Burkina Faso – Christophe Joseph Marie Dabiré : « Notre pays demeure fréquentable »
Alors que les groupes terroristes ont fait près de 630 victimes civiles et militaires depuis 2015 au Burkina Faso, le Premier ministre Christophe Joseph Marie Dabiré, conscient de l’ampleur du défi sécuritaire, se montre confiant pour l’avenir de son pays.
Le 2 décembre, au lendemain d’une attaque qui a fait quatorze morts dans un lieu de culte protestant dans l’est du pays, le Premier ministre burkinabè a rappelé l’importance de la cohésion nationale face à la menace jihadiste. Si Christophe Joseph Marie Dabiré, 71 ans, est conscient de l’ampleur du défi sécuritaire – les groupes terroristes ont fait près de 630 victimes civiles et militaires depuis 2015, et plus d’un demi-million de déplacés internes et de réfugiés –, il se montre confiant pour l’avenir de son pays.
Économiste modéré et homme politique averti, le chef de l’exécutif burkinabè, nommé en janvier, défend les projets mis en œuvre par son gouvernement dans le cadre du PNDES et assure préparer activement la prochaine échéance électorale, la présidentielle de 2020.
Jeune Afrique : Dix mois après votre prise de fonctions, quel bilan dressez-vous de l’action de votre gouvernement ?
Christophe Dabiré : Les Burkinabè attendaient que l’on annonce de grandes réformes et des actions d’envergure, mais ce gouvernement a été nommé dans un contexte difficile et ne peut faire abstraction de la situation sécuritaire qui est la nôtre, de l’effritement de la cohésion sociale et des freins au développement économique et social. Nous avons dû gérer le mouvement de grève dans la fonction publique tout en tentant de rétablir la paix et la sécurité dans le pays. Cela n’a pas été facile.
Le Burkina est devenu une zone refuge pour les jihadistes refoulés hors du Mali ou du Niger
D’aucuns diraient même que la situation s’est dégradée ces derniers mois…
Je le reconnais, même si la situation dans laquelle se trouve notre pays aujourd’hui n’est pas pire qu’ailleurs et s’explique par la montée en puissance des combattants du groupe État islamique dans notre région. Le terrorisme s’appuie sur des forces externes qui permettent aux combattants locaux de renforcer leurs compétences et leur entraînement et qui mettent à leur disposition une logistique nouvelle.
Les attaques de grande ampleur, comme celles qui ont été perpétrées récemment à Koutougou [24 morts le 19 août] et Indelimane [49 tués le 1er novembre], au Mali, sont le fait d’assaillants aguerris. C’est ce qui explique nos difficultés à les combattre et le harcèlement dont sont victimes nos forces de défense et de sécurité. Le Burkina est devenu une zone refuge pour les jihadistes refoulés hors du Mali ou du Niger par des opérations militaires.
L’armée burkinabè se trouve-t-elle démunie face à la menace ?
Nous sommes dans une dynamique de renforcement des capacités opérationnelles et de montée en puissance de nos forces de défense et de sécurité, au sein du G5 Sahel notamment. Je considère qu’aujourd’hui nous apportons les réponses adaptées. Nous savons tous que la situation sécuritaire est difficile, mais nous nous battons, nous avons même commencé à remporter des victoires. Pérenniser ces acquis requiert cependant que la communauté internationale règle définitivement la question libyenne.
Blaise Compaoré, en exil en Côte d’Ivoire, fait-il partie de la solution à la crise ?
L’ancien président est un citoyen burkinabè. Il aime son pays et, ayant été au pouvoir pendant vingt-sept ans, il connaît la situation. S’il peut apporter une solution dans le contexte difficile qui est le nôtre, il devrait se manifester de façon claire. Nous avons lancé un appel aux volontaires. Si Blaise Compaoré est volontaire, qu’il le dise.
Malgré ces restrictions, malgré ces interdictions, le Burkina demeure fréquentable
Les États-Unis et la France, partenaires du Burkina dans la lutte antiterroriste, ont récemment déconseillé la totalité du pays à leurs concitoyens. Qu’en pensez-vous ?
Je ne m’en inquiète pas. Le Burkina n’est pas le premier pays dans lequel ces mesures sont préconisées par les chancelleries occidentales. La diplomatie internationale joue sa partition. Nous avons, nous, le devoir de démontrer que la perception de la situation sécuritaire à l’étranger est biaisée. L’important, c’est ce que les Burkinabè pensent de leur pays. Car malgré ces restrictions, malgré ces interdictions, le Burkina demeure fréquentable. Vingt millions de Burkinabè n’ont pas tout d’un coup déménagé à cause de l’insécurité !
On répertorie tout de même 500 000 déplacés…
Et nous travaillons à faire en sorte qu’ils puissent rentrer chez eux. Ce ne sont pas des laissés-pour-compte. Nos concitoyens doivent surmonter la peur et la psychose causées par des groupuscules qui tirent dans les villages et attaquent les marchés.
Dans la province du Lorum, dans le nord du Burkina, les populations s’organisent pour chasser ces groupes armés. Cela change-t-il la donne ?
Oui, mais les groupes d’autodéfense qu’ont constitués les Kolgweogo ou les Dozos, par exemple, obéissent à leurs propres règles. Nous devons réfléchir à la manière d’encadrer ce type de mouvements pour éviter qu’ils occasionnent des dérapages et des affrontements intercommunautaires. Le président Roch Marc Christian Kaboré a insisté sur ce point. Une commission se penche actuellement sur les textes de loi pour encadrer le recrutement de volontaires [qui pourront être armés]. Comme l’a annoncé le chef de l’État au début du mois de novembre, ils viendront en soutien aux forces de défense et de sécurité.
L’opinion publique a le sentiment que Paris se rend complice de certaines exactions
On assiste en parallèle à la montée d’un sentiment antifrançais. Comment l’expliquez-vous ?
Je comprends fort aisément que ce sentiment soit présent au sein de l’opinion publique, qui n’est pas toujours informé de l’état de notre coopération avec Paris. Mais les rapports entre nos deux pays sont excellents. En dépit du fait qu’elle conseille à ses ressortissants de ne pas se rendre au Burkina Faso, la France nous apporte une aide budgétaire, elle injecte des sommes colossales pour financer des projets de développement. Elle poursuit également sa coopération militaire.
L’opinion publique a le sentiment que Paris se rend, d’une manière ou d’une autre, complice de certaines exactions. On se dit qu’il n’est pas possible que la France, avec la puissance de feu qui est la sienne, soit présente dans nos pays et que les massacres continuent. Laissez-moi vous dire qu’elle est là dans le cadre d’accords clairs et qu’elle n’intervient qu’à notre demande. Je peux vous assurer que nous travaillons en étroite intelligence avec elle, comme nous le faisons avec les États-Unis d’ailleurs.
Faut-il, selon vous, négocier avec les groupes armés ?
Mais négocier avec qui et comment ? Nous faisons face à de plus en plus d’attaques non revendiquées, dont nous essayons d’identifier les auteurs. Est-ce Aqmi ? Est-ce Ansar Eddine ? Est-ce telle ou telle katiba ? Nous ne le savons pas, même si nous disposons d’informations précises sur les déplacements de certains de ces groupes.
Considérez-vous aujourd’hui que l’attaque de Boungou, dans laquelle 40 personnes ont été tuées au début du mois de novembre, marque un tournant comme l’a été le massacre de Yirgou, qui a fait plus de 50 morts en janvier dernier ?
Ce qui s’est passé à Yirgou ne doit pas se répéter ailleurs, et nous y travaillons. Ce que veulent les terroristes, c’est semer la terreur au sein des populations pour amener à un soulèvement, c’est créer le chaos en attaquant les marchés et en tuant les employés locaux des mines, comme à Boungou. Ils veulent désorganiser l’économie en s’en prenant aux mines, et toutes les grandes villes sont des cibles potentielles. Maintenant, y a-t-il eu un tournant dans la lutte contre le terrorisme ? Non. Nous avons déjà un dispositif de riposte.
À moins d’un an de la prochaine présidentielle, beaucoup d’incertitudes planent sur la tenue de ce scrutin…
Les différents partis ont élaboré une feuille de route au sortir du dialogue politique. Nous œuvrons avec les partenaires pour respecter l’échéance électorale. Nous voulons dans la mesure du possible que le scrutin se déroule sur l’ensemble du territoire.
En matière de politique intérieure, c’est vous qui, en tant que Premier ministre, êtes chargé de la mise en œuvre du Plan national de développement économique (PNDES). Quel bilan en dressez-vous ?
Nous voulons que les Burkinabè constatent et apprécient l’action du chef de l’État. Nous avons déjà lancé de très nombreux projets, dont ceux des hôpitaux universitaires de Manga et de Ziniaré, de l’université Ouaga II ou encore du port sec de Bobo-Dioulasso, en cours de construction. Le Fonds saoudien de développement va bientôt finaliser l’accord pour le financement de la route Tougan-Ouahigouya, et nous allons ensuite démarrer la construction de la route Kaya-Djibo-Dori.
Nous tentons également de répondre à la fronde sociale. Nous avons été très clairs avec les partenaires sociaux : mon gouvernement mettra en œuvre les protocoles d’accord déjà signés, mais il n’y aura pas de nouveaux engagements tant que la remise à plat des salaires ne sera pas effective. Nous allons vers une trêve pour permettre à notre pays de lutter contre le terrorisme.
Quel est aujourd’hui votre état d’esprit ?
Les Burkinabè sont critiques, très politiques aussi, et cela s’explique par notre histoire récente. Mais je suis serein et j’ai confiance en l’avenir. Nous avons tous intérêt à préserver ce pays, même l’opposition le reconnaît. Et le dialogue politique engagé par le chef de l’État démontre que nous avons tous envie de regarder dans la même direction. Seules les options politiques diffèrent quant à la manière de parvenir au résultat.