pour l’animation missionnaire !
Les années ont passé comme un coup de vent. A la fin de mon mandat à Namur, j’ai été nommé à Bruxelles, rue de Linthout. C’est de là que je ponds cet article. De temps en temps je vais à Rome donner un coup de main à Dominique notre archiviste. Je travaille dans la photothèque entouré des plus beaux souvenirs visuels de notre société, un vrai paradis ! Notre JOB est, par la voie de la digitalisation, de faire sortir toutes ces merveilles de l’oubli et de les mettre à la disposition de tous et de toutes. Un beau programme pour le 150ème anniversaire.
Manu dans son bureau |
Mon travail dans les archives et la fabrication de vidéos n’a rien de celui d’un rat de bibliothèque. Pour moi cela tourne régulièrement à la méditation et à la prière de louange. Ce qu’ont accompli nos anciens et nos anciennes, les pionniers des temps héroïques, m’inspire. Au contact de ces vieux films et de ces antiques photos, je pense souvent à eux, à leur pauvreté de moyens, à leur zèle apostolique, à leur amour des populations africaines, à leur dévouement auprès des plus malheureux…Le pape François n’arrête pas de nous rappeler, à temps et contretemps, notre devoir d’aller au plus profond du monde, de sortir de chez nous, d’avoir le souci des plus pauvres. Rien de neuf sous le soleil ! Nos anciens, bien avant François, ont suivi ce chemin des périphéries.
Nos ancêtres Pères, Frères et Sœurs, n’avaient pas de smartphone pour saisir l’actualité en un clin d’œil, comme tout le monde le fait aujourd’hui. Coup de chance pour nous, derrière eux, dès les premiers jours de la mission, ils ont laissé des photos et des films : témoignages uniques de leur foi en Jésus Christ.
Ce que je souhaite, c’est qu’on ne laisse pas moisir ces merveilles d’évangile vécu sur les étagères de nos archives. Maintenant que la crème de ces films et photos est numérisée, je recommande à tous nos responsables de maisons de formation de s’en servir pour montrer aux jeunes ce que c’était d’être missionnaire aux siècles passés. Une petite vidéo de temps en temps, rien de tel pour illustrer un cours d’histoire de notre société missionnaire. Profitons aussi de l’occasion du 150ème anniversaire de notre Institut pour partager ces témoignages médiatiques avec nos amis africains. Je suis sûr, par exemple, qu’à Ouagadougou on serait enchanté de voir ou revoir ce magnifique film du père De Vloo, reportage inoubliable, sur le sacre de Mgr Yougbaré, premier évêque Burkinabé, en 1956.
Joyeux anniversaire !
Manu Quertemont, M.Afr.