Ça fait débat: face à la corruption, la mobilisation de toute la société est indispensable
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Gilles Yabi, vous dites qu’il faut absolument impliquer toute la société dans la création d’un environnement hostile à la corruption, et qu’il faut attaquer les systèmes pas seulement les personnes. C'est le quatrième épisode de votre série sur la corruption aujourd’hui.
J’ai expliqué précédemment en quoi la corruption tue littéralement les pays de la région. Elle nuit à l’efficacité de toutes les politiques publiques. Elle décourage l’effort, l’innovation et récompense les esprits les plus malhonnêtes, les moins scrupuleux. Lorsque la situation perdure pendant des décennies, la corruption n’est plus une déviance mais la norme, et c’est pour cela que ce n’est pas suffisant de mettre seulement en avant l’argument moral.
En fait, ce ne sont pas seulement les hommes et leur manque d’intégrité personnelle qu’il faut attaquer. C’est tout un système fait de règles, de fonctionnements, d’institutions mal pensées qui encourage les pratiques de corruption. Dans un environnement de corruption généralisée, le choix rationnel de chaque fonctionnaire n’est pas de se distinguer par son honnêteté. C’est de rentrer dans le moule et de faire comme tout le monde. Quand ils sont isolés dans des systèmes hautement corrompus et corrupteurs, les plus honnêtes n’ont aucune chance… Cela est vrai pour les fonctionnaires mais aussi bien sûr pour les acteurs politiques qui ont un besoin immense d’argent pour financer des campagnes électorales toujours plus coûteuses. Les acteurs politiques les plus intègres ont dans nos systèmes actuels peu de chances d’arriver au pouvoir. Et ils ont peu de chances d’y rester longtemps lorsqu’ils arrivent accidentellement.
Comment inciter alors les citoyens à s’engager dans les efforts de réduction de la corruption ?
D’abord en montrant de manière concrète les dégâts collectifs de la corruption et en étant clair sur le fait que tout le monde peut à un moment ou à un autre en payer le prix fort. Lorsque vous avez des détournements de fonds dans le domaine de la santé ou de matériels médicaux dans les hôpitaux publics, vous pouvez, même en étant riche et puissant, perdre la vie ou voir votre enfant perdre la vie parce que des équipements vitaux achetés n’auront jamais été livrés ou parce que la corruption aura désorganisé les services des urgences.
Ce sont ces conséquences concrètes et graves de la corruption qu’il faut mettre en avant dans la sensibilisation du grand public. Et c’est comme cela qu’on pourra inciter plus de citoyens à s’engager réellement dans cette lutte. C’est possible aujourd’hui d’utiliser la téléphonie mobile, internet, de développer des applications localement pour collecter des informations provenant des citoyens sur des cas suspects de corruption, de détournements de fonds, de manipulation de l’attribution de marchés, de conflits d’intérêts. Des expériences par exemple dans des villes en Inde ont produit des résultats probants. À nouveau, l’objectif n’est pas de passer d’une corruption 10 à une corruption zéro, mais de la réduire progressivement. C’est en étant réaliste et pragmatique qu’on obtiendra des résultats..
Vous évoquez aussi le rôle de l’éducation?
Bien sûr. L’éducation des enfants sur les questions de corruption doit être une composante essentielle de l’émergence d’une culture d’intégrité et de respect du bien public. Dans beaucoup de pays, les cours d’éducation civique et morale qui étaient dispensés au moins dans les écoles primaires n’existent plus. Il convient de les réintroduire, on peut les appeler comme on veut, l’essentiel est de transmettre des valeurs et des principes autour du respect du bien commun, de l’intérêt général. Dans un pays comme la Suisse, dans des pays d’Europe du Nord et dans plusieurs pays asiatiques, on apprend aux enfants ce qu’est un bien commun et pourquoi il faut le respecter et le préserver. Il n’y a rien qui ne puisse être transformé par l’éducation des enfants. Il est urgent de le faire en Afrique en allant aussi chercher des références dans les valeurs éducatives des sociétés traditionnelles.