Kad Merad : « Je reçois autant que je donne »                                                                                                                

Receveur des postes dans Bienvenue chez les Ch’tis, papa du Petit Nicolas, chef d’État dans la série Baron noir… Éclectique, l’acteur revient au cinéma dans la peau d’un vibrant animateur d’atelier théâtre en prison. Confidences en toute sincérité.

 

Publié le 24 août 2021 à 9:02

Kad Merad est un acteur, humoriste, réalisateur et scénariste franco-algérien.

Né d’un père algérien et d’une mère berrichonne, Kad Merad apprécie la richesse que lui apporte sa double culture. © Philippe Quaisse pour Le Pèlerin

Vous êtes à l’affiche de Un triomphe, programmé en salles ce 1er septembre alors qu’il devait sortir en 2020. Comment avez-vous vécu cette si longue attente ?

Kad Merad : D’abord en étant frustré que le film n’ait pu défendre ses chances l’an passé au Festival de Cannes, l’édition 2020 ayant été annulée. Je n’ai donc pas connu ce petit moment de magie que constitue la présentation d’un film sur la Croisette, devant les professionnels du 7e art. Pour une fois que je m’y rendais, et pas seulement pour y montrer ma tête ! (rire) Heureusement, Un triomphe a tout de même pu être projeté, lors des festivals d’Angoulême et de Lyon, à un public ému et heureux de le découvrir. Mais les reports successifs de sa sortie m’ont fait passer par tous les états émotionnels. Je croise maintenant les doigts face aux risques d’une quatrième vague.

Le thème de l’attente figure justement au cœur de Un triomphe… C’est incroyable !

C’est vrai. Dans ce film, j’incarne Étienne, un comédien qui se lance le défi un peu fou de monter avec des détenus En attendant Godot, de Samuel Beckett. Tout comme les personnages de cette pièce espèrent l’arrivée de Godot, qui ne viendra jamais, on en est venu à se dire avec Emmanuel Courcol, le réalisateur, qu’Un triomphe ne sortirait peut-être jamais en salles… Le destin de notre film rejoindrait alors le texte de Beckett – un bijou de théâtre absurde que j’ai adoré lire et plus encore jouer – mais aussi la période surréaliste que l’on traverse.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de vous lancer dans l’aventure ?

La rencontre avec Emmanuel Courcol. Je suis un acteur qui aime quand on le désire. Cela peut être présomptueux mais j’assume ce plaisir. Ce fut le cas avec Emmanuel, qui s’est intéressé à mon travail. De mon côté, j’ai été touché par son scénario, d’autant plus qu’il a tiré cette histoire de faits réels. Par ailleurs, il faut qu’à un moment du tournage, j’éprouve de la peur. La scène finale, névralgique pour mon personnage qui attend depuis si longtemps l’heure de son accomplissement, m’a particulièrement motivé. Complexe à tourner, elle s’est nourrie de tout ce que nous avions vécu durant le tournage, notamment la complicité nouée avec « la bande des Godot », mes partenaires de jeu. J’affectionne particulièrement la dimension de troupe et l’idée d’avoir partagé avec eux le souffle d’une aventure humaine aussi forte, inouïe. J’aime voir les gens heureux autour de moi. Associer Beckett à un film grand public, c’est quand même extraordinaire !

Vous auriez pu être ce personnage dans la vraie vie, durant vos années de galère ?

Je ne le crois pas : monter Beckett en prison, c’est un gros morceau. Je ne sais d’ailleurs pas comment je m’y serais pris pour donner des cours de théâtre, car je fonctionne plutôt à l’instinct. J’aime surtout témoigner de ma passion lors de master class ou d’invitations dans les écoles de théâtre, pour raconter la façon dont j’aborde mon métier. Les élèves comédiens me renvoient à mes jeunes années : quand on démarre, on est envahi de questions auxquelles on répond peu à peu par l’expérience.

Une partie du film a été tournée dans l’enceinte d’une vraie prison. Que retenez-vous de cette expérience ?

Avant de tourner sur place, nous avons visité le centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne) pour nous imprégner des lieux. J’ai été profondément marqué par le rituel des portes à franchir, leur bruit quand elles s’ouvrent et se referment brutalement sur vous, ce qu’on doit laisser à l’entrée… Ces sensations vertigineuses, inédites, m’ont aidé à habiter mon personnage qui, comme moi, n’avait jamais mis les pieds en prison.

Kad Merad est un acteur, humoriste, réalisateur et scénariste franco-algérien.


Les confinements successifs nous ont tous privés de liberté. Quel enseignement en tirez-vous, à la lumière de ce tournage si singulier ?

Il n’y a pas de commune mesure entre prison et confinement. Même dans l’exiguïté d’un logement, on peut être entouré de l’affection des siens. Je me revois, pour les besoins du tournage, sortir de la prison en empruntant un parking d’une saleté repoussante et d’une tristesse infinie : il était néanmoins devenu pour moi le plus bel endroit au monde, ce lieu où je pouvais reprendre ma respiration quand d’autres continuaient leur vie contrainte, derrière les barreaux.

On vous sent philosophe. Avez-vous trouvé quelque vertu au confinement ?

J’ai bien sûr vécu cette période comme un empêchement, mais cela m’a permis de devenir un véritable homme d’intérieur : cuisiner pour la famille, aider aux devoirs… Je suis même passé maître dans l’art de nettoyer les vitres ! J’ai certes été peiné de voir ma pièce Amis interrompue en mars 2020, alors qu’une cinquantaine de dates étaient encore programmées. On ne l’a pas assez rodée sur scène et on va donc « flipper » comme des débutants en retrouvant les planches, mais ce trac m’est bénéfique. J’apprécie la vie dans tout ce qu’elle a de positif. « Un mal pour un bien », telle est ma devise.

Votre père est algérien et votre mère berrichonne. Des cinéastes comme Maïwenn, avec son film ADN, ont récemment mis à l’honneur leur double culture. Vous pourriez faire de même ?

J’ai toujours eu le fantasme de raconter la richesse, avec ses difficultés et ses plaisirs, d’avoir grandi dans une double culture –  comme l’a si bien relaté le cinéaste franco-arménien Henri Verneuil dans ses grandes fresques historiques (Mayrig ; 588, rue ParadisNDLR). Alors que mon père faisait tout pour s’intégrer et gommer ce qui pouvait rappeler l’Algérie, ma mère, par défi, par courage, a choisi que ses enfants portent des prénoms algériens. Pour l’instant, les rôles que j’incarne au cinéma me permettent d’adresser des petits clins d’œil à cette histoire familiale. Dans Citoyen d’honneur, que je viens de tourner, je joue un écrivain algérien, prix Nobel de littérature, installé depuis trente ans à Paris. Son retour au pays ne va pas se passer comme il l’imaginait.

Vous êtes l’une des personnalités préférées des Français. Comment vos parents ont-ils accueilli votre notoriété ?

Avec beaucoup de pudeur. Mes parents sont maintenant très âgés, et l’on a plutôt tendance à parler d’autre chose que de moi. J’ai pu sentir du côté de mon père une fierté démesurée et il a fallu que je calme cet élan-là en essayant de ne pas en rajouter. Mais j’ai des parents qui ont su rester eux-mêmes. Patients et compréhensifs, ils ne m’ont jamais empêché d’aller au bout de mes rêves. C’est ma mère qui m’a inscrit à mon premier cours de théâtre, m’a acheté ma première batterie….

Le fait d’être un acteur aussi populaire vous donne-t-il une responsabilité particulière ?

Je ne me sens pas l’âme d’un ambassadeur ou d’un porte-drapeau de quoi que ce soit. Mais il m’arrive de mettre ma notoriété – que j’ai connue tardivement –, au service d’une cause quand celle-ci me touche sincèrement. C’est le cas avec les Enfoirés. Cette troupe où se mêlent artistes, techniciens et bénévoles des Restos du cœur, qui s’investissent sans compter, est devenue pour moi une famille. Chaque concert est un moment de partage exceptionnel, durant lequel je reçois autant que je donne.

En coulisses

Emploi du temps minuté pour Kad Merad. Entre un tournage à Arcachon (L’année du requin) et un autre sur Paris (Oussekine, où il incarne l’avocat Georges Kiejman), nous saisissons l’acteur au vol, le temps d’une interview téléphonique, puis d’une séance photo au Festival de Cannes, où il fait un aller-retour express. Un homme à suivre, assurément !