Soeur Marie Stella : « Par l’espérance, nous sommes proches de vous ! »
Nos lecteurs connaissent bien cette religieuse infirmière qui se bat depuis vingt ans contre l’épidémie de sida au Togo.
Dans son deuxième livre, Notre combat nous grandit (éditions Bayard), elle raconte comment elle trouve, dans la prière et l’amitié, l’énergie de mener ses nombreux combats.
Sœur Marie Stella à la maison Sainte-Monique, qui fait partie de l’orphelinat, à Dapaong (Togo). © JULIEN PEBREL/M.Y.O.P.
Avec Vivre dans l’espérance, l’association que vous avez fondée, Soeur Marie Stella, vous soignez les malades du sida au nord du Togo. Et voici une nouvelle pandémie…
Soeur Marie Stella: À Dapaong, la ville où nous nous trouvons, dans la région des Savanes, les cas de Covid-19 restent rarissimes. Mais ce qui nous a éprouvés, surtout au printemps dernier, c’est la panique de la population. Nous suivons plus de 1 500 patients atteints du VIH. Et ils n’osaient plus venir chercher leur traitement à notre centre de soins. Résultat : nous avons déploré 50 décès parmi eux contre une douzaine l’an dernier. C’est un terrible retour en arrière d’au moins cinq ans !
La fermeture des frontières et les mesures barrière ont aussi été catastrophiques pour l’économie, très pauvre, de la région. Les marchés ont été fermés longtemps. Or, chez nous, les paysans et les artisans vendent leur production au jour le jour et achètent ce dont ils ont besoin avec le produit de cette vente. La malnutrition a augmenté dans les villages, les soins médicaux n’ont pas été donnés, des enfants ont cessé d’aller à l’école… Bref, un recul social préoccupant.
Dans votre ouvrage, vous revenez sur votre travail auprès des 1 500 orphelins de parents morts du sida, rejetés par leur famille. Le regard sur cette « maladie honteuse » a-t-il évolué ?
Énormément. Il y a vingt ans, je passais mes journées à enterrer les morts, à expliquer aux familles, aux villageois qu’ils devaient se montrer tolérants envers les malades car la réalité du sida n’était ni honteuse ni un acte de sorcellerie. Aujourd’hui, au centre de soins Maguy – construit grâce aux dons des lecteurs du Pèlerin –, les malades du paludisme côtoient ceux du VIH. Dans notre toute nouvelle maternité, inaugurée le 1er décembre, les femmes enceintes séropositives et les autres s’assoient sur le même banc et fraternisent. C’est une grande victoire ! Le fruit du travail de notre équipe qui fait sans cesse de la prévention. J’ai seulement peur que l’augmentation actuelle de la précarité ne jette beaucoup de personnes dans la prostitution ou l’alcoolisme et que l’on observe à nouveau une augmentation des contaminations.
Vous entraînez beaucoup de monde derrière vous. Où trouvez-vous l’énergie ?
Je puise ma première source d’énergie dans la prière. Je me lève tous les jours à 4 heures pour une demi-heure au moins de prière personnelle, avant la messe. Si je prie, j’abandonne mes soucis à Dieu et, par sa grâce, je trouve la force de continuer. Chacun de nous doit écouter l’ange Gabriel qui dit à Marie, pendant l’Annonciation : « Ne crains pas, Dieu est avec toi. » En recevant ces mots avec confiance, tout chrétien peut, comme Marie, s’engager dans une mission difficile.
Ma seconde source d’énergie vient, bien sûr, de tous ces amis qui m’entourent. Depuis l’an dernier, je remarque avec fierté que des familles togolaises aussi nous soutiennent : six parrainent des orphelins et plusieurs nous ont envoyé des sacs de riz et de maïs pour que les enfants aient de bons repas de fêtes. Et quand je vois nos jeunes qui, devenus adultes, se battent à leur tour pour leurs frères et sœurs, je me sens portée !
Tout de même, n’avez-vous pas parfois envie de baisser les bras ?
Dans les années 2000, aux débuts de Vivre dans l’espérance, nous étions écrasés par les malheurs : des familles entières ravagées par la maladie, des enfants jetés à la rue, des grands-mères qu’on laissait mourir de faim… Aujourd’hui, je suis parfois affectée par les rumeurs suscitées par la jalousie : « La sœur a de l’argent », concluent beaucoup de gens, ici. Ils voient les belles réalisations que nous avons pu mettre sur pied en convainquant les donateurs du bien-fondé de notre action.
Pourtant, tout ce que nous faisons, c’est pour aider la communauté à se prendre en charge. Nous avons ouvert cette maternité pour que moins de femmes meurent en couches et nous laissent leurs enfants à élever. Ce n’est pas que « de l’argent » mais de l’amour, de la fraternité que nous passent ces donateurs qui vont équiper aujourd’hui nos apprenties couturières en machines à coudre. Ils les aident ainsi à démarrer dans la vie ! Il nous faut poursuivre notre chemin. Quand le Christ est venu, il n’a pas été accueilli par tout le monde et il n’a pas cherché à se défendre.
Vous écrivez : « Apporter l’espérance au malade, c’est s’abaisser. » Que voulez-vous dire ?
J’ai longtemps pensé que c’était moi qui aidais l’autre. En réalité, pour vraiment l’aider, il faut se faire plus petit que lui, comme le Christ qui lave les pieds de ses disciples. Les pauvres m’apportent bien plus que je leur donne. Ainsi, tous les mois, je vais faire la toilette d’une vieille dame qui vit seule. Quand j’arrive, elle m’accueille avec un grand sourire et pendant que je la lave, elle me bénit, me dit que sa prière m’accompagnera encore lorsqu’elle aura rejoint le Très-Haut.
Je n’ai pas une grande formation théologique mais je sais que l’écoute des personnes fragiles me fait grandir. Un jour, un SDF m’a interpellée alors que je courais, perdue dans Paris : « Ma sœur, n’oubliez pas les pauvres ! » Je me suis arrêtée et je me suis dit que le Seigneur m’envoyait par sa bouche un message essentiel : oui, les pauvres doivent toujours passer d’abord. Ils sont le visage du Christ.
Vous vous montrez très attentive à l’éducation des jeunes filles. C’est par les femmes que peut venir le changement au Togo ?
Traditionnellement, en Afrique, les femmes sont soumises au bon vouloir des hommes. Et elles ont été les premières victimes, directes et indirectes, du sida. À Vivre dans l’espérance, nous avons tout de suite compris que pour juguler les ravages de l’épidémie, il fallait soutenir les mères de famille et donner aux jeunes filles une bonne éducation. Avec un métier, elles sont indépendantes économiquement, se font mieux respecter et apprennent à dire non à un homme… ou oui. Mais alors, c’est un grand « oui », prononcé en connaissance de cause ! D’ailleurs, nos étudiantes ne vivent pas de grossesses non désirées et ne sont pas devenues séropositives. Je crois que les Africaines peuvent faire ainsi beaucoup évoluer la société.
Pour faire naître uCn nouveau projet, vous avez demandé l’exclaustration à votre congrégation. De quoi s’agit-il ?
J’ai obtenu la permission de passer trois ans dans une maison que l’on appelle la Fraternité, afin de bien entourer une dizaine de jeunes filles contaminées. Il est difficile pour les jeunes porteuses du VIH de se marier. D’autre part, les communautés religieuses ne les acceptent pas. Et leur famille a disparu ! Elles peuvent se sentir désemparées. Mais elles souhaitaient vivre ensemble et se mettre au service des pauvres, au sein de l’association. Je pars du principe que l’Église ne doit exclure personne, surtout pas les fragiles, les handicapés, les malades… Le projet m’a été inspiré par les communautés de l’Arche.
Dans le livre, je fais le point sur « mes combats ». Eh bien, le principal, aujourd’hui, consiste à faire acquérir à tous nos jeunes une dignité d’adulte responsable.
Comment se déroule la vie quotidienne là-bas ?
À la Fraternité, nous partageons des tâches ménagères, puis chacune part travailler. Nous portons dans la prière les peines et soucis de nos partenaires. C’est notre façon de leur rendre leur générosité. Les musulmanes prient à côté des catholiques. Et c’est une maison ouverte. En ce moment, par exemple, nous accueillons au repas du soir une trentaine de nos enfants atteints du VIH pour mieux surveiller la prise des médicaments qui leur devient pénible à la longue.
Quel message adresseriez-vous à nos lecteurs qui comptent aussi, pour beaucoup d’entre eux, parmi vos donateurs ou parrains ?
Ce moment très difficile à vivre dans le monde entier est aussi un moment où l’on peut être appelé, par de petits gestes, à montrer espérance et amour. Sachez que nous vous portons tous dans nos prières, que malgré la pandémie, la distance, la fermeture des frontières entre nos pays, nous n’avons jamais été aussi proches de vous.
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Notre combat nous grandit, Éd. Bayard, 240 p. ; 16,90 €. Préface du Pr Marc Gentilini.
L’action de sœur Marie Stella avec les pauvres l’entraîne de défi en défi. Des pages d’une rare intensité humaine et spirituelle.
Pour suivre et soutenir Soeur Marie Stella et l’action de Vivre dans l’espérance
Visitez le site enfantsdelespoir.org et retrouvez Soeur Marie Stella pour un entretien « live » sur la page Facebook du Pèlerin le 20 janvier 2021, à 19 heures.