Seydou Mamadou Coulibaly, le futur Patrice Talon du Mali ?
Patron en vue dans les cercles économiques du Mali, souvent proche des pouvoirs, il a connu une carrière fulgurante. Au point de se voir aujourd’hui prendre la présidence.
À Hamdallaye-ACI, quartier d’affaires de Bamako, il est impossible de rater l’immense bâtisse bordée d’arbres sur la route qui mène à l’ambassade des États-Unis. C’est le siège de CIRA SAS (Conseil, ingénierie et recherche appliquée), un bureau d’études privé considéré comme l’un des meilleurs de la place. La réputation de discrétion de son patron, Seydou Mamadou Coulibaly, contraste avec le rayonnement continental de son entreprise. Mais aussi avec l’ambition présidentielle qui est la sienne, et dont il ne fait désormais plus mystère.
Depuis plusieurs mois, on ne compte plus les articles qui paraissent dans la presse locale. Les uns lui tressent des lauriers, les autres éreintent la figure du patron qui veut se lancer en politique. Il ne laisse, en tout cas, personne indifférent. Et dans le cercle proche de cet homme d’affaires qui a décidé, à 56 ans, de se tourner vers la politique, on ne boude pas son plaisir de voir ce « buzz » se construire autour du patron-candidat.
« L’exemple, c’est Talon »
Et tant qu’à assumer l’image du businessman devenu politicien, l’un de ses conseillers n’hésite pas à le comparer à Patrice Talon, l’ex-roi du coton devenu président du Bénin. « L’exemple, c’est Talon. Quand il s’est lancé, Patrice Talon a considéré que le moment était venu de mettre son génie au service de son peuple. C’est l’état d’esprit de Seydou Mamadou Coulibaly », confie ce proche de l’homme d’affaires.
Lorsqu’il nous reçoit dans son spacieux bureau, au deuxième étage du bâtiment d’Hamdallaye-ACI, Seydou Mamadou Coulibaly se montre sympathique, mais compte ses mots. L’homme est peu bavard, y compris sur son propre parcours. Pour se raconter, il se lance dans une longue plongée dans un passé pas si lointain, au début des années 1990. Jeune diplômé en génie civil – option hydraulique – de l’École nationale d’ingénieurs (ENI) de Bamako, Seydou Coulibaly, alors âgé de 33 ans, est chef de projets au sein de l’ONG Plan international, au Burkina Faso
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">SON GROUPE RÉALISE AUJOURD’HUI UN CHIFFRE D’AFFAIRES GLOBAL DE 20 MILLIARDS DE FRANCS CFA
En septembre 1991, l’ambition chevillée au cœur, il lance son bureau d’études. Son camarade de l’ENI et associé, Lassina Diallo, en est le seul employé à temps plein. « Ce n’était pas forcément par vocation, se souvient Seydou Coulibaly. Les jeunes diplômés n’étaient pas recrutés dans la fonction publique, le secteur privé n’était pas assez développé. Les offres d’emploi exigeaient cinq ans d’expérience… Le seul moyen de nous en sortir, c’était de nous auto-employer. »
Réussite fulgurante
Le bureau d’études, devenu Groupe CIRA Holding SAS, qui a fêté ses 30 ans cette année, compte désormais plus de 1 100 collaborateurs de 16 nationalités. Aujourd’hui présent dans 26 pays en Afrique, le groupe réalise un chiffre d’affaires global de 20 milliards de francs CFA, en « prestations intellectuelles », précise Coulibaly, et soumissionne dans 30 pays dans les secteurs des infrastructures de transport, de l’hydraulique, du bâtiment…
Une réussite fulgurante pour ce natif de natif de Markala, à 35 km de Ségou, qui bénéficie dans la sphère économique d’une réputation d’homme d’affaires doté d’une intelligence stratégique supérieure. Et il semble que ce soit de famille. Dans sa fratrie, tous ont fait de brillantes études. Un de ses frères, Hamidou Coulibaly, passe pour l’un des meilleurs architectes du pays. Un autre, Alioune Coulibaly, est le directeur général de la Banque malienne de solidarité (BMS-SA).
Après un DESS en aménagements hydro-agricoles au Burkina Faso, Seydou Mamadou Coulibaly passera, lui, par l’École polytechnique de Lausanne et l’École nationale d’administration du Québec.
S’ensuit une irrésistible ascension dans le monde des affaires, qui l’amènera notamment à s’engager dans les instances paritaires, en tant que premier vice-président de l’organisation patronale malienne, alors présidée par Mamadou Sinsy Coulibaly.
« Ne pas regarder le pays se détruire sans réagir »
Mais Seydou Mamadou Coulibaly est un insatiable. Désormais, c’est vers la sphère politique qu’il tourne son regard. Après avoir déroulé son impressionnant CV, ce jour-là, il coupe d’ailleurs court à notre premier entretien : il doit partir sur l’heure rejoindre les militants du Benkan (Pacte citoyen), un mouvement politique lancé en avril dernier à Mopti.
Le choix de cette région pour lancer le mouvement est tout sauf anodin. C’était un moyen de « marquer sa solidarité avec les populations du Centre, terre de brassage communautaire et poumon économique du pays », explique un conseiller. « On n’est pas encore entré de plein pied dans la politique, précise ce proche. Pour l’instant, Benkan est une association politique et non un parti. »
Une association politique qui fait la part belle aux acteurs économiques. Parmi les vice-présidents du mouvement, on compte plusieurs noms bien connus dans le microcosme des affaires à Bamako : Amadou Sankaré, dit « Diadié », président du Conseil national du patronat et patron de SAER Group, Modibo Keïta (Novec Mali SA) ou encore Moustapha Diop (patron de DFA communication). Le bureau de Benkan compte aussi Oussouby Sacko, président de l’université japonaise de Kyoto Seika.
« Il s’agit d’un rassemblement d’hommes d’affaires enrichis à travers les marchés d’État et qui essaient de mettre la main sur l’appareil d’État », tacle le politiste Lamine Savané. « Quand on a le capital économique, il manque le capital politique. C’est ce qu’ils vont chercher. La technique, c’est de phagocyter les partis, affaiblis, à travers certaines sections. Il n’y a aucune base idéologique. L’argent pervertit le système démocratique », poursuit le chercheur.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">ON LUI PRÊTE UNE FORTE PROXIMITÉ AVEC IBRAHIM BOUBACAR KEÏTA ET SON FILS KARIM
Une union des hommes d’affaires pour prendre le pouvoir et défendre leurs propres intérêts ? Seydou Mamadou Coulibaly s’inscrit en faux : « Benkan est un groupe de personnes. Le premier groupe qui a réfléchi, ce sont des hommes d’affaires. Les grandes entreprises ne sont pas versées dans la politique, qu’elles considèrent comme une activité subalterne. Mais on se rend compte que les entreprises prospèrent dans un environnement qui sombre. Il faut s’organiser pour voir dans quelle mesure jouer notre partition dans le renouveau du Mali. » Selon lui, la « mal-gouvernance politique est le fond du problème au Mali », qu’il faut corriger pour « installer la confiance entre les acteurs ».
Les opérateurs économiques se sont réunis dans ce mouvement pour « ne pas regarder le pays se détruire sans réagir ». Et Seydou Mamadou Coulibaly d’ajouter dans un demi-sourire qu’il « laisse la porte ouverte à des politiques ». De fait, au cours de ces derniers mois, des personnalités politiques ont rallié le mouvement, parmi lesquels d’anciens ministres d’Ibrahim Boubacar Keïta tels que Moulaye Ahmed Boubacar – démissionnaire du Rassemblement pour le Mali (RPM, le parti d’IBK) – et Mohamed Moustapha Sidibé, ou d’anciens députés, comme Oumar Traoré.
Candidat en 2022 ?
Ces derniers mois, il se dit et s’écrit beaucoup de choses sur les liens de Coulibaly avec les cercles de pouvoir. « C’est ATT [Amadou Toumani Touré] qui l’a vraiment lancé. Il est devenu l’argentier. Il se disait qu’il travaillait avec l’argent d’ATT et de Lobbo », confie un homme politique. On lui prête également une forte proximité avec Ibrahim Boubacar Keïta et son fils Karim. « En réalité, il n’est proche de personne, c’est l’homme des dirigeants de l’heure », glisse notre source.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">SI LES HOMMES D’AFFAIRES ONT LES BONNES IDÉES, POURQUOI NE PAS LEUR CONFIER LA GESTION DU PAYS ? »
« Dans quel pays atteint-on ce niveau sans être proche des hommes au pouvoir ? Il a été proche d’ATT, d’IBK et d’autres hommes d’État d’autres pays », rétorque Moulaye Ahmed Boubacar, l’un des vice-présidents de Benkan. Ce dernier affirme juger Seydou Coulibaly en « fonction de ses qualités d’homme de gestion ». « Il a la conviction que nous avons juste un problème de gouvernance politique, et offre un autre cadre, différent de celui des partis politiques. Si les hommes d’affaires ont les bonnes idées, pourquoi ne pas leur confier la gestion du pays ? »
« L’homme d’affaires est toujours conscient de ses limites. Ils auraient pu rester entre eux. Cette volonté de s’ouvrir montre qu’ils vont avoir besoin de compétences externes. Ils n’ont pas la prétention de venir changer les choses avec des recettes d’une entreprise », ajoute Moulaye Ahmed Boubacar. Coulibaly, dont on dit qu’il a aussi ses entrées auprès des chefs d’État de la sous-région, sera-t-il candidat à la présidentielle prévue pour 2022 ? « Il y aura un candidat de notre mouvement. Il appartient aux adhérents et à l’organe politique de décider qui ce sera », se contente-t-il de répondre.