Artemisia, baobab… Ces plantes africaines qui pourraient aider à lutter contre le coronavirus
Echantillons d’artémisinine dans le dépôt d’Artemisia Annua à Liuzhou, dans le sud de la Chine, en avril 2020 © Tan Kaixing /Costfoto/Sipa USA
Un rapport du centre de recherche des Kew Gardens appelle la communauté internationale à s’intéresser aux végétaux africains, notamment pour lutter contre le Covid-19. Entretien avec l’une des responsables de cette étude, le professeur Monique Simmonds.
Et si nous pouvions mieux utiliser une richesse qui se trouve sous nos yeux et est pourtant sous-exploitée ? Les plantes et champignons pourraient élargir notre champ des possibles, estime le centre de recherche des jardins botaniques royaux de Kew, à Londres, dans son quatrième rapport, publié le 30 septembre.
Certaines de ces espèces, recensées par 210 experts répartis dans 42 pays, pourraient être utilisées dans l’alimentation – plus de 7 000 plantes comestibles sont ainsi documentées –, la construction ou même la médecine. Des remèdes naturels sont en effet déjà utilisés dans le traitement de cancers, de diabètes, de zonas ou de la malaria.
Alors que la pandémie de covid-19 continue de progresser aux quatre coins du globe, le centre de recherche propose de s’inspirer, entre autres, de la médecine traditionnelle africaine, pour sonder le potentiel de la nature dans la lutte contre le virus. Et appelle à des collaborations internationales sur le sujet. Rencontre avec l’une des responsables du rapport, le professeur Monique Simmonds.
Jeune Afrique : En 2019, plus de 1 900 plantes et 1 800 champignons ont pu être scientifiquement nommés pour la première fois. Pourquoi est-ce important de les référencer ?
Monique Simmonds : La population mondiale devrait atteindre les 10 milliards de personnes d’ici à 2050. Or, de nouveaux nuisibles et de nouvelles maladies vont apparaître, le tout dans un contexte de changement climatique. Alors que deux plantes sur cinq sont aujourd’hui menacées de disparition, il est primordial de mener une politique pour les protéger car elles nous seront sans doute très utiles face à ces phénomènes.
Notre Partenariat du millénaire pour la mise en place de banques de graines (Millennium Seed Bank Partnership) est le plus grand plan de conservation in situ au monde. En Afrique, cette entreprise de conservation et de création de collections nationales peut aider à mieux connaître les sols, à fabriquer des pesticides naturels, à lutter contre la désertification, et participer à la résilience climatique et à la sécurité alimentaire. Des ressources de la médecine traditionnelle pourraient aussi faire leur entrée sur les marchés internationaux.
Votre rapport indique que 723 espèces utilisées dans la médecine sont menacées d’extinction. À l’inverse, avez-vous découvert de nouvelles plantes en Afrique ?
Oui, nous avons par exemple découvert la « baie miraculeuse », Synsepalum chimanimani, dans la plaine des montagnes Chimanimani à la frontière du Mozambique et du Zimbabwe. Ses fruits contiennent de la miraculine, qui peut par exemple sucrer des plats acides. Il y aussi l’algue orchidée des cascades, Inversodicraea koukoutamba, qui pousse en Guinée sur la rivière Bafing. Elle est menacée d’extinction à cause de la construction d’un projet hydro-électrique qui démarrera l’an prochain.
Mais aucune des plantes découvertes n’a encore été testée pour un usage médical, le champ des recherches reste vaste et leur potentiel est encore insondé.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">VINGT PLANTES SONT À L’ÉTUDE POUR LUTTER CONTRE LE COVID, DONT L’ARTEMISIA ET LE BAOBAB AFRICAIN
Pourtant, les solutions aux défis qui nous attendent reposent sur la biodiversité des pays du continent. Si on prend l’exemple de Madagascar, 80 % de ses plantes ne se trouvent nulle part ailleurs. Je suis persuadée que certaines pourraient être davantage utilisées comme nouvelles denrées alimentaires ou médicales, rapporter des ressources financières et réduire la dépendance aux variétés occidentales. Nous devons analyser les espèces d’une même famille, pour déterminer les caractéristiques qui pourraient leur permettre de faire face aux changements de température et en tirer le meilleur.
Le professeur Monique Simmonds, des Kew Gardens de Londres, en 2019 © Mark Winwood
Ces plantes et champignons pourraient-ils être utilisés afin de lutter contre le Covid-19 ?
C’est vraiment une opportunité, bien que malheureuse, de changement ! Même si les pays tentent désespéramment d’utiliser des médicaments existants car ce sont les plus rapides à mettre sur le marché et alimentent la course au vaccin, l’usage de médecines traditionnelles, associé aux nouvelles technologies, ne doit pas être exclu.
L’usage de l’artemisia contre le Covid-19, préconisé notamment à Madagascar, vous semble-t-il légitime ?
Cela vaut le coup d’étudier davantage son effet sur le Covid-19. Seulement, nous ne pouvons pas vérifier que l’artemisia actuellement utilisée comporte les bons ingrédients. Il faut s’assurer que les plantes soient suffisamment matures pour que les composant actifs se concentrent à certains endroits des feuilles. Il est nécessaire de faire des essais pour savoir ce qu’il y a exactement dans ces plantes et de suivre un protocole strict.
Il faut aussi s’interroger sur son utilisation. Souhaite-t-on traiter des symptômes ou bien s’attaquer à la maladie sur le long terme afin d’affecter la transmission du virus ?
D’autres plantes sont-elles étudiées pour traiter ce coronavirus ?
Mis à part l’artemisia, 19 plantes sont à l’étude pour traiter le coronavirus, dont le baobab africain (adansonia digitate) et des espèces de câpres. Cependant, ces recherches se focalisent davantage sur des plantes venues de Chine, où la médecine traditionnelle a déjà été utilisée plus tôt dans l’année pour traiter le Covid-19. Évaluer pleinement leur potentiel prendra du temps.
A-t-on suffisamment de recul scientifique pour valider les techniques de médecine traditionnelle ?
Alors que de nombreux patients se reposent encore sur les médecines traditionnelles pour se soigner, très peu ont été évaluées. Par contre, il est très facile de les déconsidérer. Une erreur fréquente consiste à prendre des plantes qui traitent par exemple la fièvre et à trouver la même espèce, mais pas nécessairement issue de la même région, pour l’étudier dans un laboratoire européen, sans succès. Or, les différences de sol et d’environnement, la floraison, peuvent engendrer des variations de leur chimie, car les plantes sont vivantes. Il est donc nécessaire de décomposer les ingrédients présents dans chaque espèce. Cela prend du temps et demande des efforts.
Le contexte manque aussi souvent : la partie précise de la plante utilisée, les doses prescrites, à quelle fréquence, et avec quelles autres combinaisons. Il est nécessaire d’améliorer les protocoles scientifiques en ce sens.
Pourquoi est-il si difficile d’accéder à la composition précise des traitements de la médecine traditionnelle africaine ?
En Afrique, beaucoup de ces connaissances se transmettent à l’oral, alors qu’en Asie, ces usages sont documentés par écrit, ce qui permet à n’importe qui de les évaluer et d’améliorer leurs standards de qualité.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">NOUS AVONS BESOIN QUE DAVANTAGE D’AFRICAINS S’INTÉRESSENT À CES THÉMATIQUES
Et le commerce des guérisseurs professionnels repose sur leurs secrets de fabrication. Si certains confient leurs recettes et qu’on parvient à vérifier leur pertinence dans un laboratoire occidental, en vertu du protocole de Nagoya [accord international sur la biodiversité], leur État doit également consentir à la poursuite des recherches, qui doivent être coordonnées avec des équipes sur place. C’est très bien, mais en pratique, c’est complexe.
Vous appelez à la mise en place de collaborations autour de recherches inter-disciplinaires. Comment y parvenir en Afrique ?
Nous avons déjà collaboré avec des équipes en Éthiopie, à Madagascar, en Ouganda, en Afrique du Sud et au Kenya, pour rédiger notre rapport. Nous pourrions désormais coordonner des recherches sur les plantes dans le cadre de la lutte contre le Covid-19.
Nous avons besoin que davantage d’Africains s’intéressent à ces thématiques dans les hôpitaux et universités et qu’ils se coordonnent avec des botanistes et des guérisseurs. Nous pouvons les conseiller en matière de contrôle qualité et jouer le rôle de partenaires afin d’optimiser les contributions scientifiques de nos collègues dans différentes parties de l’Afrique.
Nous pourrions créer un groupe de pilotage qui soutiendrait ces projets pour leur donner une caution en s’assurant que, du premier au dernier jour, les essais répondent aux standards internationaux.