Ariel Sheney, la relève du coupé-décalé
Celui qui se produisait sur la petite scène dédiée aux jeunes talents en 2019 a prouvé qu’il avait la carrure pour proposer un live digne de ce nom lors de la 13e édition du FEMUA.
Saltos avant et arrière, acrobaties en tout genre… Une armée de danseurs fait une entrée fracassante sur la grande scène de l’Institut de la jeunesse et des sports d’Abidjan, où s’est tenue du 6 au 12 septembre la 13e édition du festival des musiques urbaines d’Anoumabo (FEMUA). Riffs supersoniques, frappes de percussions et chœurs rythment les pas de roukaskas, chorégraphie née en Côte d’Ivoire sous l’impulsion de feu DJ Arafat, roi du coupé-décalé.
Ariel Sheney déboule à son tour sur les planches, muni d’une veste jaune frangée, d’un pantalon en cuir et de lunettes de soleil. Synthétiseur sanglé autour du cou, le président du ghetto – comme on le surnomme ici – a plutôt des allures d’une star du glam rock. « Je suis le lion musical du pays. Je décide de quand on danse et de quand on chante. Je ne suis pas Dieu, mais je suis maître du destin musical de la Côte d’Ivoire », déclame-t-il dès les premières notes du morceau « Etèssê ».
DJ Arafat, un mentor
À 31 ans, Ariel Sheney compte bien assurer la relève du coupé-décalé en mâtinant ses productions de ragga, de rock ou encore de variété. Fini le play-back pour celui qui foulait encore en 2019 la petite scène du FEMUA réservée aux jeunes talents. Deux ans plus tard, le voilà prêt à montrer qu’il a non seulement du coffre mais aussi plus d’une corde à son clavier. Dans un contexte de crise sanitaire mondiale, il était temps pour le chanteur ivoirien de remonter sur scène. Courant 2020, il a en effet vu sa tournée européenne s’interrompre et n’a pu assurer que quatre dates sur quinze.
« Quand le Covid est arrivé, on a vu beaucoup d’artistes de la scène urbaine débarquer de France pour jouer ici, en Afrique. Pour les promoteurs, c’était l’idéal puisqu’ils payaient les musiciens à moindre coût, disons 30 000 euros au lieu de 50 000, détaille-t-il. Mais pour nous, les artistes locaux, ça a été très difficile. On a énormément perdu dans l’histoire. »
Fils d’un père pasteur et saxophoniste, Jean Ariel Srè, de son vrai nom, a d’abord appris à chanter à l’église. Pour lui, la musique est héréditaire. Mais pour ses parents, hors de question d’en faire un métier. « J’ai évolué dans des groupes à Abidjan en cachette, dès l’âge de 12 ans », confie celui qui intègrera plus tard l’Orchestre de la RTI en tant que pianiste. « J’étais en terminale et je devais passer les examens. Mais ce même jour, l’orchestre organisait des castings. J’ai longtemps hésité, mais j’ai fini par louer une salle à l’Insaac, l’école de musique d’Abidjan, pour répéter. Et j’ai été pris. Ça m’a coûté la colère de mon père pendant deux ans », se souvient-t-il.
C’est avec ce même orchestre, lors d’un show télévisé intitulé « Podium », qu’Ariel Sheney fera la rencontre de son futur mentor, avant de le perdre de vue pendant la crise. « Je suis parti me réfugier à Lomé, au Togo, où j’ai à nouveau rencontré Arafat. Il a vu que j’étais carré et on a commencé à travailler ensemble ».
LA FORMATION QUE DJ ARAFAT M’A DONNÉE ME POSITIONNE EN TANT QU’HÉRITIER
L’ancien membre de Yorogang, le groupe et le label montés par DJ Arafat, a longtemps officié dans l’ombre de celui que la jeunesse ivoirienne pleure depuis deux ans. C’est pourtant à Ariel Sheney que l’on doit les arrangements de bien des tubes de l’ancienne star du coupé-décalé, disparue lors d’un accident de moto en 2019. Deux ans auparavant pourtant, Arafat mettait son ex-protégé à la porte, boycottant ainsi ses plus grands tubes de YouTube. La force tranquille, comme lorsqu’on le rencontre au bord de la lagune bordant le site de l’INJS, Ariel Sheney a toujours préféré garder le silence plutôt que de riposter. Aujourd’hui, il est conscient du patrimoine musical que son parrain lui a légué.
« La formation que DJ Arafat m’a donnée me positionne en tant qu’héritier, analyse-t-il. Je m’inscris dans la continuité du travail qu’il a commencé et qu’on a poursuivi ensemble. Avant d’être une musique, le coupé-décalé est un mode de vie qui repose sur l’entraide entre potes, rappelle le gamin d’Abobo. Mais avec la concurrence, on a oublié ce côté solidaire qui constitue la base de cette scène. »
Retenir les jeunes
Pour Ariel Sheney, le coupé-décalé doit aussi passer par un travail d’image. Nombreux sont les artistes dénichés dans les quartiers qui peinent à percer par manque de formation, inexistante dans les institutions locales. « Le talent ne suffit pas, il y a aujourd’hui de nouvelles manières de communiquer, notamment sur le digital », prévient l’ex-poulain de la major Sony. Depuis l’été 2021, c’est au sein de son propre label, AS records, qu’Ariel Sheney continue sa route et produit ainsi de jeunes artistes locaux comme Fior de Bior, la chanteuse Solaya, le petit prodige du rap ivoire SK 07, ou encore Cédric 225.
LA CRISE A AMENÉ LES JEUNES À ALLER VOIR AILLEURS, À PARTIR EN VILLE OU À ALLER EN EUROPE
Une scène urbaine festive et divertissante qui n’en oublie pas pour autant les réalités du pays. « Même dans le coupé-décalé, on essaie de faire passer des messages. Sur « Ghetto » (2017), je m’adressais à mes amis qui « grouillent », qui se démerdent pour survivre, pour leur donner du courage », commente l’initiateur du festival Asoe, qui signifie « merci » en guéré, sa langue maternelle. Cet événement sur l’entrepreneuriat et la formation des jeunes se tiendra du 28 octobre au 1er novembre à Duékoué, ville dont sont originaires ses parents.
« La crise a amené les jeunes à aller voir ailleurs, à partir en ville ou à aller en Europe. On a besoin de manifestations de ce genre pour les retenir, alerte-t-il. Il faut commencer par faire les choses chez soi. Les villes comme Abidjan sont trop saturées, et les autres sont laissées-pour-compte », regrette l’artiste qui travaille sur ce projet depuis deux ans. C’est ensuite au Sénégal, au Bénin et au Cameroun qu’Ariel Sheney s’envolera d’ici la fin de l’année pour livrer de nouveaux concerts.