Comment l’influent Mahamadou Bonkoungou, magnat du BTP, est devenu l’ami des présidents (1/2)
© Mousse/ABACA ; Hippolyte Sama ; Vincent FOURNIER/JA ; Eric Larrayadieu/ACF/JA
Bien qu’il s’en défende, Mahamadou Bonkoungou est proche de Faure Gnassingbé, Patrice Talon, George Weah, Alassane Ouattara ou encore Umaro Sissoco Embaló. « Jeune Afrique » vous dévoile le premier volet de sa grande enquête sur les réseaux de cet homme d’affaires burkinabè, aussi secret que puissant.
À 54 ans, Mahamadou Bonkoungou appartient à l’élite du monde des affaires en Afrique de l’Ouest francophone. Ebomaf, son groupe de BTP fondé en 1989, réalise un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard d’euros. Et, à la fin de 2019, son carnet de commandes affichait près de 1 000 milliards de F CFA de projets routiers et aéroportuaires. Si l’entrepreneur se défend d’entretenir des relations directes avec les chefs d’État de la zone, son agenda prouve le contraire.
À la mi-septembre, c’est par exemple Alassane Ouattara qui l’a convié à un rendez-vous à Abidjan pour lui demander de mettre à disposition pour sa campagne électorale les appareils de sa compagnie aérienne Liza Transport International (LTI). Bousculé par la crise malienne et par les tensions avec l’opposition, le président ivoirien a finalement demandé à son frère Téné Birahima, ministre des Affaires présidentielles, de rencontrer Bonkoungou avant de le retrouver le 10 octobre pour l’inauguration de la route Ferkessédougou-Nassian-Kong.
En juillet, Mahamadou Bonkoungou s’était également joint aux officiels ivoiriens réunis à Korhogo pour rendre un dernier hommage au Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, qui venait de décéder. Et c’est avec son Falcon X7 que Faure Gnassingbé Essozimna avait pu venir depuis Lomé assister à la cérémonie.
Fulgurante ascension
Au début de l’année, on a également vu Bonkoungou à l’investiture du président Umaro Sissoco Embaló, à Bissau, en février. Il était accompagné par Mahamadi Savadogo, dit « Kadhafi », fondateur du groupe Smaf et président de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso, qui a facilité le rapprochement entre les deux hommes. Ancien représentant du fonds souverain libyen pour l’Afrique, le chef d’État bissau-guinéen faisait de longs séjours à Ouagadougou dans l’hôtel Laico lorsque Blaise Compaoré était encore au pouvoir.
Mahamadou Bonkoungou entend profiter de cette connexion. Ses équipes étudient actuellement le projet de construction d’une route côtière entre Bissau et Dakar.
Sa fulgurante ascension hors de son pays depuis dix ans, le natif de Dédougou la doit – comme il le reconnaît lui-même en privé – à l’ex-président burkinabè. À la fin des années 2000, l’ancien capitaine (resté au pouvoir de 1987 à 2014) avait misé sur ce fils de commerçant que lui avait présenté le général Gilbert Diendéré. Convaincu de son potentiel, il l’avait alors recommandé à nombre de présidents de la région, à commencer par Faure Gnassingbé Essozimna.
Blaise Compaoré et le fils du général Gnassingbé Eyadéma s’apprécient de longue date et s’étaient encore rapprochés lorsque le chef de l’État burkinabè avait aidé son homologue togolais à pacifier ses relations avec l’opposition après sa victoire contestée à l’élection de 2005, qui l’avait vu succéder à son père.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">RAPIDEMENT, IL ACCUMULE POUR PLUS DE 200 MILLIARDS DE F CFA DE CONTRATS
Au Togo, Mahamadou Bonkoungou décroche dès 2009 les contrats de construction de quelques ouvrages, puis, l’année suivante, de gré à gré, deux projets routiers, dans le nord et le centre du pays. Début 2011, il emporte, cette fois sur appel d’offres, le chantier de réhabilitation du boulevard du 13-Janvier, à Lomé. Rapidement, il accumule pour plus de 200 milliards de F CFA (près de 305 millions d’euros) de contrats.
Ces chantiers sont financés par des prêts qu’Ebomaf a contractés auprès des banques locales grâce à une garantie d’État, lequel reprend ensuite les traites à son compte. Ingénieux, le modèle permet de s’affranchir de l’aide des bailleurs de fonds internationaux très scrupuleux sur les procédures à suivre dans ce type de projets. Ce sera désormais l’une des marques de fabrique d’Ebomaf.
À la même période, le groupe de travaux publics burkinabè a l’opportunité de poursuivre son expansion régionale au Bénin, de nouveau grâce aux relations de son fondateur avec la présidence. Selon une anecdote confiée par Mahamadou Bonkoungou lui-même, le président d’alors, Thomas Boni Yayi, aurait d’abord été impressionné par l’hélicoptère Agusta A109, que le patron avait mis à disposition de Faure Gnassingbé Essozimna pour qu’il vienne assister à la cérémonie d’investiture du chef de l’État béninois, réélu pour un second mandat en 2011. Et c’est par le biais de son directeur de cabinet militaire, le général Robert Gbian, que le dirigeant se serait renseigné afin de le louer, avant de solliciter les services d’Ebomaf pour plusieurs projets.
Réseau d’influence
Flairant le bon filon, Mahamadou Bonkoungou a alors décidé d’investir dans des jets privés et, en 2013, a transformé la société LTI, qui proposait jusque-là des services de transport par autobus entre Ouagadougou et Dédougou, en une compagnie d’aviation d’affaires. En août dernier, LTI a réceptionné un second hélicoptère Agusta Westland (AW) 139, dont la valeur avoisinerait 10 millions d’euros.
Elle possède aujourd’hui l’une des plus belles flottes du continent, avec également un hélicoptère AW 109, un Airbus Corporate Jets (ACJ) 319, un ACJ 318, un Falcon 900 Ex Easy et, depuis la fin de 2019, un Falcon 8X, dernier né du groupe Dassault dont le prix sur catalogue est d’environ 60 millions d’euros.
Pour le constructeur français, qui lui vend aussi des services de maintenance, la compagnie dirigée par Abel Sawadogo, ex-directeur général de l’Agence nationale de l’aviation civile (Anac) du Burkina Faso, et Moussa Diarra, ancien d’Asky Airlines et d’Air Mali, est d’ailleurs devenue l’une de ses vitrines africaines. D’autres acquisitions sont en cours, dont celle d’un Boeing 737-Cargo destiné au fret aérien.
À bord des appareils de LTI, on retrouve le plus souvent des VIP politiques, dont de nombreux chefs d’État, comme Roch Marc Christian Kaboré, Patrice Talon ou George Weah. La compagnie de Mahamadou Bonkoungou détient d’ailleurs une forme d’exclusivité sur cette clientèle, qu’elle transporte souvent hors du continent, vers Dubaï, Paris, Londres ou New York. « C’est le moyen idéal pour se rendre indispensable aux yeux de ces décideurs », sourit un expert du secteur aérien.
LTI réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 200 milliards de F CFA, selon Ebomaf. Son PDG affirme que toutes les prestations sont facturées. Il a d’ailleurs transmis à JA des ordres de virement qui correspondraient à des vols effectués en 2020 pour les présidences du Bénin et du Togo, mais ces documents ne permettent pas de confirmer ses dires. La fourniture des équipages, l’obtention des autorisations de décollage et d’atterrissage est opérée par la société suisse Global Jet, via son bureau de Monaco.
Quelle que soit la gouvernance réelle de LTI, elle lui permet d’entretenir un réseau d’influence impressionnant. En Côte d’Ivoire, par exemple, ses appareils ont transporté Hamed Bakayoko, que Bonkoungou connaît, selon ses dires, depuis les études du Premier ministre ivoirien à l’Institut de mathématiques et de physiques de Ouagadougou dans les années 1980 – quand nos sources nous indiquent que la connexion est beaucoup plus récente –, feu Amadou Gon Coulibaly, Téné Birahima Ouattara et le président lui-même.
Connecté par Blaise Compaoré à Alassane Ouattara, Bonkoungou a bénéficié en Côte d’Ivoire, comme au Togo et au Bénin, de garanties de l’État pour financer ses chantiers. Actuellement, outre les travaux routiers, il rénove cinq aéroports à l’intérieur du pays pour un montant d’environ 50 milliards de F CFA. Auparavant, il avait participé à la réhabilitation de l’aéroport de San Pedro pour un montant de 17 milliards de F CFA, somme qu’un excellent connaisseur du secteur et de la Côte d’Ivoire nous a assuré être largement supérieure à ses estimations. À Abidjan, il a aussi investi en 2018 dans le terminal d’affaires de l’aéroport. Il détient au moins 30 % du capital, aux côtés de la société émiratie Jetex, et figure, avec Moussa Diarra et sa fille Alizèta, parmi ses administrateurs.
Rares désillusions
Porté par une stratégie bien rodée, le patron d’Ebomaf n’a finalement connu que de rares désillusions. S’il a fait pour le moment chou blanc au Tchad et en Guinée équatoriale, sa plus importante déconvenue reste sans doute la Guinée, où l’État a annulé par manque de moyens le contrat pour la réalisation d’une route de 140 kilomètres.
Selon nos informations, c’est Djibrill Bassolé, l’ex-ministre des Affaires étrangères et apparatchik du système Compaoré, qui l’avait introduit auprès d’Alpha Condé. Lui affirme avoir plutôt profité du soutien d’Alpha Barry, qui était à l’époque conseiller du président guinéen.
Au Liberia, en revanche, où l’on a dit ses plans tombés à l’eau, Mahamadou Bonkoungou n’a pas dit son dernier mot. Si le FMI a mis son veto à l’émission d’un emprunt obligataire pour financer la construction de 256 kilomètres de route à Monrovia et dans le nord-est du pays, le patron espère désormais pouvoir lancer les travaux grâce à l’exploitation des deux mines d’or que son « frère » George Weah lui a concédées.
L’entrepreneur affirme qu’il a rencontré l’ex-footballeur dans les années 1990 par l’intermédiaire de Silvio Berlusconi. Et c’est l’ancien président du Conseil italien, longtemps propriétaire de l’équipe du Milan AC, où jouait George Weah, qui les aurait remis en contact après la victoire électorale de ce dernier, en 2018. Cette connexion peu évidente entre Mahamadou Bonkoungou et le dirigeant italien aurait un lien avec la banque panafricaine de financement du commerce, basée au Caire, AfreximBank. Une source met surtout en avant le rôle une nouvelle fois joué par Blaise Compaoré.
Au Bénin, son soutien à la campagne de Lionel Zinsou, à qui il avait consenti un prêt de 23 millions d’euros à la demande de Thomas Boni Yayi, aurait pu lui coûter cher. Mais l’intervention d’Alassane Ouattara, puis d’Olivier Boko, bras droit et conseiller du président, lui a permis de rétablir le contact avec Patrice Talon. D’abord écartée au bénéfice d’un prestataire d’Air France, LTI a repris du service au profit de la présidence béninoise un peu plus d’un an après l’élection présidentielle de mars 2016. C’est d’ailleurs, selon l’une de nos sources, pour revenir dans les bonnes grâces du chef de l’État béninois qu’il aurait entamé une procédure judiciaire à l’encontre de l’ancien Premier ministre.
L’homme d’affaires chercherait maintenant à s’implanter en RDC, où il s’est rendu en 2019 pour rencontrer André Kimbuta Yango, gouverneur de Kinshasa. En dépit d’un portefeuille de commandes bien rempli, 2020 sera néanmoins pour le groupe une année sans. En raison du coronavirus, les chantiers ont été interrompus et les expatriés renvoyés chez eux pendant plusieurs semaines. Certains projets déjà en souffrance, comme le tronçon Calavi-Kpota-Ouèdo-Hêvié-Cococodji, prévu pour fluidifier la circulation dans la commune béninoise d’Abomey-Calavi, en ont déjà fait les frais. Attribué en 2015 sous la présidence de Thomas Boni Yayi et modifié en 2017, le chantier de 21 kilomètres, qui devait être livré à la fin de 2019, n’est toujours pas achevé à ce jour.