De Dalila à la reine de Saba, portrait des femmes dangereuses de la Bible
Nombreux sont ceux qui se sont interrogés sur la place de la femme dans la Bible. L’occasion pour certain.e.s de questionner l’égalité femmes-hommes dans les textes, tandis que d’autres ont mis en avant l’engagement et la lutte des femmes bibliques.
Mais les rédacteurs de la Bible ont aussi imaginé un type de femmes nocives, dont on parle moins, et qui cumulent à peu près toujours les mêmes caractéristiques : elles sont étrangères et usent de leur charme pour entraîner à leur perte des Hébreux puissants ou respectés.
Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine
Figures de l’altérité et de la débauche, ces vénéneuses se révèlent potentiellement castratrices pour les hommes qui croisent leur chemin.
La patronne harceleuse
La première de cette série de femmes, suivant leur ordre d’apparition dans la Bible, est une Égyptienne dont le nom ne nous est pas donné. L’auteur nous apprend seulement qu’elle est l’épouse de Putiphar, un des plus grands personnages du royaume, conseiller du pharaon. Or l’Hébreu Joseph, fils de Jacob, poursuit alors sa carrière professionnelle en Égypte. Grâce à ses remarquables compétences, il est monté en grade jusqu’à devenir le gestionnaire des biens du puissant Putiphar. Il administre aussi bien la maisonnée de son patron que ses domaines agricoles.
Tout va donc pour le mieux, lorsque la femme de Putiphar fait des avances à Joseph qui est beau garçon. « Couche avec moi », demande avec insistance l’Égyptienne (Gn 39, 7). Mais Joseph la repousse. Elle se met alors à le harceler.
Un jour, alors qu’elle se trouve dans sa maison, seule avec lui, elle le saisit par un pan de sa tunique et lui réitère sa demande : « Couche avec moi ». Joseph la repousse à nouveau et prend la fuite, mais sa tunique se détache et reste entre les mains de l’épouse qui fait mine d’appeler à l’aide. Les domestiques accourent, puis le mari rentre à la maison. La patronne harceleuse accuse Joseph d’avoir tenté d’abuser d’elle. Rattrapé, le jeune homme est jeté en prison.
Mais, rassurez-vous, il s’en sortira un peu plus tard grâce à ses extraordinaires qualités et surtout à l’aide de Dieu. L’écueil représenté par la méchante femme n’aura donc été que passager.
Dalila la castratrice
Comme l’Égyptienne qui mit dans l’embarras Joseph, Dalila la Philistine représente elle aussi le péril féminin. Samson, héros viril et juge, c’est-à-dire chef des Hébreux, éprouve une attirance particulière pour les étrangères qu’il préfère aux femmes de son peuple. Il épouse une Philistine qui le trahit avant même la fin du festin de ses noces qui devait durer sept jours (Jg 14, 17). Plus tard, il rend visite, à ses risques et périls, à une prostituée qui vend ses charmes à Gaza (Jg 16, 1).
Enfin, il devient l’amant de Dalila, sans doute la plus nocive de toutes les femmes du moment. Mais Samson est sous le charme. Il se laisse berner par la manipulatrice, allant jusqu’à lui révéler le secret de sa force. « Révèle-moi donc pourquoi ta force est si grande », lui demande Dalila avec insistance (Jg 16, 6). « Comment peux-tu dire : Je t’aime, alors que ton cœur n’est pas avec moi ».
La séduisante Philistine se livre ici à ce que nous qualifierions aujourd’hui de chantage affectif. Samson finit par céder : « Le rasoir n’a jamais passé sur ma tête […]. Si j’étais rasé, alors ma force se retirerait loin de moi, je deviendrais faible et je serais pareil aux autres hommes ». Peu après, Dalila « endormit Samson sur ses genoux et appela un homme qui rasa les sept tresses de sa chevelure ; alors il commença à faiblir et sa force se retira loin de lui ».
L’édition œcuménique de la Bible précise qu’il existe une version plus ancienne du texte hébreu dans laquelle Dalila coupe elle-même les cheveux de son amant : « elle rasa ; elle commença à l’affaiblir ». Cette variante souligne davantage encore le rôle féminin castrateur.
Prévenus par Dalila, les Philistins capturent Samson, désormais bien incapable de se défendre. Ils lui crèvent les yeux et le jettent en prison. Dieu lui permettra néanmoins de se venger, un peu plus tard, lors d’une ultime attaque suicide. À l’occasion des célébrations en l’honneur de Dagôn, leur grand dieu, les chefs philistins exhibent au peuple le prisonnier, depuis la terrasse du temple. Samson prend appui sur deux colonnes et, après avoir prié Dieu de lui rendre une dernière fois sa force, il renverse les colonnes, provoquant l’effondrement de l’édifice. « Que je meure avec les Philistins », sont ses dernières paroles.
L’auteur conclut de ces mots l’épisode : « Les morts qu’il fit mourir par sa mort furent plus nombreux que ceux qu’il avait fait mourir durant sa vie » (Jg 16, 30). En fin de compte, la traîtresse aura été fatale à Samson, mais aussi indirectement à son propre peuple.
Provocante reine de Saba
La Bible comble d’éloges le roi Salomon dont la puissance et la richesse auraient égalé la sagesse. Le souverain domine un vaste empire s’étendant de l’Euphrate à la frontière de l’Égypte. Peuples et rois vassaux lui versent de lourds tributs. Il possède un merveilleux palais, de l’or à profusion, de nombreux chars et chevaux, ainsi qu’un harem composé de 700 épouses « de rang princier » et 300 concubines (1 R 11,3).
Dans un premier temps, Salomon, en pleine possession de ses capacités viriles, parvient à dominer toutes ces femmes. Il réussit aussi à déjouer les pièges de la reine de Saba, spécialement venue à Jérusalem depuis son royaume du sud de l’Arabie, le Yémen actuel, pour tenter de le déstabiliser.
Elle entendait « le mettre à l’épreuve par des énigmes » (1 R 10, 1). Il ne s’agissait donc nullement d’une visite amicale, mais d’une provocation. Cependant, Salomon ne se laisse pas impressionner : il « lui donna la réponse à toutes ses questions ».
Il la domine ainsi par son intelligence supérieure. La souveraine en a le souffle coupé. Elle reconnaît qu’elle a été vaincue par le roi qui la renvoie dans son pays. La reine de Saba incarne à nouveau, comme Dalila, la femme étrangère dangereuse. Mais contrairement à Samson, Salomon ne se laisse pas manipuler.
La souveraine aux jambes poilues
Les développements ultérieurs de cette légende vont dans le même sens, tout en ajoutant de nouveaux ingrédients. Ainsi, dans le Targum Sheni du livre d’Esther (écrit midrashique en araméen, datant sans doute du VIIe ou du VIIIe siècle), Salomon reçoit la reine dans une salle d’audience pavée de cristal. La souveraine croit qu’il s’agit d’un bassin rempli d’eau. Pour le traverser, elle retrousse sa robe. Salomon découvre alors que ses jambes sont… poilues ! « Ta beauté est celle d’une femme, mais tes poils sont plutôt ceux d’un homme », lui fait-il remarquer.
Cette anecdote est censée souligner l’anormalité que représente la femme exerçant le pouvoir politique, caractéristique virile, selon le point de vue du rédacteur. Salomon remet à sa place cette reine qui inverse les rôles masculins et féminins.
Concubines idolâtres
Plus tard, avec l’âge, Salomon finit cependant par perdre ses capacités viriles. Les épouses étrangères sont montrées du doigt comme les véritables responsables de la déchéance de leur époux, lui-même coupable d’avoir introduit dans son lit ces femmes interdites. « Le roi Salomon aima de nombreuses femmes étrangères. […] Elles étaient originaires des nations dont le Seigneur avait dit aux fils d’Israël : Vous n’entrerez pas chez elles et elles n’entreront pas chez vous, sans quoi elles détourneraient vos cœurs vers leurs dieux » (1 R 11, 1-2).
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine
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