Nous sommes en pays moaga dans le diocèse de Koupèla, Burkina Faso, où je me familiarise avec une nouvelle langue. Un samedi dans l’après-midi, je vais dans un village important pour célébrer le dimanche. Les choses se compliquent pour traverser le marigot avant le village : Toche, l’idiot du village, est là et ne veut pas me laisser passer, menaçant les pneus de ma voiture avec un coupe-coupe : “Père, il a plu et l’eau va monter.” – “C’est vrai, Toche, l’eau monte. C’est Dieu qui t’a envoyé pour m’aider et me montrer où passer dans l’eau sans casser ma voiture.” – “Si c’est Dieu qui le veut, je vais t’aider”. Toche a été très efficace pour m’indiquer le bon passage et me voilà de l’autre côté du marigot. Je remercie Toche pour son aide amicale et Dieu pour m’avoir donné la bonne pédagogie pour le convaincre.
Arrivé au village, tout se passe comme prévu : visite des gens avec le catéchiste, réunion des responsables de la communauté, des jeunes, des enfants. Le dimanche matin, vers 5 heures, le catéchiste me réveille : “Le vieil Antoine est bien malade, viens lui donner le sacrement de l’onction des malades.” Un peu d’eau sur le visage et nous partons à l’autre bout du village. Antoine est l’oncle de notre évêque. Lorsque nous arrivons dans la case, son fils aîné est déjà en train de lui raser la tête en signe de deuil. Cela veut dire qu’il est déjà mort depuis quelques minutes. Trop tard… une bénédiction du corps, une prière, c’est tout ce que je peux faire.
Dans la courette, nous décidons de faire l’enterrement le soir à 17 heures. La messe sera célébrée à son intention. La famille avertira le Père évêque. Je resterai pour l’accueillir. Dans l’après-midi, le vicaire général arrive : “Monseigneur est à Abidjan. J’ai apporté un cercueil que j’ai déposé à la maison du défunt. Je repars pour ne pas être bloqué par le marigot.” – “Tu fais bien, j’espère que je pourrai rentrer après l’enterrement.”
Je vais chez Antoine. La famille est un peu ennuyée : “On n’a pas l’habitude d’une ‘caisse’, mais on va se débrouiller!” – “Avez-vous agrandi le trou ?” - “Oui, nous avons pris la mesure avec cette tige de mil.” Je vérifie la longueur du cercueil. “Tout va bien. Bravo !”
Les nuages assombrissent la lumière du jour et font tourner les aiguilles plus vite ! Nous commençons les prières. Normalement, après le passage à la chapelle, une coutume moaga demande de faire danser le ‘vieux’. Une partie de la foule veut garder le corps, l’autre veut l’enterrer. Le corps doit être bien solidement attaché sur la civière car il est bien secoué et un peu malmené. C’est un peu de théâtre ! On avance, on recule… Finalement tout le monde est d’accord : il est plus sage de l’enterrer ! Le soir vient, la coutume est un peu abrégée, les porteurs n’ont pas l’habitude de faire danser un cercueil trop lourd et sans trop de prises…
Nous arrivons au cimetière. Dernières prières, dernières bénédictions et l’on descend notre vieil Antoine dans sa dernière demeure. Mais les choses se compliquent : le cercueil est à mi-parcours dans la fosse et ne veut ni descendre ni remonter, coincé par les angles. La fosse est bien creusée en haut, mais pas en bas. Que faire ? Notre cher Toche arrive à notre secours : il descend dans la fosse sur le cercueil et se met à sauter à pieds joints tantôt d’un côté, tantôt de l’autre et il faut avouer que le cercueil descend. Certains protestent pour ce manque de respect, mais Toche affirme de plus belle : “Mais je vous dis qu’il est mort !”. Il redouble de courage ; on le laisse faire. C’est lui qui a sauvé la situation. Il sera même félicité quand on aura jugé que le cercueil est assez bas.
Ce soir-là, Dieu a montré son amour à tout le village et à Toche qui a même gagné un bon plat de ‘sarabo’ et une bonne calebasse de ‘dolo’. Pardon Monseigneur, mais Dieu a besoin des hommes.
Jean Moriaud