DJ Arafat : au-delà des clivages politiques ivoiriens
La popularité de l'artiste, mort brutalement le 12 août, dépassait les clivages politiques et le « roi du coupé-décalé » entretenait de bons rapports avec toute la classe politique ivoirienne. Son amitié avec le ministre Hamed Bakayoko, elle, fut d'un autre ordre.
Le chef de l’État, Alassane Ouattara, son prédécesseur, Laurent Gbagbo, son ancien allié Henri Konan Bédié, le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, l’ancien président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro, et l’ex-Première dame Simone Gbagbo… La classe politique ivoirienne dans toute sa diversité s’est empressée de rendre hommage à DJ Arafat, décédé le 12 août à l’âge de 33 ans. Les médias de tous bords – presse bleue (pro-Gbagbo), journaux favorables au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ou proches du pouvoir – leur ont emboîté le pas.
Une popularité qui dépassait les clivages
L’incroyable popularité de l’artiste ivoirien dépassait les clivages. Arafat ne s’en était d’ailleurs jamais vraiment mêlé. Ce n’était pas son truc, et cela ne ressemblait pas à sa musique, le coupé-décalé, qui, né dans les années 2000, fut tout de suite moins engagé que le zouglou ou le reggae. « Le coupé-décalé a émergé au moment de la rébellion en 2002. C’était une musique inspirée par les artistes de la RD Congo et le style m’as-tu-vu d’une partie de la diaspora ivoirienne. Si le zouglou a accompagné la lutte pour le multipartisme, le coupé-décalé a laissé très peu de place aux messages politiques. En revanche, le prestige de ses chanteurs a toujours été revendiqué par les hommes politiques », explique le chercheur ivoirien Arthur Banga.
S’il préférait s’en tenir à l’écart, DJ Arafat aura toujours entretenu des bons rapports avec la classe politique ivoirienne. Sous le régime de Laurent Gbagbo, ce Wé (peuple originaire de l’ouest du pays, traditionnellement favorable à l’ancien président) faisait régulièrement la fête avec les enfants des cadres du Front populaire ivoirien (FPI). Par la suite, il eut des contacts réguliers avec des personnalités comme Henri Konan Bédié, qu’il rencontra en 2017, en marge du Festival international de la culture et des arts de Daoukro (Ficad).
Son amitié avec Hamed Bakayoko fut d’un autre ordre. DJ Arafat fit sa connaissance en 2004 par une de ces chaudes soirées abidjanaises. Il était venu chanter pour l’anniversaire d’une importante personnalité et, après le show, le ministre des Nouvelles technologies de l’Information et de la Communication de l’époque l’avait invité à sa table. « Il m’a raconté son histoire, j’ai appris à le connaître. J’avais beaucoup aimé son premier album [Goudron noir, sorti un an plus tôt]. Je lui ai dit qu’il avait un avenir, qu’il fallait qu’il travaille pour faire fructifier son talent et qu’il pouvait compter sur moi pour l’aider dans sa carrière », confie Bakayoko à JA.
Arafat et moi, nous sommes les enfants du système ivoirien : des jeunes de familles modestes qui ont grandi dans des quartiers populaires et qui se sont battus pour progresser
Entre l’imposant golden boy et la star montante, il y a une génération d’écart, mais le coup de foudre est immédiat. L’homme politique est un ancien patron de boîte. C’est un mélomane qui aime plus que tout le monde de la nuit. Surtout, il se reconnaît dans cet enfant turbulent qui a fait ses classes au fin fond de Yopougon. « Arafat et moi, nous sommes les enfants du système ivoirien : des jeunes de familles modestes qui ont grandi dans des quartiers populaires et qui se sont battus pour progresser », dit-il. En bon homme politique, Bakayoko est également intrigué par l’incroyable succès d’Arafat auprès de la jeunesse africaine. « Je me disais : comment arrive-t-il à donner autant d’émotions ? Partout où j’allais, on me parlait de lui. »
Hamed Bakayoko est ainsi devenu son parrain. Arafat venait jouer aux anniversaires de sa fille et était souvent convié aux dîners mondains organisés par le ministre. Assis à la même table que des membres du gouvernement ou des ambassadeurs, l’artiste est mal à l’aise, mais Bakayoko apprécie particulièrement sa présence.
Arafat savait ressentir les choses. En tant qu’homme politique, ça m’intéressait aussi de l’écouter pour comprendre le mode de fonctionnement d’une certaine génération
Dans un microcosme politique trusté par les grandes familles, cette amitié détonne. Arafat est parfois incontrôlable et pas toujours fréquentable. « J’ai toujours assumé mes relations, mon art de vivre, ma manière d’être. Arafat savait ressentir les choses. En tant qu’homme politique, ça m’intéressait aussi de l’écouter pour comprendre le mode de fonctionnement d’une certaine génération. J’ai beaucoup appris à son contact », raconte « Hamback ». L’ambitieux politique a-t-il surfé sur la popularité du musicien ? « Quand je l’ai rencontré, j’étais déjà ministre. Je n’ai jamais cherché à profiter de lui. C’était une amitié sincère », se défend-il.
Le ministre d’État, chargé de la Défense, a tout de même pu compter sur son soutien lors de l’élection municipale d’octobre 2018. Candidat dans la commune d’Abobo, il avait préféré qu’Arafat ne vienne pas chanter lors du lancement de sa campagne. L’artiste avait tout de même appelé à voter pour lui. « Arafat a suscité un grand engouement autour de la campagne », concède un proche du ministre.
Je n’ai jamais interféré avec la justice, mais je l’ai aidé à mieux se défendre. Je me faisais un devoir de le protéger
Si leur amitié s’est parfois distendue, Bakayoko a toujours défendu son poulain. Plusieurs sources affirment que le ministre n’hésitait pas à décrocher son téléphone à chacun de ses (nombreux) démêlés avec les pouvoirs publics. Condamné à douze mois de prison en mai 2018 pour coups et blessures, DJ Arafat n’a jamais eu à purger sa peine. « Je n’ai jamais interféré avec la justice, mais je l’ai aidé à mieux se défendre. Je me faisais un devoir de le protéger », assure le ministre. Au début de l’année 2018, DJ Arafat avait reçu JA dans un hôtel parisien. « Il m’a toujours soutenu et m’a beaucoup aidé, tant mentalement que financièrement. Il me donne des conseils. C’est mon papa », avait-il affirmé.