Tchad : Hindou Oumarou Ibrahim, géographe militante
Hindou Oumarou Ibrahim est la conseillère officielle du secrétaire général des Nations unies, António Guterres,
en prévision de la COP26, qui doit se tenir en Écosse, en septembre 2021. Ici à Paris, le 6 août. © Damien Grenon pour JA
De Paris à Marrakech en passant par New York, la N’Djaménoise s’est imposée comme l’une des personnalités incontournables des négociations sur le climat. Elle est aussi la voix des femmes peules et des peuples autochtones.
Quand elle commence à parler, on ne l’arrête plus. Hindou Oumarou Ibrahim est à la fois portée et emportée par ses expériences, ses convictions, ses causes et ses émotions.
À 37 ans, la géographe n’djaménoise, fille d’éleveurs peuls mbororos (ou wodaabes) – une communauté semi-nomade du Sud tchadien –, n’est intimidée par personne. Et certainement pas par les grands de ce monde.
Tenace
Elle porte d’ailleurs bien son prénom, « Hindou », issu de « Hind », qui, en arabe, symbolise la ténacité. « J’ai la réputation de toujours arriver à mes fins et de fatiguer les autres, reconnaît-elle. Je me souviens, la première fois que je suis allée à un sommet à Davos, j’étais entourée de gens avec des costumes à 10 000 euros. Il n’y avait que des hommes, ou presque, tous tirés à quatre épingles, et moi j’étais “la Tchadienne”, avec son petit foulard. Mais ils ne me faisaient pas peur ! »
Hindou Oumarou Ibrahim raconte que, lorsqu’elle était enfant à N’Djamena, elle se battait dans la cour de récréation quand les autres élèves se moquaient d’elle en criant : « Dieu a créé les mouches avant de créer les Peuls. »
Alors qu’elle n’a que 15 ans, l’adolescente fonde l’Association des femmes peules et peuples autochtones du Tchad (l’Afpat) pour lutter contre les discriminations et garantir le droit à l’éducation, à la santé, à l’eau et à la terre aux peuples autochtones.
Mère courage
Cette détermination empreinte de courage qui lui a notamment permis de résister très jeune aux mariages forcés, l’adolescente la tient de sa mère. Celle-ci releva en effet le défi de mettre à l’école ses quatre enfants, ce malgré le milieu très conservateur de son époux… Quitte à divorcer et à être exclue du clan.
« Ma mère était analphabète et ne voulait pas que nous subissions les mêmes humiliations qu’elle. Elle nous a poussés à nous instruire malgré l’hostilité de la famille et des marabouts. Elle se privait de manger pour qu’on ne manque de rien pour étudier, et l’été elle nous envoyait au village pour qu’on ne perde pas le sens des réalités.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">J’AI PU VOIR LA DÉSERTIFICATION AVANCER
C’est comme ça que j’ai appris à traire les vaches, à vendre du beurre au marché et que, en revenant au village plus tard, j’ai pu voir la désertification avancer, les rivières disparaître, les animaux sauvages et la vie pastorale mourir… »
De cette enfance elle tire une extraordinaire énergie qui fait d’elle la femme moderne et « tout-terrain » qu’elle est aujourd’hui.
Reconnaissance des savoirs traditionnels
Hindou Oumarou Ibrahim ne polémique pas gratuitement. Elle agit concrètement contre les effets dévastateurs du réchauffement climatique, en particulier sur les peuples nomades du Sahel.
Son Aftap est la première association communautaire à participer aux négociations internationales sur le climat, en 2005, à New York, où la jeune femme se bat alors pour la reconnaissance des savoirs traditionnels dans l’adaptation aux changements climatiques. Son action sera couronnée de succès puisqu’ils sont inscrits dans le Pacte des Nations unies pour l’environnement en 2012.
La militante se souvient des longues négociations lors de l’historique Conférence des Nations unies sur les changements climatiques en France, en décembre 2015. Pour faire entendre sa cause, elle a encore une fois dû s’imposer, notamment face au président de la COP21, l’ex-ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius.
Ce dernier s’est finalement laissé convaincre par la détermination de Hindou Oumarou Ibrahim et a admis la justesse de son combat pour la reconnaissance des savoirs traditionnels dans la lutte contre la désertification. Depuis, ils sont amis.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">C’EST NOUS, LES GARDIENS DE LA NATURE
« Lui comme d’autres hommes d’État encore plus méfiants ont finalement compris que nous n’étions pas là seulement pour débattre, ainsi que le font parfois certains représentants de la société civile qui s’opposent à tout, mais que nous étions aussi venus pour apporter des solutions concrètes. C’est nous, les gardiens de la nature. Et nous avons fini par obtenir gain de cause : les droits des peuples autochtones et des communautés locales ont été inscrits dans le préambule de l’accord de Paris, insiste-t-elle, enthousiaste. Pour moi, tout est lié. Pas de lutte contre le réchauffement climatique sans une reconnaissance des peuples autochtones. »
Depuis la première victoire remportée à New York en 2012, Hindou Oumarou Ibrahim continue de parcourir le monde, invitée à participer à des conférences et à des groupes de travail par des chaînes de télévision et de radio internationales. En Amérique du Nord, en Europe ou en Afrique,
Écoutée par Idriss Déby Itno
« Hindou » est aujourd’hui respectée et écoutée de tous, en particulier par le président Idriss Déby Itno. Ils se sont rencontrés pour la première fois en septembre 2019, au siège de l’ONU, à New York, lors du sommet Action Climat. « On a beaucoup parlé du réchauffement, de l’importance de l’éducation, etc. Je lui ai fait des propositions très concrètes, et, depuis, il me soutient dans mes combats. »
Le chef de l’État s’est d’ailleurs particulièrement fait remarquer lors de ce sommet, en exhortant les pays industrialisés à soutenir les efforts déployés par les pays africains face au changement climatique. Et, au mois de décembre suivant, il a nommé Hindou Oumarou Ibrahim ambassadrice itinérante du Tchad.
Un titre et surtout un motif d’action supplémentaire pour cette battante. Exploratrice de solutions pour le magazine américain National Geographic depuis 2017, élue parmi les 100 femmes les plus influentes de la planète dans le « 100 Women 2018 » de la BBC, elle a reçu en novembre 2019 le prix Pritzker du génie environnemental émergent, remis par l’Institut de l’environnement et du développement durable de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA).
Désignée l’an dernier par le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, comme étant l’une des dix-sept personnalités influentes et leaders des Objectifs de développement durable (ODD), elle est aussi sa conseillère officielle en prévision de la COP26, qui doit se tenir à Glasgow, en Écosse, en septembre 2021.
Mariée à un ancien collaborateur du Français Nicolas Hulot lorsqu’il était à la tête du ministère de la Transition écologique et solidaire, Hindou Oumarou Ibrahim regrette de devoir reporter une partie de ses actions et d’être bloquée en France à cause de la pandémie de Covid-19, « cette maladie du dérèglement mondial ».
Prévention au sein des communautés nomades
Ce qui ne l’a pas empêchée de monter une opération de prévention au sein des communautés nomades démunies face à la pandémie. Selon elle, pour freiner les conséquences du réchauffement climatique, surtout en Afrique, chaque jour est précieux.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">CE CORONAVIRUS NOUS RAPPELLE QUE NOUS VIVONS SUR LE MÊME BATEAU
« Je ne suis jamais restée aussi longtemps loin de mon pays et je trépigne, car ma vie et mes combats sont là-bas… Même si ce coronavirus nous rappelle que nous vivons sur le même bateau et que la planète est la même pour tous. »