Telle mère, tel fils
Voici le texte de la belle homélie de Guy Theunis, supérieur de la Maison Généralice à l’occasion de la fête de l’Immaculée Conception.
En français, il existe un proverbe ‘Tel père, tel fils’. Ne pourrait-on pas le modifier et dire aussi ‘telle mère, tel fils’. Je voudrais aujourd’hui faire une comparaison entre Marie et Jésus. En fait, on sait très peu de choses de Marie, historiquement parlant, mais nous avons des textes dans les évangiles et nous pouvons réfléchir à partir de ceux-ci.
Je voudrais souligner 5 points que, pour ma part, j’y trouve communs à Marie et à Jésus : il s’agit de 5 attitudes fondamentales que je vais développer, qui nous concernent aussi comme apôtres.
La première est l’écoute de la parole de Dieu et la méditation de cette parole. Par deux fois, Luc écrit que ‘Marie retenait toutes ces paroles et les méditait dans son cœur’ (2,19.51). L’écoute de Dieu est fondamentale pour les Juifs. On le sait, car l’un des textes principaux de la Bible est ‘Shema Israël’ (Ecoute Israël – Dt 6,4) que Jésus cite d’ailleurs en réponse à la question d’un scribe (Mc 12,29). Une des caractéristiques des Anawim, dont faisaient sans doute partie Joseph et Marie, est cette écoute attentive de la Parole de Dieu. L’évangéliste Marc, dans son premier chapitre, nous donne une journée type de Jésus. Il écrit : ‘Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert ; là, il priait’ (1,35). L’écoute d’Abba, son Père, est partie intégrante de sa vie : c’est le début de sa journée. La tradition chrétienne retient la même attitude fondamentale. La règle de St Benoît ne commence-t-elle pas de la même façon : Ecoute, mon fils, ces préceptes de ton maître et tends l’oreille de ton cœur ? Si l’on appelle Marie l’Immaculée, c’est pour souligner que le plus important en elle est l’action de Dieu, Dieu qui prend l’initiative dans sa vie, qui lui parle. Et Marie écoute et médite en son cœur…
La seconde attitude que les textes soulignent est l’ouverture de Marie et de Jésus à accueillir leurs vocations propres, leurs missions personnelles. N’est-ce pas ce que souligne le récit de l’annonciation que nous venons d’entendre ? Comme l’exprime la réponse de Marie : ‘Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit !’ (1,38). Il en est de même pour Jésus à l’agonie : ‘Père, si tu veux écarter de moi cette coupe… Pourtant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se réalise’ (22,42). Marie et Jésus ont bénéficié, au départ, d’une expérience spirituelle profonde. Nous avons entendu le récit de celle de Marie. Pour Jésus, ce sera au baptême par Jean. Les textes évangéliques soulignent par la suite la manière dont ils ont vécu leur vocation et accompli leur mission d’une façon radicale : Marie en accepte dès le début toutes les conséquences, comme Jésus à la fin de sa vie. Deuxième attitude : l’acceptation profonde de leur vocation, de leur mission personnelle.
La troisième attitude qui me frappe est la réflexion conséquente à cette expérience spirituelle particulière. Dans le récit de l’Annonciation, Marie a reçu un signe : ‘Voici qu’Elisabeth, ta parente, est, elle aussi, enceinte d’un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile, car rien n’est impossible à Dieu’ (1,36-37). Dans le récit de Luc, après que l’ange l’a quittée, il note : ‘En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays, dans une ville de Juda’ (1,39). Marie reçoit un signe et se presse à aller rendre service à Elisabeth. Dans le récit du baptême de Jésus, après avoir entendu la voix ‘Tu es mon Fils bien-aimé ; il m’a plu de te choisir’ (Mc 1,11), Marc écrit : ‘Aussitôt, l’Esprit pousse Jésus au désert’ Il y passe 40 jours. Jésus accueille cette relation privilégiée à Dieu, Abba (papa). Et il prend le temps pour en vivre, seul, au désert, mais aussi pour y être tenté, vaincre les tentations, faire les choix fondamentaux, forger son avenir. Ainsi Marie et Jésus, tous les deux, tout au long de leur existence d’adultes, ont approfondi leur vocation propre, leur mission particulière.
Une quatrième attitude commune à Marie et à Jésus est leur attention aux besoins des autres. Nous le voyons pour Marie : après le récit d’aujourd’hui, selon l’évangile de Luc, elle reste 3 mois chez Elisabeth pour l’aider. On le voit aussi, dans le quatrième évangile, dans le récit des noces de Cana : ‘Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont plus de vin » (Jean 2,3). De même pour Jésus. Plusieurs fois dans les évangiles, on nous dit que Jésus observait, qu’il regardait ce qui se passait, qu’il va à la rencontre de personnes qui souffrent, qu’il les soigne, qu’il les guérit, même le jour du sabbat, ne tenant pas compte des lois et des coutumes. Pour lui, la personne humaine est plus importante que la loi, que la coutume. Une parole de Jésus souligne l’importance de l’œil, de notre façon de regarder, d’être attentif aux besoins des autres : ‘La lampe du corps, c’est l’œil. Si donc ton œil est sain, ton corps tout entier sera dans la lumière’ (Matthieu 6,22). Observer pour comprendre ce qui se passe, ce que chaque personne éprouve, vit réellement, et répondre aux besoins des autres, attitude commune à Marie et Jésus.
La dernière attitude que je veux souligner – sans doute y en a-t-il d’autres – c’est la confiance qu’ils font, à Dieu, et aux autres… Pour Marie, on le voit dans le récit d’aujourd’hui, comme dans celui des noces de Cana : ‘la mère de Jésus dit aux servants : « Quoi qu’il vous dise, faites-le »’ (Jean 2,5). Jésus dit aussi, selon le même quatrième évangile : ‘Père, je te rends grâce de ce que tu m’exauces… Je sais bien que tu m’exauces toujours…’ (Jean 11,41-42). L’on pourrait citer bien d’autres passages.
Sœurs et Frères, j’ai choisi aujourd’hui de souligner ces cinq attitudes. Car Marie et Jésus sont des modèles pour nous. Nous sommes donc invités, en cette fête de nos deux Société-Congrégation, en cette année jubilaire de 150 ans, à réfléchir à ces 5 attitudes dans notre propre existence :
Quelle est la profondeur de notre écoute de la Parole de Dieu ? La gardons-nous dans notre cœur ? Prenons-nous le temps de la méditer ? Nous y référons-nous dans nos prises de décisions ? Comment accueillons-nous notre vocation propre, notre mission personnelle ? Non seulement au point de départ, mais au jour le jour ? Comment y répondons-nous ? Revenons-nous sur nos expériences spirituelles particulières ? Les relisons-nous ? Comment en approfondissons-nous le sens et l’importance ? Quelle est notre façon de voir les autres ? Comment les regardons-nous ? Comprenons-nous ce qu’ils vivent profondément ? Laissons-nous être touchés par leurs besoins ? Quelle est notre confiance en Dieu, dans les autres ? Comment la vivons-nous ? Comment l’exprimons-nous ?
Voilà quelques questions auxquelles nous sommes invités à répondre. Prenons le temps de le faire.
Guy Theunis, M.Afr.
Fête de l’Immaculée Conception
8 décembre 2018