La force sociale de l’eucharistie
Dominique Greiner, rédacteur en chef
le 02/06/2021 à 15:12
Nous fêtons ce dimanche 6 juin le Saint-Sacrement. C’est un appel à approfondir le sens de l’Eucharistie. "C’est le centre vital de l’univers, le foyer débordant d’amour et de vie inépuisables. Uni au Fils incarné, présent dans l’Eucharistie, tout le cosmos rend grâce à Dieu«, affirme le pape François dans son encyclique Laudato si’ (n° 236). »L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la création. Le monde qui est issu des mains de Dieu, retourne à lui dans une joyeuse et pleine adoration", poursuit-il.
La célébration de l’Eucharistie est un moment privilégié pour apprendre à regarder tous les êtres et les choses comme venant de Dieu et destinés à y revenir.
C’est aussi un moment où il nous est donné de faire uneexpérience inouïe de la proximité de Dieu : "Le Seigneur, au sommet du mystère de l’Incarnation, a voulu rejoindre notre intimité à travers un fragment de matière. Non d’en haut, mais de l’intérieur, pour que nous puissions le rencontrer dans notre propre monde", écrit encore François.
Ainsi celui qui participe à l’Eucharistie est-il convié à bénir Dieu pour le don de sa création et d’user de celui-ci avec gratitude et respect. Mais aussi à inventer des gestes de générosité, de solidarité et d’attention, pour que personne ne soit privé de la prodigalité du Créateur. Car l’Eucharistie est une force capable de nous transformer en profondeur pour que nous inventions de nouvelles relations de l’être humain avec Dieu, avec lui-même, avec les autres et avec le cosmos.
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À quoi sert (vraiment) l’Eucharistie ?
Chez les catholiques français, le jeûne eucharistique imposé par le confinement a été au cœur de débats parfois si âpres qu’il conduit à réfléchir au sens profond de ce sacrement.
le 04/06/2021 à 09:41
Le manque s’est fait sentir, pour certains catholiques, dès la mi mars, quand le Covid-19 a mis sur pause le fil de la vie ordinaire. Manque d’espace, manque de rencontre, manque de mobilité ? Peut-être, mais aussi manque d’Eucharistie ! Un petit rond pâle déposé dans la main ou sur la langue, et une communion qui s’opère. Alliance mystérieusement renouvelée, par la simple ingestion d’un bout de pain qui n’a pas levé et sur lequel un prêtre a prononcé quelques mots répétés depuis deux millénaires : « Ceci est mon corps. »
« C’est quand même le pain de vie ! » a-t-on entendu d’une croyante portugaise, confinée en Picardie. La messe, pour Diolinda, c’était tous les jours en temps normal. « Je la regarde à la télé, mais ce n’est pas pareil. La communion me manque énormément. »
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D’autres ont relativisé ce manque, en rappelant que l’Eucharistie et la charité sont les piliers indissociables de la vie chrétienne et qu’il y avait bien à faire pour aider son prochain en dehors des églises fermées. Les derniers ont témoigné, étonnés voire perturbés, que la disparition subite de ce rituel pratiqué depuis l’enfance ne changeait rien à leur quotidien, du moins en apparence. La « surconsommation sacramentelle » déplorée par certains historiens, conséquence de siècles de christianisme sociologique, avait-elle fini par anesthésier, en eux, la puissance du sacrement dit « le plus grand » de tous ?
En tout cas, la période de disette eucharistique aura eu le mérite, au-delà des débats tendus et parfois inutilement violents qu’elle aura suscités, de nous interroger sur le sens profond de l’Eucharistie : « Source et sommet de toute la vie chrétienne », selon les termes de la Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium (n°11), « unique aliment qui rassasie », selon ceux du pape François.
Des siècles de débats théologiques
Sœur Bénédicte Mariolle, théologienne et Petite sœur des Pauvres, reprend une métaphore employée par le pape Jean XXIII : « C’est comme la fontaine du village, le lieu où nous venons nous ressourcer, reprendre vie dans une expérience communautaire qui dépasse notre famille et nos amis. » Carburant de la vie spirituelle, source où les catholiques puisent leur « feu intérieur », l’Eucharistie introduit aussi une rupture dans le quotidien - « un espace de gratuité qui tranche avec la logique d’efficacité de la vie de tous les jours », pour sœur Bénédicte Mariolle.
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Mais que se joue-t-il vraiment dans ce sacrement, dont le nom grec veut dire « action de grâce » et qui a généré des siècles de débats et d’explorations théologiques, de saint Augustin à François Varillon en passant par saint Thomas d’Aquin et le concile de Trente ?
Le père Éric Morin, enseignant au Collège des Bernardins et directeur de la revue Cahiers évangile, le dit en quelques mots simples : « L’Eucharistie, c’est ce que Jésus nous a demandé de faire pour que nous nous souvenions de lui dans l’attente de son retour. Il se donne en nourriture, il se laisse déjà goûter, pour nous permettre de tenir dans l’espérance jusqu’à ce qu’il revienne. »
Ce sacrement - comme les six autres que reconnaît l’Église catholique - est donc né d’une absence : celle du Christ mort et ressuscité, qui s’est retiré de l’histoire pour entraîner ses disciples auprès de son Père, où il les attend. « Les sacrements correspondent à une autre modalité de présence du Christ à ses disciples, après sa vie terrestre, reprend le père Éric Morin. Ces sept gestes déploient ce que représentait la présence de Jésus entre la Galilée et la Judée : il a baptisé, il a pardonné, il a guéri les malades… »
Pain quotidien
Et il a pris un dernier repas. Voilà ce qui se joue dans le sacrement eucharistique, pour lequel l’autel recouvert d’une nappe rappelle un banquet. « L’Eucharistie n’est en rien la “répétition” de la croix, dont le “une fois pour toutes” ne peut être répété », insiste le père Bernard Sesbouë dans un livre paru cet hiver (1). « L’Eucharistie par contre est bien la “répétition” de la Cène ».
C’est dans l’ordinaire d’un repas partagé que le Christ promet à ses disciples de rester uni à eux, même après sa mort et sa résurrection. « C’est dans un four banal qu’on cuit le pain quotidien », écrivait Georges Bernarnos. « Il faut aussi accepter cette part d’ordinaire, d’habituel, dans l’Eucharistie », estime le père Éric Morin. « Certains jours, je vais communier parce que c’est l’heure, voilà, et cela ne veut pas dire qu’il ne s’y passe rien. »
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Ce qui s’y « passe », justement, est parfois difficile à identifier pour celui qui communie, fût-il de bonne volonté. De là à croire qu’il peut s’en passer, il n’y a qu’un pas… Pour le père Gilles Drouin, directeur de l’Institut supérieur de liturgie de la Catho de Paris, il est évident que l’on peut avoir « une vie chrétienne authentique sans Eucharistie » : ce fut notamment le cas des catholiques japonais après le départ des missionnaires. Il appelle néanmoins à ne surtout pas « confondre la norme avec des exceptions ».
Un corps pour testament
De même, communier en dehors de la messe est possible, mais uniquement pour les malades. Le père Henri de Lubac, grand théologien du XXe siècle, insistait sur le fait que chaque célébration eucharistique vise à faire de l’assemblée présente le corps de l’Église, qui est aussi le corps du Christ. « Si l’Église fait l’Eucharistie, l’Eucharistie fait l’Église », écrivait-il. La dimension communautaire, fraternelle de l’Eucharistie est donc essentielle, et ce sacrement ne saurait se résumer à la « consommation » individuelle du pain et du vin consacrés, avant de rentrer chez soi sans un regard pour ses voisins d’assemblée.
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Recevoir le corps du Christ sans traduire cela en actes est bien un risque possible. Le père Gilles Drouin rappelle qu’en guise de testament, le Christ n’a pas donné un message - sinon le commandement d’amour - mais son corps : à chaque Eucharistie, il nous dit donc de nous donner nous-mêmes. « Nous devons conformer notre vie à l’acte que nous posons en participant à l’Eucharistie, qui est la participation au don du Christ de lui-même. »
Au cours de ses deux mois de confinement dans un Ehpad, sœur Bénédicte Mariolle dit avoir mieux pris conscience de la continuité entre l’Eucharistie et le service des pauvres - en l’occurrence, des personnes âgées. « L’Eucharistie rappelle au peuple chrétien celui vers qui il va », résume-t-elle joliment.