CAN 2022: «Le pouvoir du foot sur le bonheur des gens est incroyable», confie Yannick Noah

Fervent supporter des Lions indomptables, l’ancien tennisman a accueilli RFI en exclusivité au Village Noah, la propriété qu’il construit depuis les années 1980. Le foot, l’esprit d’équipe, la gagne, la double culture française et camerounaise… Confidences avec le champion.

De nos envoyés spéciaux à Yaoundé,

La CAN au Cameroun, cinquante ans plus tard

Une CAN au Cameroun, c’est quelque chose qu'il faut vraiment vivre, pour peu qu'on aime le pays et les Camerounais. Lors de la dernière Coupe d'Afrique ici, en 1972, j'avais 12 ans. J'allais avec mon père au stade. J'ai des souvenirs incroyables de joie et d'une énorme tristesse quand on avait perdu en demi-finale. Le petit garçon que j'étais a vraiment vécu cette CAN. Et aujourd'hui, 50 ans après (rires), rien n'a changé.

L’Afrique en fête

Ici, le football est vraiment une religion, quelque chose qui unit le pays. Quand l'équipe gagne, c'est du bonheur jusqu'au prochain tour. L'équipe du Cameroun continue, il y a un match important lundi (le 24 janvier face aux Comores en huitièmes de finale). Tout le pays est derrière. Pour l'instant, la compétition se passe bien, avec la folie du sport, des bonnes équipes qui sont éliminées, des petits pays qui se révèlent. J'ose imaginer l'ambiance qu'il peut y avoir aux Comores, au Cap-Vert... La CAN 2022, c'est toute l'Afrique. C'est une jolie fête populaire.

 

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La famille Noah en 1983, lors d'un voyage à Yaoundé avec le président Mitterrand, à l'apogée de la carrière de Yannick. A sa gauche, son père Zacharie. A sa droite, son grand-père Simon. Pierre GUILLAUD / AFP

 

Le foot, pourvoyeur de bonheur

J’essaye de participer, d'être derrière les Lions. L'idée, c'est d'envoyer les meilleures énergies possibles, de bonnes ondes. J'ai eu des contacts avec l'équipe, avec l'entraîneur il y a quelques semaines. Ce sont des mots d'encouragement, des fêtes souvent car on aime beaucoup la fête ici. Tout cela est très naturel pour moi. J'ai eu l'occasion d'aller voir le dernier match (face au Cap-Vert) et l'ambiance est extraordinaire. J'aime beaucoup le foot, mais des ambiances comme ça, c'est très rare. C'est assez incroyable, le pouvoir que peut avoir le foot sur le bonheur des gens.

Pas facile de supporter les Lions indomptables

J'ai le maillot, je suis à fond derrière l'équipe. Mais j'ai du mal à regarder les matches. C'est une souffrance pour moi. Je suis trop tendu, trop investi. C'est pour ça que je préfère presque regarder les matches à la maison plutôt qu'au stade. J'ai mal au bide, je ne suis pas bien. Trop de stress. J'ai souffert au match d’ouverture... Je souffre tout le temps ! (rires) Ils ont bien joué, ils ont terminé premiers du groupe. Derrière, on enchaîne tout de suite avec la fête et là, je me détends complètement.

Renier l’idée de défaite

On peut avoir ce trouble, ce sentiment toxique qui est de penser à la défaite. Pour gagner, il faut penser à la victoire, se nourrir d'images et visualiser la victoire, sur le terrain comme en dehors. C'est ça qui porte le plus. Un match, c'est tellement court. Un match se gagne aussi avant. Je n'envisage pas la défaite. Il faut envoyer des bonnes ondes et ne penser qu'à la victoire.

La joie en individuel, puis en équipe

J'ai eu la chance de pratiquer un sport individuel. J'ai aussi eu la chance d'avoir un papa qui a joué au foot. Quand j’étais jeune, je lui disais que ça me manquait, les copains, les vestiaires... Lui m'a fait comprendre que j'avais la chance, en tant que joueur de tennis, d'avoir mon destin en mains et de ne dépendre de personne. Il m'a fait comprendre que c'était une chance rare. « Si tu perds, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Si tu gagnes, c'est toi. Donc va bosser. » J'ai très vite compris ma chance. Mais cette frustration restait.

 

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Yannick Noah, au centre, soulève la Coupe Davis remportée en tant que capitaine de l'équipe de France, le 26 novembre 2017 à Lille. AP - Christophe Ena

 

C'est pour ça qu'ensuite, je suis resté dans le tennis à travers la Coupe Davis (capitaine de 1991 à 1992, de 1995 à 1998 et de 2016 à 2018). En Coupe Davis, il y a ce sentiment d'équipe. J'ai mis toute cette frustration au service de l'équipe de France et cette frustration est devenue une force. J'ai adoré rassembler autour d'une équipe. Ce sont des moments extraordinaires de ma vie. Gagner la Coupe Davis avec ses copains, pour son pays, c'est extraordinaire à vivre. J'ai eu mon heure de gloire à Roland-Garros et avec la Coupe Davis. Le sentiment est égal.

L’esprit de cohésion

Pendant la CAN, on reste un mois et demi cloîtrés, quasiment en vase clos. C'est là que la force de caractère fait la différence. Sept matches – si on va jusqu’au bout –, ça fait un peu plus de 10 heures de jeu. Mais le reste du temps, ce sont des semaines, des jours, des nuits... C'est là que les compétitions se gagnent. Avoir des gens sains au cœur d'un groupe, avoir un groupe avec une belle cohésion, ça fait une différence.

C'est une aventure humaine qui se vit à 30. On ne peut pas ressortir un joueur par rapport aux autres. Si un joueur marque un but, c'est grâce aux autres. Et si on gagne grâce à un joueur qui marque, c'est parce que derrière, on n'a pas pris de but. Ou parce qu'on a passé la balle au bon moment. C'est un sport d'équipe. On parle des Lions, d'un groupe où les remplaçants sont aussi importants. Tout ça fait la force et la faiblesse d'un groupe.

L’amour de la France et du Cameroun

Je vibre de la même manière. Donc je souffre aussi doublement ! J'étais en France en 1998 bien entendu. Ça avait été un moment extraordinaire. Je suis un sensible. Je me souviens des scènes de joie, de cette énergie pendant des semaines. Même si elle s'est estompée avec le temps, il reste une trace de ces moments où, d'un coup, grâce à l'équipe ou à notre Zizou, on est enfin d'accord. Même si ça ne dure qu'une minute, c'est déjà pas mal. Ça a donné envie à d'autres. Si on n'avait pas gagné cette première Coupe du monde (en 1998), on n'aurait pas gagné la deuxième (en 2018).

J'étais ému quand je chantais la Marseillaise avec mes gars. Quand je chante la Marseillaise, je chante ma maman. Et quand je chante l'hymne national camerounais, je chante pour papa. Ils sont là, en moi. Il n'y a pas de différence. On aime sa maman d'une manière et on aime son papa d'une manière, mais on les aime tous les deux. Ouais, je suis les deux. Je suis un métisse.