Fatoumata Ba : « La technologie est un levier massif pour créer des emplois »
Fatoumata Ba, à RFI, le 2 octobre 2020. © Vincent Fournier pour JA.
Entrepreneuriat féminin, rôle de la technologie, perception du risque… L’ex-dirigeante de Jumia Côte d’Ivoire, créatrice de la plateforme d’investissement Janngo, est l’invitée de Jeune Afrique et RFI, samedi 3 octobre à 12 h 10, heure de Paris.
Après avoir lancé la place de marché Jumia en Côte d’Ivoire, puis dirigé sa plus grosse filiale au Nigeria, Fatoumata Ba a créé Janngo pour épauler et financer de jeunes pousses africaines. En novembre 2019, l’entrepreneure sénégalaise a annoncé vouloir lever 60 millions d’euros.
La banque européenne d’investissement lui a confié 15 millions d’euros, dont une partie a déjà été injectée dans trois start-up dont la plateforme logistique Jexport.ci. Parallèlement, elle s’est aussi impliquée – à la demande de Strive Masiyiwa, fondateur d’Econet, et aux côtés de l’Union africaine, de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies et du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies – dans la création d’une plateforme permettant aujourd’hui à une trentaine d’États de mutualiser leurs commandes de tests, de masques, et demain sans doute de vaccins.
Fatoumata Ba est la grande invitée ce mois de l’émission Éco d’ici, Éco d’ailleurs, coproduite par Jeune Afrique et RFI, et diffusée sur RFI samedi 3 octobre à 12h10, heure de Paris, 10 h 10 TU. Extraits.
- Présidentielle ivoirienne
Tous les Ivoiriens ont en mémoire les conséquences de l’élection de 2010. Personne ne veut revivre une situation d’instabilité et de perte de PIB et de vies humaines. Je pense que les responsables politiques sauront prendre leurs responsabilités pour préserver la renaissance économique de la Côte d’Ivoire qui est aujourd’hui un poumon de l’Afrique de l’Ouest.
- Vision de l’Afrique
Concernant l’Afrique, je pense qu’il ne faut ni tomber dans l’optimisme béat, ni dans des poncifs qui font la une des médias en Europe. J’ai été très souvent atterrée d’être interviewée par des journalistes qui ont une vision étriquée et ne parlent que d’aide au développement et pas d’opportunités d’investissement.
Et cela va avoir un effet assez pervers sur la perception du risque économique sur le continent. Avant la pandémie, on n’a pas assez rappelé que sept des dix premiers pays avec la plus forte croissance étaient africains. Et ils l’étaient déjà sur les cinq à dix dernières années.
- Levées de fonds
Je ne spécule pas en bourse, tous mes investissements se font dans des start-up technologiques africaines. Je pense que l’utilité de mon capital, personnel ou tant qu’investisseur, est là. J’aime bien comparer l’Afrique à l’Inde, même si c’est approximatif.
Si vous regardez les indicateurs macroéconomiques, vous avez 1,2 à 1,3 milliard d’habitants dans les deux cas, un PIB d’environ 3 000 milliards de dollars, mais vous avez plus de téléphones mobiles, plus d’internautes et d’usages de services financiers mobiles en Afrique qu’en Inde. Et pourtant cela fait plusieurs années que l’écosystème indien lève 17 fois plus de capital que l’Afrique.
- Logistique
En Côte d’Ivoire, on a réuni un groupe de PME prêtes à l’export, mais qui ne franchissaient pas le pas. Leurs coûts logistiques représentaient 55 % du coût de leurs marchandises. Aux États-Unis, les coûts logistiques ne représentent que 6 à 7 % du coût total. Le digital facilite l’accès aux marchés.
Si vous voulez aujourd’hui exporter d’un pays africain vers l’Europe, en général vous avez plusieurs intermédiaires qui n’apportent pas de valeur dans la prestation, mais prennent des commissions, induisent un temps plus long et de l’opacité sur les prix. Une plateforme numérique permet de faire baisser les prix.
- L’expérience Jumia
Cela a été une révélation. La technologie est un levier massif de développement. Cette aventure entrepreneuriale a permis de créer 5 000 emplois. J’aime comparer cela aux trois opérateurs télécoms ivoiriens qui existent depuis des décennies et qui employaient directement 2 575 personnes au premier trimestre 2020. C’est la preuve que les entrepreneurs peuvent avoir grâce à leur business model une capacité d’action sur le tissu social des pays où ils sont présents.
- Entrepreneuriat féminin
Tous les continents sont concernés par les violences liés au genre. Ma manière d’y répondre, c’est de partager l’émotion, de dénoncer en public ou en privé, mais surtout d’agir. En Afrique vous avez le taux d’entrepreneuriat féminin le plus important au monde.
La BAD estime le besoin de financements de ces femmes à 42 milliards de dollars et Roland Berger dit que si elles étaient financées cela produirait 150 à 200 milliards de PIB supplémentaires. Je n’aime pas beaucop les si, j’aime les traduire en des réalités concrètes.
L’une des choses dont je suis fière, c’est d’être à la tête d’une société de gestion majoritairement détenue et dirigée par des femmes, et qui investit dans 50 % des cas dans des entreprises fondées, cofondées ou qui bénéficient en priorité à des femmes. Ce levier économique est le meilleur levier. Quand vous arrivez à peser dans le PIB dans les conseils d’administration, la parité devient plus évidente parce qu’elle est dans les faits.