J’avais 20 ans. C’était une époque où trois jeunes filles pouvaient encore partir, sac au dos, pour un périple en Afrique, sans crainte d’être prises en otage au détour d’une piste. Nous avions pris des billets d’avion pour la Haute-Volta et nous avons atterri au Burkina Faso « pays des hommes intègres ».
Le choc en sortant de l’aéroport. La chaleur. La couleur de la terre. Les petites maisons basses. Les rues pleines d’enfants se précipitant vers nous pour quémander quelque chose d’occidental. On nous en avait prévenues. Nous avions emporté quelques crayons, quelques livres, et des médicaments à remettre à des personnes de confiance.
De trois que nous étions au départ, nous sommes devenus cinq, un frère et une soeur bretons s’étant joints à nous dès l’aéroport. Mon amie et le breton se sont mariés quelques années plus tard !
Nous étions attendus dans la mission catholique de Ouagadougou où nous avions réservé des chambres. On s’est serrés un peu pour faire de la place à nos nouveaux amis.
Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de Ouaga, où nous sommes restés peu de temps.
Mais les quelques jours à Bobo Dioulasso ont rempli mon coeur pour toujours.
Oui, là-bas, j’ai vraiment rencontré des « hommes intègres ».
Logés de nouveau à la mission catholique, nous avons été accueillis par Jean-Marie Reeber, missionnaire alsacien, qui nous a vraiment fait partager la vie de ceux à qui il était donné comme prêtre Fidei Donum, ses paroissiens, les jeunes de la JOC. Des prénoms me reviennent : Yvonne, Simone, Jean, André, François… Avec eux nous avons parlé, dansé, mangé le tô, nous sommes allés dans des villages reculés où les femmes pilaient le mil, où on a mis des beaux bébés dans nos bras, pour une photo, peut-être l’unique photo qu’ils auraient de leur jeune âge.
De toutes ces rencontres, je garde le souvenir de larges sourires sur des visages sans masques. D’authentiques partages. D’une grande leçon de vie : quand la mort peut frapper à cause du paludisme, d’une maladie qui ne sera pas soignée à temps, quand on ne mange pas forcément tous les jours à sa faim, on aime la vie, tout ce que la vie peut nous apporter de bon. On n’est pas dans le futile. On voit l’essentiel. Je ne suis qu’une pauvre jeune européenne, et les « hommes intègres » m’apprennent la vie, la vraie.
Jean-Marie aussi m’apprend la vie. L’authenticité d’une vocation. La foi traduite en actes.
Les années suivantes, je reçois son courrier annuel à ses amis, patiemment tapé à la machine. Il y ajoute toujours un petit mot personnel.
J’aimerais tant le revoir !
Les années passent. Je m’installe dans sa région. Je suis mariée, j’ai une famille, et j’aimerais bien aller le voir, chez lui !
Mais voilà, en Europe aussi, il y a des maladies qu’on ne parvient pas à guérir.
Jean-Marie n’a pas eu le temps d’avoir 50 ans.
Je voudrais par ce billet te rendre hommage, Jean-Marie.
Merci pour tout ce que tu as apporté à ceux que l’Eglise t’a confiés.
Merci pour tout ce que tu m’as apporté, ce trésor de ta foi qui brûle encore dans mon coeur aujourd’hui.
Véronique Belen (aller sur son site)