À Dakar, 20 jeunes femmes africaines récompensées pour leurs travaux scientifiques

| Par - Envoyée spéciale à Dakar
Les lauréates du prix L'Oréal-Unesco à Dakar, le 22 novembre 2019.

Parmi plus de 400 candidatures, 20 femmes originaires du continent africain ont été récompensées par la Fondation L’Oréal et l’Unesco, ce 21 novembre à Dakar, pour leurs travaux scientifiques.

Fatou Joof avait trois ans lorsqu’elle a failli mourir du paludisme, et elle affirme qu’elle s’en souvient encore : « Mes parents avaient baissé les bras : ils étaient persuadés que je n’allais pas m’en sortir ». Près de trois décennies plus tard, c’est dans le même hôpital privé de Banjul, en Gambie, où elle a failli perdre la vie, que la jeune femme oeuvre, depuis deux ans, à l’éradication de la forme la plus sévère de la maladie.

La scientifique étudie la mutation des globules rouges, qui permet de protéger certains individus du virus. « Le taux de mortalité dû au paludisme a drastiquement diminué depuis mon enfance, mais des gens meurent toujours de la maladie, rappelle la jeune femme, qui rêve de faire partie de la solution pour « éradiquer totalement la malaria sévère dans le monde ».

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Fatou Joof, chercheuse gambienne, à Dakar le 22 novembre 2019. © Layepro pour la Fondation L’Oréal

 

Mes parents ont eu quatre filles, ils n’ont donc pas vraiment eu le choix : ils sont devenus féministes par obligation

Si la jeune femme reconnaît avoir dû faire « énormément de sacrifices personnels » pour mener sa recherche , elle se considère comme chanceuse d’avoir pu bénéficier d’un soutien familial. « Mes parents ont eu quatre filles, ils n’ont donc pas vraiment eu le choix : ils sont devenus féministes par obligation ! »

Mais la Gambienne sait qu’elle est une double exception. Selon l’Unesco, seuls 2,4 % des scientifiques dans le monde sont africains. Moins d’un sur trois est une femme.

Bourse de 10 000 à 15 000 euros

Pour aider les femmes scientifiques à intégrer la place qui leur échoit dans ce monde fermé, la Fondation L’Oréal et l’Unesco ont lancé, il y a 22 ans, un programme qui vise à soutenir les programmes de recherche menés par des femmes à travers le monde.

Pour la deuxième année consécutive, une version de ce programme entièrement dédiée à l’Afrique a récompensé 20 jeunes femmes du continent. « Il nous faut changer le regard que ces professionnelles portent sur elles-mêmes, détaille Alexandra Palt, la directrice générale de la fondation L’Oréal. Par essence, un scientifique s’interroge toujours. La société apprend aussi aux femmes à continuellement se remettre en question : les chercheuses doutent donc d’elles-mêmes deux fois – d’autant plus que leur travail est souvent remis en cause, justement parce que ce sont des femmes. Il est donc important qu’on leur apporte visibilité et reconnaissance. »

Le prix décerné aux jeunes femmes fait tout de même un peu plus que ça : il s’accompagne d’une bourse allant de 10 000 à 15 000 euros pour financer leurs travaux. Sélectionnées parmi 400 candidates, les 20 professionnelles comptent profiter de ce prix pour mener à bien leurs recherches, souvent menacées par un manque de financement ou la difficulté de combiner leur vie familiale et professionnelle.

Intéresser le gouvernement

« Au début, les gens ne comprennent pas qu’on puisse passer autant de temps à travailler. On m’a souvent reproché mon ambition, affirme Cécile Harmonie Otoidobiga, une biologiste burkinabè. D’ailleurs, très souvent, les femmes qui font de la recherche ne se marient pas : au Burkina, on dit que le mariage et la thèse ne marchent pas bien ensemble. » Elle espère, grâce à ses recherches sur la toxicité des sols, améliorer le rendement de la production nationale de riz, qui ne permet de nourrir aujourd’hui que la moitié de la population du pays. Mais aussi « soulager les paysans et donner du travail aux femmes », affirme la biologiste, qui attend de son travail qu’il conduise le gouvernement à s’intéresser à la technologie.

« Avant d’être une question d’équité ou d’égalité », la mise en valeur des femmes scientifiques et de leur travail « est d’abord une question de développement » pour le directeur de l’Unesco pour l’Afrique de l’Ouest, Dimitri Sagna. « Pour réaliser une véritable transformation structurelle, on a besoin de recherche, de technologie et de science. Or peu de jeunes Africains contribuent à ce domaine, et on ne peut se passer de la moitié de la population que représentent les femmes », ajoute-t-il.