KPG, forgeron-conteur burkinabè: «Je forge des histoires pour cultiver la vie»

L’artiste conteur Kientega Pingdéwindé Gérard (dit KPG) a présenté au Sirque de Nexon « Supiim » lors des Zébrures d’automne au festival des Francophonies en Limousin.

L’artiste conteur Kientega Pingdéwindé Gérard (dit KPG) a présenté au Sirque de Nexon « Supiim » lors des Zébrures d’automne au festival des Francophonies en Limousin.
 © Siegfried Forster / RFI

C’est un spectacle unique à l’épreuve du feu. Le forgeron-conteur burkinabè KPG réunit au théâtre la force de la forge et la puissance de la parole forgée. « Je forge des histoires dans ce monde contemporain, pour que les gens puissent utiliser ces histoires pour cultiver la vie. » Lors des Zébrures d’automne du festival des Francophonies en Limousin, Kientega Pingdéwindé Gérard (dit KPG) a présenté au Sirque de Nexon « Supiim » (« aiguille » en moré), un conte contemporain alliant la sagesse de la tradition, le chant, la poésie, le rap et la danse. Entretien.

RFI : Pour cette pièce, vous avez installé une vraie forge pour réduire les minerais de fer devant nos yeux. Sur la scène du théâtre, vous transformez la sagesse du forgeron en paroles du conteur. Et pendant cette performance, vous vous adressez à nous en disant : « Allons à l’école de la forge ». Qu’est-ce qu’on y apprend ?

KPG : L’école de la forge, c’est un espace qui permet de nous connecter avec nous-mêmes. L’école de la forge nous permet de nous identifier et de nous assumer pour faire face aux flots et à la turbulence que le monde vit aujourd’hui. L’école de la forge, c’est l’équilibre, l’harmonie. Dans cette école, on apprend à vivre, à être utile. On y apprend les choses qui nous permettent de pouvoir surpasser les choses difficiles et puis créer l’harmonie et faire en sorte que celui qui est en face puisse être notre pendant, c’est-à-dire : pour que j’existe, il faut que mon voisin existe. C’est ça, la cohésion dans l’existence. C’est ça, l’école de la forge.

[Vidéo] «Supiim»: quand le conteur burkinabè KPG fusionne la forge et le théâtre
« Supiim », écrit et mise en scène du conteur burkinabè Kientega Pingdéwindé Gérard, dit KGB, aux Zébrures d’automne 2021 du festival des Francophonies en Limousin.

« Supiim », écrit et mise en scène du conteur burkinabè Kientega Pingdéwindé Gérard, dit KGB, aux Zébrures d’automne 2021 du festival des Francophonies en Limousin.
 © Siegfried FORSTER / RFI

L’art du forgeron est un art millénaire, comme le théâtre. Quel est le parallèle entre l’art de la forge et l’art du théâtre ?

Dans le cadre de notre spectacle, nous avons mis les outils en scène ; pour cela, c’est en même temps du théâtre. C’est la parole forgée à travers le théâtre. La parole forgeait les outils qui sont en train de raconter l’histoire. C’est la symbolique des outils, la symbolique des traditions, la symbolique des traditions du fer qui façonnent et puis qui donnent sens à la vie et qui nous permettent de pouvoir forger la culture pour cultiver la vie. Quand on compare le théâtre et la forge : le théâtre met en scène des acteurs, alors que la forge aussi met en scène des acteurs d’une manière ou d’une autre, parce que le forgeron fabrique un outil et le donne, par exemple, à un agriculteur. Celui-ci va l'utiliser comme un symbole, comme un outil. Comme un acteur utilise les accessoires pour sa scène, le forgeron fait pareil avec les outils qu’il donne aux agriculteurs ou les cloches qu’il crée pour les musiciens… Donc, il existe une similitude, mais la forge est plus ancienne que le théâtre !

Le chanteur centrafricain Ozaguin dans le spectacle « Supiim » de l’artiste conteur burkinabè KPG à Nexon.

Le chanteur centrafricain Ozaguin dans le spectacle « Supiim » de l’artiste conteur burkinabè KPG à Nexon.
 © Christophe Péan / Francophonies en Limousin

Vous êtes un artiste conteur travaillant avec beaucoup de disciplines. Pendant l’épidémie de Covid-19, vous avez même fait des spectacles sur Facebook. À l’heure des réseaux sociaux, quel est aujourd’hui le rôle du forgeron, du metteur en scène, du conteur ?

Le conteur raconte des histoires pour transmettre des messages. Ici, en tant que forgeron-conteur, je forge des histoires, puis je les raconte. Je crée des histoires pour les donner… Comme je le dis dans le spectacle : mon père créait des outils pour les gens, pour que les agriculteurs puissent cultiver. Moi, je forge aujourd’hui des histoires dans ce monde contemporain pour que les gens puissent utiliser ces histoires pour cultiver la vie. Aujourd’hui, dans le monde dans lequel nous vivons, on ne peut plus vivre sans ce monde numérique, parce que le numérique est devenu maintenant quelque chose qui est en nous. Mais on oublie que le numérique, c’est la forge. […] La forge est l’ancêtre de la technologie.

Vous êtes vous-même issu de la caste des forgerons et, dans la pièce, vous affirmez : « On ne peut pas devenir forgeron. On est forgeron. » Au Burkina Faso, pour être forgeron, il faut être issu d’une famille de forgerons, appartenir à la caste des forgerons. Il faut être initié. Est-ce que cela exclut les femmes ? Quel est le rôle de la femme dans l’art du forgeron ?

Un forgeron est un forgeron. Il n’y a pas de femme ou d’homme. Un forgeron, qu’il soit petit ou grand, qu’il soit fille ou garçon, est un forgeron. À partir du moment où tu viens de cette famille-là, tu es forgeron. Il n’y a pas à dire « comme c’est une femme » ou bien : « C’est une fille, elle n’a pas le droit d’exercer la forge ». Non. Dans la forge, la femme aussi a son rôle à jouer. Et la plupart du temps, dans la société ancienne, les femmes forgeronnes étaient des potières. Dans ces familles-là, les filles apprenaient à faire de la poterie. C’est toujours le four, le fourneau, la transformation, la cuisson, parce que quand on fait le four pour cuire les poteries, c’est le même four que les hommes, de l’autre côté, utilisent pour faire la réduction des minerais de fer. On était dans une société complémentaire, interdépendante, mais pas dans une société pyramidale où il y a une personne qui décide et les autres qui exécutent. Pour répondre à la question du rôle de la femme : la fille qui est forgeronne issue d’une famille de forgerons n’est pas exclue, parce qu’il y a une complémentarité. On se complète. Il n’y a pas quelqu’un qui se suffit à lui-même.

Vous déclarez que l’art de la forge signifie l’harmonie, la médiation, l’équilibre, se reconnecter à soi-même, l’interdépendance à l’horizontale… Aujourd’hui, au Burkina Faso, quel est le rôle du forgeron-conteur que vous êtes dans une société très troublée par des crises ?

Il faut situer le contexte. L’administration de nos États ne tient pas souvent compte de la société traditionnelle. C’est pourquoi les mécanismes de résolution de crises ne fonctionnent pas. Dès qu’on a intégré ces mécanismes, ces valeurs dans l’administration, cela permet aux forgerons de jouer leur rôle de médiateur. Mais si, dans une société, on n’a pas inscrit dans la conscience collective que le forgeron peut jouer ce rôle-là, on ne se lève pas du jour au lendemain en se disant : « OK, je suis forgeron, je suis venu pour rétablir les liens pour vous permettre de vous réconcilier avec vous-mêmes ». Ça ne marchera pas, parce que les gens ne savent pas. On ne nomme pas ce qu’on ne connaît pas.

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