Un jour de fête, deux amis discutent entre eux, une calebasse de dolo en mains, et ce n’est pas la première qu’ils ingurgitent. On vient prévenir l’un d’eux que sa femme est en train d’accoucher. Il dit à son ami : “Si c’est une fille, je te la donne comme fiancée de coutume.” Pas de chance, ce fut un garçon. Lui d’ajouter : “Qu’importe, la prochaine fille que cette femme mettra au monde, ce sera pour toi.”
Trois ans plus tard, naquit une fille qu’on appela “Recherche le don de Dieu”. L’heureux bénéficiaire de ce don de Dieu est donc venu chaque année offrir à ses futurs beaux-parents des petits cadeaux : noix de cola, une cruche de dolo, des pintades, du sel en plaques, etc., à la fois pour rappeler cette promesse et pour montrer qu’il appréciait ce don et, ainsi, faire valoir ses droits quand l’enfant serait en âge de mariage.
Alors, que cela lui plaise ou non, la jeune fille est obligée (yaa tilaye, comme disent les Mossi) de rejoindre celui à qui elle a été promise. Si elle refuse et - choisit la liberté - elle sera bannie de la famille : ne lui a-t-elle pas infligé la honte en l’empêchant de tenir la parole donnée ? Sous le coup d’un interdit, aucun mâle de la grande famille n’acceptera de la saluer et, même en cas de décès, d’aller à son enterrement ou à ses funérailles. Sa propre mère n’aura pas le droit de montrer son chagrin et de pleurer sa fille en public.
Dans les années 1977-78, François, un bon chrétien, vivait heureux avec sa Véronique et leurs cinq enfants quand, un beau jour, le “buud kasma” (chef de la grande famille) lui annonça qu’il avait reçu une fiancée selon la coutume et qu’il la lui destinait. Ce faisant, l’ancien croyait lui faire plaisir ; en fait, il le mettait dans une situation cornélienne.
François se disait : “Si j’accepte, je ne peux plus vivre ma foi chrétienne en plénitude, car je deviens polygame. Et si je refuse, je me mets à dos et ma propre famille et la famille de cette jeune femme qui nous est donnée.”
99 fois sur 100, un chrétien dans cette situation n’osera affronter cette double hostilité et subira, bon gré mal gré, cette coutume : il deviendra polygame sans l’avoir cherché. François, lui, ne l’entendait pas de cette oreille.
II s’est donc procuré une énorme cruche de dolo et a convoqué son buud kasma et les autres anciens de sa grande famille. Quand ils eurent bien bu, il demanda la parole : “Vous tous, mes anciens, vous connaissez le proverbe : ‘Les affaires de famille se règlent en famille’, voilà pourquoi je vous ai demandé de venir ce soir : j’ai une parole qui nous concerne tous : notre buud kasma a voulu m’honorer en m’offrant selon la coutume une des fiancées qu’il a reçues. Je le remercie de tout coeur.
“Merci aussi à cette famille qui a tenu à nous honorer en nous donnant en mariage une de ses filles : c’est un cadeau inestimable qu’on ne peut pas refuser. Mais voilà, vous connaissez le nom que je porte depuis plus de vingt ans, je m’appelle François, je suis chrétien et même si vous vous n’êtes pas catéchumènes et que vous n’avez jamais prié chez les Pères, vous savez que le vrai chrétien ne peut marier qu’une seule femme. S’il en prend une deuxième, son nom de chrétien est gâté.
“Quand notre buud kasma m’a informé qu’il m’offrait cette femme, j’ai été très honoré, je le remercie encore, mais en tant que chrétien, je ne puis accepter cette offre. Je ne veux pas gâter mon nom chrétien, je ne veux pas non plus gâter les affaires de notre famille.
“Voilà donc ce que je propose : parmi nous ici présents, il y en a beaucoup qui peuvent avoir plusieurs épouses : que l’un d’entre eux la prenne à ma place. Car je ne veux pas qu’à cause de mon refus il y ait de la discorde ni entre les familles ou ni entre nous. Tout en restant un vrai chrétien, je veux rester un vrai membre de notre famille. Je prie Dieu chaque jour qu’il nous bénisse tous et qu’il fasse régner la paix entre nous tous. Qu’il bénisse aussi la famille de cette jeune femme qui nous a été donnée.”
Les anciens apprécièrent. L’un d’entre eux profita de la bonne occasion qui se présentait. Et François continua à vivre pleinement sa foi avec sa Véronique et… elle seule.
Charles Sarti