Mali : la fuite désespérée d’Amadou Toumani Touré

Mis à jour le 1 décembre 2021 à 15:48
 


Amadou Toumani Toure lors d’une conférence de presse au palais présidentiel, en février 2010 © Eric Feferberg/Pool/REUTERS

 

« Sauve qui peut ! » 3/6. Lorsque Kati se soulève le 21 mars 2012, le président pense que la situation est sous contrôle. Quand il prend conscience de la gravité des évènements, il est trop tard, il doit fuir. Plusieurs fois ce jour-là, il manquera d’être tué.

Le président a fui. Sans voiture ni garde du corps, il a dévalé la colline en titubant et laissé derrière lui un palais aux murs criblés de balles. Amadou Toumani Touré (ATT), 63 ans, n’a plus l’endurance de la jeunesse. Son genou le fait souffrir. Il est contraint de marquer des temps d’arrêt.

Cette colline qu’il a si souvent parcourue à bord de ses 4X4 et limousines blindés paraît, en cette fin de journée, interminable. Mais il n’y a pas de temps à perdre, il faut se mettre à l’abri. Aux côtés du président, deux hommes, parmi les rares qui lui sont restés fidèles : son aide de camp, le colonel Alou Bagayoko, et le lieutenant-colonel Abidine Guindo, le commandant du 4ème régiment de parachutistes de Djicoroni. Sans eux, ATT ne serait pas parvenu à échapper aux mutins. Quand il faiblit, ils se relaient pour le soutenir. Il ne faut pas rester là. Nous sommes le 21 mars 2012 et le pouvoir est en train de s’effondrer.

« Quelqu’un leur donne ma position ! »

Quelques heures plus tôt, ATT croyait encore avoir le contrôle de la situation. Mais vers 15h30, il a été surpris par les tirs qui ont retenti autour de la présidence. Les mutins étaient au pied de la colline de Koulouba. Ils ont bloqué la rue principale, celle qui mène au palais, et, à coup de mitrailleuse et de lance-roquettes, ils ont ouvert le feu en direction du palais. Le deuxième étage de l’aile gauche du bâtiment, là où se trouve le bureau du chef de l’État, essuie des tirs nourris. Pour échapper aux rafales et rejoindre le bâtiment 42, situé derrière la présidence, ATT a couru à toute vitesse. Est-ce à cet instant qu’il prend conscience de la gravité des évènements ?

LA MITRAILLEUSE ARROSE LE BÂTIMENT OÙ IL S’EST RÉFUGIÉ. ATT EN EST CONVAINCU, IL A ÉTÉ TRAHI

Les mutins venus du camp militaire de Kati ne lui laissent aucun répit. « Ta-ta-ta-ta ! » Les tirs reprennent, la mitrailleuse arrose maintenant le bâtiment où il s’est réfugié. ATT en est convaincu, il a été trahi. « Quelqu’un leur donne ma position », lance-t-il à la poignée d’hommes qui l’accompagne. Autour de lui, l’étau se resserre. Il ne le sait pas encore, mais des officiers qui le connaissent très bien ont rallié les putschistes et celui qui se posera comme leur chef, Amadou Haya Sanogo.

Dans l’après-midi, le capitaine est apparu sur les antennes de l’Office de radio et télévision du Mali (ORTM) avec une vingtaine d’hommes en treillis, comme lui, et tous inconnus au bataillon. « Le CNRD [Comité national pour le redressement de la démocratie] se réclamant des forces armées de défense et de sécurité du Mali […] a décidé de prendre ses responsabilités en mettant fin au régime incompétent et désavoué de M. Amadou Toumani Touré », a lu d’une voix hésitante le lieutenant Amadou Konaré, sous le regard impassible de Sanogo.

Dans la foulée, la Constitution est suspendue, les frontières fermées et les poids-lourds du gouvernement arrêtés. Il est 21h, le portail de Koulouba cède. Les mutins pénètrent à l’intérieur du palais, mais ATT n’est plus là. Alors que le soleil se couchait sur le fleuve Niger, il est parvenu à s’enfuir et à atteindre l’avenue de l’Indépendance, située en contrebas. Sur la route, le lieutenant-colonel Guindo a arrêté une Mercedes 190 blanche qui passait par là. Face à ces hommes armés, le chauffeur n’a opposé aucune résistance. Les fugitifs se mettent en tête de rejoindre le camp de Djicoroni, situé à environ 6 km de Koulouba. Guindo est convaincu que les parachutistes pourront protéger ATT. Mais jusqu’à quand ?

La psychose s’installe

Tout au long de la nuit, des tirs sporadiques se font entendre. La capitale est quadrillé par les bérets verts fidèles à Sanogo, les quelque véhicules qui s’aventurent encore dans les rues sont minutieusement fouillés. Très vite, la psychose s’installe, électrisant l’atmosphère. Où est le président ? Se trouve-t-il encore à Bamako ou est-il tombé sous les balles ? Devant les caméras, le capitaine Sanogo assure que « le président va très bien » et qu’il est « en sécurité ». En réalité, il ignore où il se trouve.

COMMENT CET HOMME, AVEC SA CONNAISSANCE PRESQUE CHIRURGICALE DE L’ARMÉE, A-T-IL PU TOMBER AUSSI FACILEMENT ?

Le lendemain, la situation est encore confuse et les rumeurs les plus folles circulent, mais c’en est fini du président ATT. Les soldats de sa garde censés assurer sa sécurité ont déserté et, les uns après les autres, les différents corps de l’armée ont rallié le CNRD.

Comment cet homme, qui avait acquis une connaissance presque chirurgicale de l’armée, a-t-il pu tomber aussi facilement, et à un mois seulement d’une élection présidentielle à laquelle il n’avait pas prévu d’être candidat ? Neuf ans plus tard, la séquence comporte toujours des zones d’ombre. « ATT a sans doute sous-estimé la situation, juge avec le recul un ancien cadre du gouvernement d’alors. Cet ancien militaire, qui avait lui-même été à l’origine d’un coup d’État [en 1991 contre Moussa Traoré], aurait dû décider dès le départ de contenir la mutinerie et de sécuriser les points stratégiques de la capitale. »

ATT aurait-il pu renverser la situation ? Il savait que la troupe était mécontente, qu’elle n’avait pas digéré le massacre d’Aguelhok, qu’elle réclamait depuis plusieurs jours plus de moyens pour lutter contre les rebelles du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA).

Une série d’erreurs

Le matin du putsch, il a envoyé à Kati son ministre de la Défense, le général Sadio Gassama, et le chef d’état-major général des armées, le général Gabriel Poudiougou. Première erreur. « J’avais dit au président qu’il aurait été préférable de recevoir les officiers au palais et de trouver ensemble une sortie de crise », affirme l’un de ses anciens conseillers. À Kati, la rencontre tourne au vinaigre. Les envoyés d’ATT sont pris à partie, des pierres sont lancées. L’un des gardes du corps du général Poudiougou tire en l’air, les deux officiels doivent être exfiltrés dans la précipitation.

ATT est en train de présider le conseil des ministres quand il est informé de la situation. La réunion est interrompue. Gassama et Poudiougou arrivent au palais. Pendant une heure, le président s’enferme dans son bureau et consulte. Son ministre de l’Administration territoriale préconise de boucler les accès au camp militaire, pour contenir la mutinerie, puis de sécuriser les points névralgiques de Bamako, à commencer par Koulouba, l’ORTM et l’aéroport. Croyant toujours à une petite révolte, ATT s’y oppose. Il envoie un détachement de sa garde à la rencontre des mutins pour parlementer. Deuxième erreur.

J’AI ÉTÉ L’AUTEUR D’UN COUP D’ÉTAT ET J’EN AI ÉTÉ VICTIME. JE SAVAIS LES RISQUES QUE J’ENCOURAIS

Son téléphone chauffe. Aux dirigeants de la sous-région qui l’appellent, il assure que tout est sous contrôle. Tout juste ordonne-t-il le renforcement de la sécurité autour du palais, avant de retourner en conseil des ministres procéder à des nominations. Un détachement d’une soixantaine de bérets rouges est dépêché à Koulouba, cela lui paraît suffisant. Troisième erreur.

« Il croyait encore en sa bonne étoile », soupire un ancien collaborateur. Ce 21 mars 2012, la chance a abandonné l’ancien parachutiste. Une semaine plus tard, il présente officiellement sa démission. Dans la nuit du 8 juin, il quittera Bamako en toute discrétion. Direction Dakar, puisque le président Macky Sall lui a offert l’hospitalité. Il ne rentrera définitivement d’exil qu’en décembre 2019, et décèdera moins d’un an plus tard. « J’ai été l’auteur d’un coup d’État et j’en ai été victime, avait-il un jour confié à un proche venu lui rendre visite dans la capitale sénégalaise. Je savais les risques que j’encourais. »