Makalé Traoré : « Avec Alpha Condé, on a mis la barre trop haut »
Makalé Traoré, candidate à l'élection présidentielle du 18 octobre 2020 en Guinée © DR
Ex-directrice de campagne d’Alpha Condé, elle est aujourd’hui candidate à la présidentielle face à lui. Entretien avec Makalé Traoré, qui s’attaque désormais au bilan de son ancien patron.
Elle se présente comme la « candidate des femmes ». Makalé Traoré, du Parti de l’action citoyenne par le travail (PACT), brigue pour la première fois la magistrature suprême. Elle fait montre d’optimisme et mise sur sa crédibilité au sein de la société civile pour porter sa candidature. Juriste et économiste de formation, Makalé Traoré n’est pourtant pas une novice en politique : elle a notamment été ministre de la Fonction publique en 2008 sous Lansana Conté.
Présidente du Réseau des femmes africaines, ministres et parlementaires de Guinée (REFAMP) et de la Coalition des femmes et filles de Guinée pour le dialogue et la construction de la paix et le développement (COFFIG), elle dénonce aujourd’hui la « mauvaise gouvernance » et les « injustices sociales » qui, selon elle, fragilisent son pays. C’est pourtant elle qui a contribué, en 2010, à mener Alpha Condé à la victoire en tant que directrice de campagne. Un compagnonnage auquel elle a mis fin d’elle-même, assure-t-elle à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Après avoir passé près de dix ans loin de la sphère politique, pourquoi avez-vous décidé de vous présenter à l’élection présidentielle ?
Makalé Traoré : Mon pays traverse des moments difficiles. J’ai eu une longue expérience dans le secteur privé, j’ai enseigné pendant des dizaines d’années et j’ai pu observer les souffrances des femmes, l’inadéquation du système éducatif, l’abandon de nos villages et de nos valeurs. Je connais la souffrance des Guinéens. Ce sont les femmes qui m’ont portée afin que j’accède à un poste de décision au sommet, pour pouvoir changer le cours des choses, dans un pays qui est dirigé sans elles. L’élément fondamental de mon programme est l’inclusion sociale, économique et financière, pour corriger ces injustices. Les Guinéens ont essayé plusieurs choses, et aujourd’hui, ils veulent essayer Makalé Traoré.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">JE SOUHAITERAIS RÉTABLIR LE TEXTE DE 2010
La Constitution adoptée cette année vous permet-elle de participer aux élections dans de bonnes conditions ?
Je le fais avec l’outil qui me permet d’y aller. Mais cette Constitution a été remplacée dans des conditions chaotiques, que le monde entier a observées, et je souhaite rétablir le texte de 2010. Certes, il n’est pas parfait, mais il a été accepté par les Guinéens et pourrait mener le pays à l’apaisement.
Plusieurs candidats de l’opposition ont maintenu leur décision de boycotter le scrutin du 18 octobre, tandis que la candidature de Cellou Dalein Diallo a été critiquée par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) qui l’a exclu de ses instances décisionnaires. Quel regard portez-vous sur cette stratégie de boycott ?
Je pense qu’il aurait fallu que les différents acteurs s’entendent sur une stratégie et discutent des conditions de leurs candidatures. Mais une porte fermée amène des fractures. Il était nécessaire que tous aillent à cette élection pour sauver le pays et ne pas laisser le président se présenter seul. Et surtout, pouvoir se liguer derrière le candidat le mieux placé pour remporter le scrutin au deuxième tour.
Vous n’envisagez pas la possibilité d’une victoire d’Alpha Condé dès le premier tour ?
Non. Je le dis avec conviction, je connais le terrain. Je ne me suis pas présentée pour perdre, je me suis présentée pour changer la donne, et je sais que la Guinée va surprendre le monde au soir du 18 octobre. Moi, je suis candidate pour être élue, et je serai élue par les Guinéens, parce que je sais qu’ils attendent quelqu’un qui leur parle un langage de vérité et qui tient ses promesses.
Est-ce à dire que le chef de l’État, dont vous avez été la directrice de campagne en 2010, n’a pas tenu les siennes ?
La situation que je viens de décrire est la conséquence de la mauvaise gouvernance que nous subissons depuis des années. J’ai exprimé depuis longtemps ma déception.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">ON ATTENDAIT D’ALPHA CONDÉ QU’IL SOIT LE MANDELA DE LA GUINÉE
Quelles leçons avez-vous tirées de cette campagne ?
C’était une belle expérience. Je suis fière d’avoir été la première femme à diriger une campagne, et d’avoir remporté la victoire. Cependant, il est très important de savoir s’éloigner d’un système qui s’éloigne de ce qu’on attend de lui. J’ai soutenu le président Alpha Condé, comme beaucoup d’autres. Qu’est-ce qu’on attendait de lui ? Qu’il soit le Mandela de la Guinée, qu’il mette fin à la gouvernance de la corruption et à la mauvaise gestion des biens publics.
Alpha Condé a récemment proposé à Mamadou Sylla, le chef de l’opposition au sein de l’Assemblée nationale, de se rallier à sa candidature. Ce dernier a décliné, mais a finalement décidé de ne pas se présenter. Si une telle proposition vous est faites, par le chef de l’État, quelle réponse lui donneriez-vous ?
Alpha Condé n’a pas suivi la ligne promise. Il sait qu’il ne peut pas m’appeler. Il sait que je n’ai qu’une parole. Il ne m’appellera pas.
Avez-vous toujours des contacts avec lui ? L’avez-vous informé quand vous avez décidé de vous présenter ?
Ça n’est pas mon genre. Je n’ai pas à l’informer, c’est aux Guinéens que je demande leur suffrage. La rupture avec le président s’est faite rapidement. Dès la campagne, je m’étais rendu compte qu’on mettait la barre trop haut. En janvier [2011], j’ai tourné la page.
Les problèmes liés au fichier électoral, déjà soulevés lors du double scrutin de mars dernier, ne sont toujours pas résolus. Avez-vous confiance en la capacité de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) d’assainir le fichier ?
Je ne gère pas le fichier, je ne peux pas dire à quel niveau il est. Je m’en tiens aux informations qu’on me donne. Je vais suivre l’évolution de son traitement et prendrai mes précautions pour que les votes soient respectés. Mais je compte sur la mobilisation des Guinéens : lorsque la population veut changer les choses, aucune tricherie, aucun montage, aucun fichier, aucun mécanisme de bourrage ne peut arrêter sa marche vers la victoire.