[Chronique] Senghor et Soulages, un tandem qui vaut de l’or
Une œuvre abstraite du peintre français Pierre Soulages, qui avait appartenue à l’ancien président sénégalais Senghor, a été vendue pour près de 1,5 million d’euros.
Cote et valeur sentimentale. Les galeries d’art contemporain le savent bien : la combinaison entre un auteur célèbre et un propriétaire prestigieux est souvent gagnante dans les ventes aux enchères. Ce samedi 23 janvier, dans la ville normande de Caen, l’artiste coté était le centenaire Pierre Soulages, souvent considéré comme le plus grand artiste français vivant. Et l’ancien propriétaire vedette était le poète et ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor, Normand d’adoption jusqu’à son décès en 2001. Voilà donc un maître et un académicien virtuellement réunis, le spécialiste de « l’outrenoir » pictural et le chantre de l’identité noire.
Pour ne pas déflorer le caractère abstrait de l’œuvre vendue le week-end dernier, celle-ci est intitulée « Peinture 81 x 60 cm, 3 décembre 1956 ». Il s’agit d’une huile sur toile constituée de larges traits noirs sur un fond jaune presque doré. Elle fut acquise l’année de sa création, lors d’une visite de Senghor dans l’atelier parisien de l’artiste. En découvrant l’œuvre, le poète déclarera avoir « reçu au creux de l’estomac un coup » qui le fit « vaciller, comme le boxeur touché qui soudain s’abîme ». L’histoire ne dit pas quel fut le prix d’acquisition…
Allégorie de la négritude
Après la mort de l’ancien président, sa veuve Colette avait légué le tableau à sa sœur, elle-même décédée depuis. Restée anonyme, la dernière légataire de l’œuvre serait une amie de ladite sœur de madame Senghor.
Après avoir été estimé à une somme « de 800 000 à un million d’euros » et mis en vente à un prix de départ de 600 000 euros, le tableau a été cédé pour 1,21 million d’euros – soit 1,48 million avec les frais – à un acheteur européen qui s’est positionné par téléphone. Il y avait au total sept enchérisseurs, notamment originaires de Suisse et d’Allemagne.
Senghor voyait-il dans la teinte dominante de l’œuvre une allégorie de sa négritude ? Lui qui comparait l’effet de cette huile sur toile abstraite à l’émotion provoquée par la vue d’un masque dan y lisait-il un totem susceptible d’évoquer la sculpture d’Afrique ? Toujours est-il que le poète était amoureux de toutes les francophonies, de la française comme des autres, et que le tableau trônait dans son bureau, au sein de sa cité normande d’accueil, Verson, où il vécut à partir des années 1980. Et que nul ne nie l’influence de l’art africain sur l’art européen du XXe siècle, notamment sur les œuvres de Pablo Picasso, Georges Braque, Henri Matisse et Paul Cézanne.