● Sidération, colère et tristesse… Les résultats de l'enquête indépendante initiée par l'Arche ne manqueront pas d'ébranler le monde catholique et, plus largement, tous ceux qui se reconnaissaient dans le message de fraternité de Jean Vanier, son fondateur. Les faits sont accablants mais il faut les regarder en face. La part obscure de Jean Vanier éclate au grand jour, défigurant l'icône à laquelle nous avions fini par nous habituer.
Côté pile : un personnage solaire, laïc inclassable, proche des plus faibles et des oubliés, apôtre de la vulnérabilité, un conférencier hors pair dont la sagesse inspirait les foules. Côté face : un être clivé, drapé dans ses mensonges et ses non-dits, qui a abusé sexuellement d'au moins six femmes entre 1970 et 2005.
Le choc de ces révélations est double : contrairement à ce qu'il a toujours clamé, Jean Vanier a su dès les années 1950 que son père spirituel, le dominicain Thomas Philippe, avait été condamné par l'Église en raison de ses pratiques sexuelles, et de la mystique déviante qui les sous-tendait. Pire : il y a lui-même pris part, et perpétué, jusqu'à une période récente, ces relations d'emprise avec des femmes auxquelles il imposait des relations intimes, sous couvert de justifications mystiques.
Il faut saluer le courage des victimes qui osent rompre le silence. Leur souffrance, si longtemps contenue, est à la mesure de l'aura qui protégeait le Canadien. Peu d'entre nous sortiront indemnes de ces révélations. Moi le premier. Pendant les cinq dernières années de sa vie, j'ai souvent côtoyé Jean Vanier avec lequel j'ai écrit un livre. Sans percevoir les ténèbres de cet homme. J'ai aimé le visage qu'il a bien voulu me présenter. Celui que je découvre aujourd'hui me glace le sang. Il faudra sans doute de longues années pour comprendre.
Que dire ? " L'affaire Vanier " impose, me semble-t-il, une profonde introspection collective. Elle interroge crûment notre besoin de héros, de figures de proue. La Bible ne nous a-t-elle pas assez mis en garde contre les idoles ? Journalistes, croyants, personnalités de tous bords, nous avons contribué à faire de Jean Vanier ce qu'il était : un modèle éblouissant, et par là même intouchable.
Mais voilà. Grâce à lui, et tous ceux qui lui ont emboîté le pas, nos sociétés ont appris à mieux respecter les personnes handicapées. Son héritage, sur ce point, est indéniable. C'est avec ce paradoxe infini que l'Arche – dont la démarche de vérité mérite d'être saluée – va désormais devoir vivre. Comme nous tous.
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