Il y a quelques temps, je participais à l’assemblée des Supérieurs Majeurs de Côte d’Ivoire. Alors que nous procédions à l’élection de notre président, un des participants argumenta qu’il serait bon, vu le sentiment nationaliste qui prévaut aujourd’hui en Côte d’Ivoire, de voter pour un religieux ivoirien. Plusieurs ont réagi négativement à cette proposition. J’ai moi-même insisté en disant que le président des Supérieurs Majeurs de Côte d’Ivoire n’était nullement le représentant de l’Église de Côte d’Ivoire, mais bien des religieux qui y travaillaient et que ceux-ci étaient de plusieurs nationalités. J’ai ajouté que notre mission de religieux est aussi de renforcer la dimension “catholique” dans l’Église du pays qui nous accueillait.
J’espère de tout cœur que ce genre de réflexion n’a pas cours dans la Société. Une des toutes grandes valeurs de notre Société est son internationalité, dans sa forme et son esprit. Il nous faut la protéger à tout prix. C’est un défi majeur, nous le savons tous, mais le type de mission que nous proposons dans notre service à l’Église d’Afrique y est fortement lié. Il n’y a certes pas de risque de voir le nombre de nationalités diminuer dans un avenir proche, mais je crains qu’un certain esprit nationaliste ne vienne un jour ronger la Société de l’intérieur.
Je n’ai jamais compris ces discussions de couloir, invitant à absolument faire passer un confrère de telle nationalité comme responsable (Provincial, Assistant, Économe) dans sa Province. Je ne pense pas que le Provincial, ou n’importe quel responsable, soit en poste pour défendre les intérêts de quelques groupes que ce soit. Il se doit d’être totalement neutre, “a-nationaliste”. Avant même les confrères originaires du pays où il est nommé, il est en priorité le représentant de tous les confrères qui œuvrent dans le pays où il sera appelé à remplir son ministère. Il ne peut y avoir en lui aucune préférence. La “politique” missionnaire d’une Province serait-elle mieux réfléchie par des confrères qui en sont issus ? Je ne le pense pas.
Et le “Home Service” ? Pour moi, le home service, c’est terminé ! Cela datait d’une époque où l’Europe et l’Amérique envoyaient toutes leurs forces vives en Afrique et avaient bien besoin de rappeler des confrères pour faire marcher la boutique ?“at home”. En Afrique, ce besoin n’existe pas ! Les forces vives sont présentes de façon assez équilibrée dans toutes les Provinces d’Afrique.
Les économes nous disent qu’il est temps de commencer à vivre selon nos possibilités et non pas selon nos désirs, qu’il nous faut adapter nos besoins à nos ressources. Cela devrait être le même critère dans la gestion du personnel. Je pense que nous arriverons dans un avenir proche à un certain équilibre du personnel dans les Provinces d’Afrique. Le nombre de confrères quittant l’Afrique va être compensé par ceux qui terminent leur formation initiale. Les Conseils provinciaux devraient donc pouvoir établir une planification de la mission en fonction des ressources humaines à leur disposition sans chercher à aller puiser ailleurs.
Je me souviens de ce Provincial qui avait programmé le retour en Province de quelques-uns de “ses” confrères. Il se justifiait en disant que “Rome ne nous donne pas assez de confrères. Il me faut donc bien aller les chercher ailleurs”. Pourquoi ? Si tous les Provinciaux pensaient de la même façon, nous serions bientôt tous chez nous, vu que “Rome” n’aura jamais assez de personnel à offrir. Pourquoi rappeler un confrère tanzanien en Tanzanie pour remplir une tâche que les confrères d’autres nationalités et qui sont sur place pourraient très bien remplir ? Pourquoi faut-il que le confrère burkinabè revienne chez lui pour l’animation missionnaire et que le confrère zambien quitte le Burkina pour remplir la même tâche dans son pays, tandis que son confrère congolais est rappelé de Zambie pour aller servir au Congo ? Quel gâchis !
Et l’Europe ? Et l’Amérique ? Il est évident qu’il faudra encore rappeler des confrères pour y exercer les différents services absolument nécessaires à la bonne marche de nos communautés et à leur dynamisme missionnaire. Mais je pense qu’il est temps d’y internationaliser davantage nos communautés, et cela même au niveau des responsables.
Par tous les moyens, nous devons jalousement veiller à protéger cette extraordinaire richesse que nous a léguée le Cardinal. Veillons à maintenir à tout prix l’internationalisation de nos communautés partout dans le monde, de nos communautés de formation aussi, et cela à tous les niveaux, première étape comprise. Veillons à en garder l’esprit en bannissant de nos votes, de nos pensées, le moindre esprit nationaliste. L’élément “nationalité” ne devrait jamais entrer en ligne de compte quand nous avons à choisir quelqu’un pour un poste, quel que soit le poste à fournir et où que ce soit. Nous sommes citoyens d’Afrique et nous travaillons tous avec le même enthousiasme à l’avancée du Royaume en cette terre à laquelle nous nous sommes donnés, et cela, quelle que soit notre nationalité.
Georges Jacques
Petit Echo 2013-04 / n° 1040