Je suis rentré chez les Pères Blancs à une période charnière : le Noviciat de Maison Carrée venait de fermer, je fis partie du premier groupe de novices à Gap ; comme j’avais pris pour langue secondaire l’anglais, le Père Maître m’a demandé de continuer à l’apprendre : « On ne sait jamais! »… Il m’avait donc mis sur la liste pour aller au Scolasticat de Sheerenberg. Or à la fin du Noviciat, on m’a annoncé que s’Heerenberg venait de fermer et que j’irais à Londres : je me suis retrouvé à Totteridge. La maison était encore en cours de transformation ; nous étions quatre par chambre.
Pourquoi je suis rentré chez les Pères Blancs ? C’est un peu le Père Antoine Paulin qui m’a donné le virus missionnaire, et puis je ne faisais que m’inscrire dans la liste des nombreux Pères Blancs de la Haute-Loire : Antoine Cuoq, Jean Fayard, Jean Sahuc, Pierre Vialeton, Michel Rogues (qui a rejoint le clergé diocésain), Joseph Courbon, Maurice Cadilhac, le Frère Jean Camille Béal, Gérard Chabanon, Bernard Ploton.
Nigeria, 32 ans
« Dans quel pays aimeriez-vous travailler en Afrique ? » : c’était la question à laquelle je devais répondre. J’avais demandé le Ghana, on m’a envoyé au Nigeria. Je suis arrivé à Lagos le 29 décembre 1964, à Oyo le lendemain. Je me trouvais dans un milieu anglophone à 100 % : mes confrères étaient John Murphy (anglais), Thomas Kane (écossais), Bill Halligan (irlandais). On parlait encore du choix du nouvel évêque qui venait d’être nommé dans le diocèse d’Oyo. Toute une histoire : le clan des Canadiens avait appuyé la candidature d’un certain Père Bordeleau, le clan des « British » était derrière Mgr Mac Coy (irlandais), les quelques français qui m’avaient précédé ne faisaient pas le poids, les Pères Jean Sibiodon, Jean Lepers. C’est Mgr Mac Coy qui fut choisi, celui qui m’avait ordonné diacre.
Pour sortir du cercle « irlandais - canadiens » la Maison Généralice a envoyé un certain nombre de Pères français : Irénée Edmond fut le premier ; les autres pensaient qu’il avait été nommé là-bas pour les espionner.. Il ne parlait que le français, il a dû d’abord apprendre l’anglais avant de se lancer dans la langue locale : le Yoruba. Vers la même époque, d’autres Pères français sont arrivés ; Bernard Mangematin, Joseph Baron, et moi-même.
La langue Yoruba est une langue à tons. Pour l’apprendre il fallait vraiment s’accrocher ; on disait là-bas qu’il fallait « passer le mur du son » Beaucoup n’ont jamais passé ce mur, certains se contentaient de bien prononcer les mots sans trop se soucier des tons. Mon premier supérieur, le Père John Murphy, montait et descendait sur les syllabes un peu n’importe comment ; d’autres, au lieu de respecter les tons, descendaient continuellement. Le premier qui a passé le mur du son était un belge ; le deuxième était encore belge, il voulait se spécialiser dans la langue, il a voulu aller à l’université d’Ibadan, mais là il a trouvé une belle béninoise et il s’est marié avec elle.
Que dire de mes activités dans le diocèse d’Oyo ? Une première chose qui n’était pas négligeable : nous ne restions pas plus de 5 ans dans la même ville. L’évêque africain qui a remplacé Mgr Mac Coy nous disait : « Après 4 ou 5 ans dans la même mission, on commence à tourner en rond ; avant qu’on ouvre la bouche, les gens savent déjà ce que vous allez dire. Comme un arbre, on commence à prendre racines, on prend de mauvaises habitudes… » Je crois qu’il avait bien raison. Nous, les missionnaires venant de l’extérieur, nous nous installions dans des paroisses peu développées, ensuite nous passions les commandes aux abbés diocésains pour poursuivre un peu plus loin.
Dans le milieu anglophone, les missionnaires européens ne sont pas des « pères nourriciers » qui donnent beaucoup d’argent, comme ça se faisait dans certains pays ; personnellement, je n’ai pas donné de l’argent, mais j’ai donné beaucoup de temps pour travailler avec les gens pour la construction des églises et des missions. La position de notre évêque était la suivante : il parlait ainsi aux gens : « Vous voulez bâtir une église… venez-m’en informer, je vous donnerai un architecte diplômé qui fera le plan de l’église ; demandez à quelqu’un de compétent de superviser votre travail; mettez-vous au travail ; quand vous arriverez au niveau du toit, nous discuterons et je vous aiderai ». Souvent la personne soit-disant “compétente“ c’était moi ; je laissais alors ma paroisse pendant 2 ou 3 semaines, je m’installais dans une maison adéquate, et là je travaillais, du matin au soir, avec les gens. Le Père qui avait demandé mes services venait me remplacer dans ma paroisse.
Le Nigéria, jusqu’en 1977, avait été dirigé par un président musulman, mais lorsque Muritala Mohamed a voulu imposer la charia et faire du pays un état musulman, les non-musulmans ont demandé qu’il fasse un recensement. Les résultats ont montré que les chrétiens de toutes dénominations avec les animistes constituaient 52 % de la population. Ce projet de décréter le pays “état musulman” a alors échoué. Depuis, la succession des présidents musulmans a été interrompue ; des présidents chrétiens ont succédé aux présidents musulmans. Certains disent que c’est là l’origine de “Boko aram”. Cette organisation terroriste veut tout simplement déstabiliser la société nigériane pour qu’une nouvelle occasion se présente de réimposer la charia et de faire du pays un état musulman.
Beaucoup pensent qu’ils perdent leur temps. En effet, le nombre des catholiques a plus que doublé en quelques décennies. Dans l’est du pays (l’ex-Biafra), il y a tellement de vocations que tous les évêques du Nigéria ont décidé de fonder une congrégation missionnaire : les « Missionnaires de Saint Paul ». Leur grand séminaire est plein à craquer; chaque année ils ont plus de 40 ordinations. Ils envoient des missionnaires un peu partout : Cameroun, Afrique du Sud, États Unis... Nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi il y a tant de vocations dans l’ex-Biafra.
Les Pères Blancs nigérians ne sont pas encore très nombreux ; ceux qui viennent des ethnies où les catholiques sont en minorité ont l’air de persévérer, mais ceux qui viennent du pays des Ibos, dans l’est du pays, flanchent avant d’arriver à la fin de leur formation.
Comment expliquer ces progrès de l’église catholique ? C’est avant tout grâce à la présence de nos catéchistes qui ont fait un travail remarquable. Chaque mois nous leur donnions des séances de formation de deux jours. Nous cueillons maintenant les fruits de leur travail. De petites églises (succursales) ont grandi et sont devenues des paroisses, Certains disent que les Musulmans voient d’un mauvais œil les progrès des églises protestantes et catholiques. C’est ce qui les pousse à faire des églises la cible préférée de leurs attentats. Si ce sont là leurs intentions, la bataille est perdue d’avance, ils courent après une utopie; ce jour ne viendra jamais.
Niger, 10 ans
En décembre 1995, nous avons quitté le sud du Nigéria, les évêques nous ont remerciés pour le travail bien fait, avec l’intention, peut-être d’aller donner un coup de main à l’évangélisation du Nord ; mais lorsque notre Régional est allé voir quelles étaient les possibilités, il est revenu et nous a dit qu’« il nous faudra apprendre non pas le Haoussa mais le Ibo. En effet les Ibos sont présents partout » autrement dit, le terrain était déjà occupé. À ce moment-là, personnellement, j’ai décidé d’aller voir ailleurs, au Niger d’à côté.
Je pensais que j’avais la santé pour rester en Afrique encore 10 ans : c’est exactement ce qui s’est produit ; je suis resté exactement 10 ans au Niger. Mon ami, le bon Père Edmond, qui parlait anglais avec un accent de l’Aveyron venait de mourir au Nigéria où il était resté, et moi, il me fallait apprendre une autre langue, le Haoussa. Malgré quelques hésitations et avec les encouragements de mes confrères, je me suis mis àpprendrecette nouvelle langue, à 62 ans.
« On peut tomber amoureux du premier pays où l’on atterrit, mais on ne tombe jamais amoureux du Niger » me disait un confrère. Quand, venant de Niamey, j’ai fait la route de Zinder, je me suis arrêté pour visiter les églises catholiques qui étaient sur la route. Partout j’y ai trouvé des portes caillassées ; cela m’a donné une bien mauvaise impression. À Zinder, la porte principale de l’église avait été enlevée. « Qu’est-il arrivé ? » La réponse était sans ambiguïté : « Tu vois, la porte a été tellement caillassée que nous avons dû l’enlever » Nous sommes à peine tolérés dans ce pays musulman à 99 %, il nous faut faire bien attention, pas d’excès de zèle surtout… la cloche de l’église avait été bien ficelée au sommet de son châssis de camion, il ne fallait surtout pas la sonner.. Quelques années plus tard cela changera avec la venue d’un curé congolais.
La paroisse de Zinder comptait une vingtaine de familles béninoises ; dans la paroisse il y avait 3 Pères Blancs, un stagiaire, 6 sœurs de l’Assomption et 3 sœurs de Cluny. Cela représentait à peu près 1 religieux ou religieuse pour 9 paroissiens. Nous avions beaucoup de temps pour nous occuper des musulmans : les lépreux, les enfants de la rue, les personnes séropositives, la distribution des tonnes et des tonnes de mil dans les villages, tout cela dans une chaleur suffocante.
Après 65 ans de présence de l’église catholique, le Niger ne comptait que 5 ou 6 conversions. Mais les choses commencent à changer : à Maradi, deux ou trois femmes musulmanes ont reçu le baptême ; à Niamey, il y en a eu sept ou huit. Ce sont toutes des femmes mariées avec des chrétiens,
Vous comprendrez que, dans ces conditions, il faut être bien motivé pour travailler au Niger et pour y rester. J’ai connu très peu de Pères Blancs qui y soient restés plus de 8 ans. Personnellement j’y suis resté 10 ans. Le soleil m’a provoqué un carcinome à l’oreille droite, j’ai dû revenir en France pour me faire opérer ; maintenant, avec l’aide de la dermatologue, je suis en bonne santé. Si la Province veut m’envoyer à Zinder pour un séjour de quelques semaines, je suis volontaire pour repartir...
Joannès Liogier
Juillet 2013