Mali : dix choses à savoir sur le chérif de Nioro, le chef religieux qui veut prolonger la transition
Chef des hamallistes, Mohamed Ould Checkne, dit « Bouye », est une figure importante de la scène politico-religieuse malienne. Depuis quelques mois, cet imam demande que l’élection présidentielle de février 2022 soit repoussée.
1. Fils d’un résistant
Né en 1937, Mohamed Ould Cheikh Hamahoullah, dit « Bouye », est le huitième d’une fratrie de dix enfants. À Nioro du Sahel, il dirige la famille Hamahoullah. Dans Chérif Hamahoullah, homme de foi et résistant (Éd. L’Harmattan), l’historien mauritanien Alioune Traoré dit de lui qu’il « est réputé pour sa piété ». Son père, Cheikh Hamahoullah, était un mystique soufi et un résistant à l’administration coloniale française qui le considérait comme « dangereux » et « anti-français », selon le journaliste et historien Seidina Oumar Dicko dans Hamallah, le protégé de Dieu (Éd. Al Bustane). Figure importante de l’islam en Afrique de l’Ouest, Cheikh Hamahoullah a fondé le hamallisme, un mouvement d’obédience tidjani dont le berceau est Nioro du Sahel, dans la région de Kayes, à l’ouest du Mali.
2. Chef spirituel…
Depuis 1966, seul enfant vivant de Cheikh Hamahoullah, Bouye dirige la zawiya hamalliste de Nioro du Sahel. Cette position lui confère un rôle incontournable sur la scène politico-religieuse malienne.
Certains n’hésitent pas à appeler Nioro du Sahel – où plusieurs obédiences de la Tidjaniya coexistent – le « Qom malien », en comparaison à cette ville iranienne qui a vu naître les premières secousses de la révolution islamique et ville sainte des chiites.
3. … Et commerçant
Le chérif de Nioro n’est pas seulement un guide religieux. C’est aussi un grand commerçant, importateur de produits alimentaires, qui a la réputation de pratiquer des prix relativement bas. Il bénéficierait d’un système de dégrèvement fiscal de la part des autorités. « Ces exonérations permettent aux populations d’accéder à des produits de moindre coût, ce qui consolide davantage l’assise du chérif de Nioro », confie un anthropologue originaire de Nioro du Sahel.
Il est issu d’une lignée de négociants. Son grand-père était commerçant à Kamba (Ségou), où est également né son père. Le développement des activités économiques a été « impulsé par les commerçants et hauts fonctionnaires membres de la confrérie », explique le journaliste mauritanien Lemine Ould Mohamed Salem, fin connaisseur de la région. Elles ont pour but premier de « mettre fin à l’isolement économique de Nioro et de faire vivre la région qui était par le passé un grand carrefour commercial, mais a perdu cette position depuis l’indépendance », ajoute Lemine Ould Salem.
4. Partisan d’IBK
Il s’est distingué dans la sphère religieuse par son positionnement partisan. En 2013, lors des élections présidentielles, il n’a pas hésité à donner une consigne de vote en faveur d’Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », candidat du Rassemblement pour le Mali (RPM), qui a raflé la mise au second tour avec 77,6 % des suffrages. Il avait même publiquement annoncé avoir mis la main à la poche pour financer la campagne de ce dernier, à hauteur de 100 millions de francs CFA (environ 152 000 euros). Cinq ans plus tard, le chérif de Nioro, soutenu par l’influent imam Mahmoud Dicko, n’a pas hésité à déclarer publiquement sa « déception » vis-à-vis d’IBK, alors candidat à sa propre succession.
Pourtant, en pleine contestation du Mouvement du 5 juin–Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), il était apparu en soutien d’IBK. Un retournement qui lui avait valu des accusations de trahison de la part des partisans du M5-RFP dont l’autorité morale n’était autre que… Mahmoud Dicko.
Dans le gouvernement restreint mis en place par Ibrahim Boubacar Keïta et dirigé par Boubou Cissé, Abdoulaye Daffe, ministre de l’Économie et des Finances, arrêté par les putschistes en août 2020, est présenté comme l’un des protégés du chérif. Ce dernier s’était absenté lors du premier Conseil des ministres pour se rendre chez le chérif de Nioro. Il aurait également, à cette époque, proposé Choguel Maïga au poste de ministre de l’Administration territoriale.
5. « Directeur de conscience » de Mahmoud Dicko
Le chef des hamallistes est présenté comme le « directeur de conscience » de l’imam Dicko, qui s’est toujours aligné sur ses positions et décisions. Ce fut notamment le cas en 2018 lorsque le chérif a retiré son soutien au président Keïta, qu’il avait pourtant soutenu en 2013.
Dans sa thèse intitulée Les Formes d’articulation de l’islam et de la politique au Mali (2015), Boubacar Haidara écrit : « Si idéologiquement chérif Bouye Haïdara est naturellement plus proche de chérif Ousmane Madani Haïdara, du fait de leur appartenance commune au soufisme, il semble toutefois partager les aspirations politiques de Mahmoud Dicko. Cette cause commune les a ainsi réunis autour de Sabati 2012 [un mouvement de jeunes musulmans, ndlr]. »
Cependant, si le chérif de Nioro et l’imam Dicko ont un positionnement commun sur les questions de gouvernance et de politique, Gilles Holder, anthropologue au CNRS et spécialiste des dynamiques sociales de l’islam, a émis des doutes quant à la pérennité de cette alliance.
6. Après IBK, Aliou Boubacar Diallo
En 2018, lorsque le chérif de Nioro retire son soutien à IBK, il appelle à voter pour Aliou Boubacar Diallo, riche entrepreneur minier, lui-même ancien soutien financier d’IBK, et par ailleurs descendant d’un compagnon du fondateur du mouvement hamalliste.
7. La tête de Boubeye
À Bamako, le 10 février 2019, un meeting est organisé au stade du 26-mars par le Haut conseil islamique du Mali, alors dirigé par l’imam Mahmoud Dicko. La mauvaise gouvernance, l’instabilité sécuritaire ou encore la présence française sont la cible des orateurs. À la tribune, l’envoyé de Bouye a une cible privilégiée : « Le chérif de Nioro exige la démission du Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga. Cette démission peut atténuer le différend qui oppose le chérif au président. » Une prise de position qui intervient en pleine polémique sur le contenu de manuels scolaires sur l’éducation sexuelle. Soumeylou Boubeye Maïga finira par rendre son tablier quelques semaines plus tard.
8. Brouille avec Karim Keïta
En 2013, après l’accession d’IBK au pouvoir, le fils de ce dernier, Karim, ambitionnait de se porter candidat aux élections législatives en commune II du district de Bamako. Mais son président de père s’y opposa fermement. Le chérif de Nioro est alors intervenu pour convaincre Ibrahim Boubacar Keïta de changer d’avis.
Depuis, les relations entre les deux hommes ont radicalement changé. Lorsque le Premier ministre Boubou Cissé avait rendu visite au chérif de Nioro pour lui demander de plaider auprès du M5-RFP afin de convaincre les cadres du mouvement de renoncer à la marche du 29 juin, celui-ci lui avait fait passer le message qu’il fallait écarter Karim Keïta du pouvoir. Quelques mois plus tard, après la chute du président malien, il avait expressément appelé les militaires putschistes à ne pas collaborer avec le fils de l’ancien président.
9. Il soutient les militaires, mais…
Dans les mois qui ont suivi l’installation des autorités de transition, en 2020, le chérif de Nioro s’est d’abord montré critique envers les nouveaux maîtres de Bamako, bien qu’il se soit publiquement prononcé en faveur des militaires pour diriger la transition.
Lors de ses sermons du vendredi, dans sa zawiya de Nioro du Sahel, il a plusieurs fois dénoncé sa mise à l’écart par les nouvelles autorités, regrettant notamment de ne pas avoir été consulté lors de la mise en place du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif de la transition.
Début 2021, il réclame le limogeage de Bintou Founé Samaké, la ministre de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille du gouvernement de Moctar Ouane. Sa faute ? Avoir voulu faire passer un avant-projet de loi sur les violences basées sur le genre, considéré comme un « projet de l’Occident » par le Haut conseil islamique du Mali.
Depuis quelques mois, ces critiques ont cependant cédé la place à des appels récurrents à soutenir la transition.
10. Pour la prolongation
Le vendredi 23 juillet, à la fin de la prière, le chérif de Nioro, s’est clairement exprimé : « Si vous voulez qu’on avance, donnons-nous du temps. Nous, Maliens, devons œuvrer à ce que cette transition soit prolongée. Si nous avons l’espoir et l’ultime conviction que les autorités actuelles de la transition peuvent mieux faire, je demande une prolongation de 2 à 3 ans de la transition », a-t-il déclaré, dans des propos qui ont ensuite été confirmés par son chargé de communication.