Les communautés virtuelles sont-elles de vraies communautés ?

Devant la profusion de nombreuses initiatives sur les réseaux sociaux, n’y a-t-il pas un risque de déconnecter la célébration d’une pratique communautaire ? Les réflexions de Mgr Benoist de Sinety, vicaire général du diocèse de Paris.

Les communautés virtuelles sont-elles de vraies communautés ?

Les chrétiens ne vont probablement pas pouvoir retourner à la messe avant le 15 juin prochain, et beaucoup vont continuer à se réunir par ordinateur interposé. Ces communautés virtuelles sont-elles de vraies communautés ? Cela ne risque-t-il pas d’engendrer une certaine lassitude ?

Précisons que rien n’est encore décidé. Les responsables des cultes qui ont dialogué mercredi 22 avril avec le président de la République ont demandé que l’on puisse autoriser au plus tôt, une fois le confinement amorcé, le retour à la pratique, mais rien n’a été tranché. On peut penser cependant qu’il faudra du temps pour revenir aux pratiques habituelles. On a vu fleurir depuis le début du confinement de nombreuses initiatives sur les réseaux sociaux : des prêtres célèbrent la messe ou dispensent des enseignements pour garder un lien avec les fidèles. Ces initiatives sont très appréciées. Certains y ont vu le risque de déconnecter la célébration d’une pratique communautaire, et d’en faire un acte individuel et à distance, intensifiant plus encore que d’habitude le principe du choix d’aller écouter tel prêtre plutôt que tel autre, ce qui dissout l’appartenance communautaire. C’est évidemment un risque. La mise en place de célébrations relayées par internet, tout comme la messe diffusée chaque dimanche à la télévision depuis 1948 pour ceux qui ne peuvent pas s’y rendre, est nécessaire parce qu’elle rend l’absence moins douloureuse, mais elle n’est pas suffisante. Je dirais que c’est un pis-aller.

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On a l’impression, devant toutes ces initiatives, que seule compte la messe. N’y aurait-il pas d’autres formes de pratique à mettre en valeur ?

C’est une question que l’on se pose depuis le concile Vatican II qui, en rappelant que l’eucharistie est la source et le sommet de l’Église, a pu laisser penser que sans la messe, point d’Église possible, point de vie chrétienne possible, point d’Évangile possible. Cela mérite d’être nuancé. Un des grands mérites de l’impossibilité pour les croyants de se rassembler à l’église, c’est qu’elle pourrait faire émerger la liturgie familiale, une forme de célébration dont les catholiques français n’ont pas du tout l’habitude. Les juifs la vivent depuis toujours. Les protestants également, pour une part. Les orthodoxes ont pratiqué des liturgies familiales sous le régime communiste, qui leur interdisait toute célébration publique. Mais c’est une forme de liturgie méconnue du catholicisme français. Dans ma famille, certains de mes cousins qui étaient confinés à la campagne ont allumé un feu pascal dans leur jardin le samedi saint, ont lu les grands récits bibliques de la vigile pascale, ont chanté autour du feu. D’autres qui étaient en appartement à Paris ont partagé en famille l’évangile du dimanche de Pâques… Il ne s’agit pas de remplacer la messe. Mais l’impossibilité de se rassembler pour l’eucharistie permet aux chrétiens de chercher comment entrer en communion avec le Seigneur et avec la communauté chrétienne, par le partage de la Parole ou par la mise en place de petites liturgies familiales qui manifestent le désir de prier et de cheminer ensemble.

On a aussi beaucoup parlé de « communion de désir ». Qu’en pensez-vous ?

B. de S. : C’est quelque chose que l’on a oublié, mais qui n’est pas une simple piste pour temps de crise. Cela nous indique que recevoir le pain de vie, le corps du Christ, nous met certes en communion avec le Seigneur et avec nos frères, mais que le désir profond qui habite notre cœur et qui est nourri par l’Esprit saint permet aussi de trouver un chemin de communion avec le Christ. Il y a des chrétiens qui ne peuvent jamais communier, pour des questions de discipline notamment, en raison de leur état de vie, ou parce qu’ils vivent trop loin du lieu de célébration eucharistique, comme le synode sur l’Amazonie le rappelait récemment. Ces personnes ne sont pas moins chrétiennes que les autres. Charles Péguy n’a pas pu communier pendant des années parce qu’il était marié civilement mais pas religieusement. Il allait néanmoins très souvent à la messe. Et, voyant les gens s’avancer vers l’autel, il serrait les poings et se disait intérieurement : « Je suis bien chrétien, moi aussi ». Tout cela ouvre des perspectives qui je pense, vont être riches pour l’avenir en théologie et dans la vie sacramentelle.

Cela nous rapproche des chrétiens d’Amazonie…

B. de S. : En effet, nous sommes des Indiens depuis un mois. Nous n’avons malheureusement considéré ce synode, nous chrétiens occidentalo-centrés, que comme un lieu de débat ou d’attente sur l’élargissement de la communion aux divorcés-remariés, ce qui n’était pas du tout l’enjeu. Il s’agissait de réfléchir à ce qu’est la communion, et finalement à ce qu’est l’Église. Souhaitons que les théologiens qui se poseront ces questions soient de cultures les plus variées possible, car la diversité des cultures est ce qui fait la richesse de l’Église catholique. Et que des théologiens amazoniens, africains, indiens, européens, puissent, en portant les cultures qui sont les leurs, travailler avec enthousiasme à toutes ces questions-là.

 
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