Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) 125 ans au Mali pour la promotion du mɔgɔya par l’évangile
En 1895, soit 27 ans après leur fondation, les Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) arrivaient au Mali (Soudan français). Ils firent escale à Ségou où ils arrivaient un premier avril 1895 avant de s’installer à Tombouctou un mois plus tard, soit le 02 mai 1895, réalisant ainsi le rêve de leur Fondateur, trois ans après la mort de ce dernier. En 1899 ils ouvrirent le poste de Ségou. Après 13 ans, les pères avaient quitté Tombouctou pour aller renforcer le poste de Ségou.
En l’année 2018, la Société des Missionnaires d’Afrique célébrait 150 ans de sa fondation en 1868 par le Cardinal Lavigerie, alors Archevêque d’Alger. 2018 est aussi l’année au cours de laquelle l’Eglise du Mali célébrait 130 ans d’accueil de l’évangile grâce aux Missionnaires du Saint Esprit en 1888. Sept (7) ans après les Spiritains, arrivaient les Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) qui ont véritablement implanté l’église catholique au Mali. En 2018, les Missionnaires d’Afriques en mission au Mali célébraient donc 123 ans de présence continue dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Les pionniers de la mission au Mali ont bénéficié d’un bon accueil des populations ségouviennes et un peu moins des populations tombouctiennes. Leur première tâche était d’apprendre la langue locale, selon la recommandation de Lavigerie qui voulait que le missionnaire se rapproche des populations auxquelles il est envoyé. Ce que le missionnaire ne savait pas, c’est que sa démarche était comprise par le malien comme s’inscrivant dans sa tradition séculaire du « sènankounya ». En effet, le « sènankounya » qui est généralement traduit par « parenté à plaisanterie » est en réalité « principe d’hospitalité » qui avait été institué en système politique par le légendaire souverain de l’empire du Mali, Soundjata Keita. Le « sènankounya » est une alliance particulière scellée entre une communauté villageoise et un individu qui quittait son propre village pour aller vivre dans un autre village d’accueil. Dès lors qu’il était accueilli, il prenait le nom de famille du village d’accueil. Si un Konaré décidait de vivre chez les Coulibaly, il devenait Coulibaly. Par conséquent, il se créait entre le village d’origine de l’individu accueilli (les Konaré) et le village d’accueil (les Coulibaly) une sorte de fraternité. Les membres du village d’accueil considéraient le nouveau-venu comme l’un d’eux et membre effectif de la communauté ; même si ce dernier ne pouvait pas participer à certaines cérémonies et au conseil des sages du village. Il devait, pour cela, faire preuve de fidélité et de bonne foi. Le nouveau venu était accueilli comme une force nouvelle dans la communauté d’accueil. Il emmène avec lui la sagesse, des secrets importants, son savoir-faire, son savoir-être et ses croyances. En réalité, l’incorporation du nouveau-venu était, de fait, une signature du pacte de non-agression entre les habitants de deux villages afin de protéger les relations humaine (mɔgɔya) et fraternelle (badenya).
A travers l’apprentissage de la langue, les Missionnaires ont été incorporés dans les villages et dans les familles d’accueil desquels ils recevaient des noms de famille et étaient considérés comme tels. Plusieurs missionnaires ont contribué à structurer les langues selon les règles linguistiques, en rédigeant des dictionnaires et ouvrages de grammaire. Ils ont apporté aussi l’évangile que le mali a accueilli comme une force nouvelle qui aiderait à améliorer la vie de la communauté.
L’approche des Missionnaires d’Afrique consistait en une sorte d’immersion dans le milieu d’accueil afin de comprendre les us et coutumes des populations, afin de bien annoncer l’évangile et implanter l’église catholique. Ils avaient à cœur de réaliser le travail d’initiateurs car, comme le disait Lavigerie, l’œuvre durable serait réalisée par les maliens eux-mêmes.
L’approche missionnaire de ceux qu’on appelle « Pères Blancs » n’a pas changé au Mali depuis 125 ans. Les Missionnaires d’Afrique continue à apprendre les langues locales ainsi que les us et coutumes. Ils ont découvert le mͻgͻya (humanité) comme un important point d’ancrage du message évangélique. Ce terme « mͻgͻya » se réfère aux valeurs humaines de fraternité, d’hospitalité, de compassion, de tempérance, d’honnêteté, du courage, de la vérité, de la justice, du pardon etc. L’honneur (Horonya) s’obtient par la pratique des valeurs humaines. Par conséquent, l’honneur qui revient à chacun est directement proportionnel à la manière dont la personne vit ces valeurs. L’honneur (Horonya) est donc l’aspiration de chaque malien qui, dès le bas âge est initié à ces valeurs. C’est une honte pour un individu, pour sa famille et même pour son village de vivre les antivaleurs : le mensonge, le vol, la paresse, l’impolitesse, l’injustice, l’intempérance etc. C’est cela qui constitue la chose horrible que le malien traditionnel évite de telle manière qu’il jure préférer la mort à la honte (saya ka fisa ni malo ye [mieux vaut la mort que la honte]). Ces valeurs humaines concernent toutes les personnes et constituent le ferment d’unité et de cohésion sociale.
En effet, toute la vie de Jésus Christ et tout son enseignement n’est rien d’autre que l’accompagnement de l’homme vers les valeurs humaines pour qu’il devienne plus humain, afin d’atteindre « l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude » (Eph 4, 13).
L’œuvre évangélisatrice des Missionnaires d’Afrique consiste d’abord à confirmer l’authenticité des valeurs humaines du mͻgͻya. Ensuite ils présentent Jésus Christ comme le Maitre et le Chemin vers la plénitude du mͻgͻya. Il suffit de se mettre à son école pour acquérir toutes ces valeurs. Enfin, ils expliquent l’évangile par des termes faciles (catéchèse) et invitent à la lecture et à la méditation de l’enseignement de Jésus contenu dans les évangiles ; car il conduit sûrement, non seulement vers l’honneur (Horonya), mais aussi vers l’instauration du Royaume de Dieu sur terre pour que règne la fraternité, l’entente, la justice, le pardon, la paix, le bonheur et la joie de vivre.
La communauté qui s’est constituée autour de l’enseignement de Jésus répercuté par les missionnaires est l’Eglise. Elle est la manifestation de la fraternité qui dépasse le lien de sang, le lien de sènankounya et de toute autre affinité pour ouvrir vers la fraternité universelle qui réunit ceux qui se reconnaissent comme enfants d’un même pays, d’une même terre, partageant la même humanité et enfants du même et unique Dieu.
Pascal Kapilimba