kiye2021
 
Conférence du Père Vincent KIYE à l'occasion de la célébration de la vie consacrée entre les membres de l'UDR-Kayes
Kita, le 05 février 2022
 Thème_ : *Quelle synodalité pour une Eglise secouée par les scandales sexuels* ?
Depuis l’annonce officielle le 10 Octobre 2021 du projet du synode de 2022, l’Eglise vibre à un rythme particulier, celui de la synodalité, dira un analyste. La vision ou les fondamentaux de ce synode sont déjà annoncés par le Saint Père lui-même, lorsqu’il dit vouloir une « Église synodale : communion, participation et mission », « qui implique toute l’Église », « l’ensemble du peuple de Dieu ». Ce sont là, les maîtres-mots de ce synode, très intelligibles certes, mais qui en défaut d’une bonne interprétation, peuvent prêter à confusion et faire plus de mal encore à cette Eglise déjà fragilisée par des scandales et nous éloigner de l’idéal d’une Eglise témoin des valeurs du Royaume des Cieux. Notre approche dans cette analyse se veut un effort de compréhension des termes dans leur contexte mais aussi une approche analytico-critique des enjeux d’une vision aussi noble que celle du Saint Père, lorsqu’il nous révèle son souci paternel de voir tous les fils et filles de l’Eglise se savoir frères et sœurs et marcher ensemble dans le respect des différences de sexe, langue, peuple et nation. Il nous veut une Eglise en marche et non une simple foule comme nous le verrons dans les lignes qui suivent. 
L’énoncé de ce synode sur la synodalité devra susciter des interrogations au regard du temps que l’Eglise traverse, marqué par les scandales. N’est-ce pas nous exposer davantage en insistant sur cette communion si nous n’y mettons pas des balises  en tirant notre attention sur les exigences de cette marche ensemble où déjà la cohabitation accuse des failles ? S’y référant, l’Evangile nous dit : « quel est cet homme qui veut aller en guerre contre un autre et  ne commence pas par s’asseoir pour voir si avec 1000 hommes, il peut affronter celui qui a 10 000 hommes ? Les mots sont lourds de sens, cherchons à les comprendre.
Notre exposé comprendra deux parties essentielles : L’approche conceptuelle de la synodalité et les enjeux d’une synodalité à l’épreuve des scandales.
1. Approche conceptuelle de la synodalité
Le mot « synode » contient tout ce dont nous avons besoin pour comprendre le « marcher ensemble ». La synodalité, souligne le pape François, « exprime la nature même de l’Église, sa forme, son style, sa mission.” Mais comment comprendre que l’Eglise soit synodale par sa nature ?
¥   Une Eglise synodale
En effet, tout part de l’étymologie du mot Eglise. Du grec, Ecclésia ou ekklesia, le mot prendra surtout de l'importance sous les réformes de Clisthène1. Ecclésia (ekklêsia) voudra dire Assemblée du peuple. C’est le cas dans des nombreuses polis antiques et notamment dans la cité d’Athènes. L'ecclésia athénienne a des pouvoirs très étendus : elle décide de la paix et de la guerre, vote des lois, peut enlever à un Athénien ses droits de citoyen (atimie) ou décider d'entamer une procédure d'ostracisme (bannissement), élit les magistrats et les contrôle étroitement. Le mot a donné en français « Eglise » (assemblée des fidèles). Ce repérage nous donne de comprendre que l’Eglise est par essence ou par nature, synodale, c’est-à-dire une assemblée des fidèles appelés à marcher ensemble vers un destin. Pour se faire, ils doivent se soumettre à des règles pour concrétiser ce destin. Ce que le Saint Père précise lorsque, parlant de la synodalité, il dit : « Cardinal, évêques auxiliaires, prêtres, religieux, laïcs… « tous doivent s’écouter entre eux » ; « S’écouter, se parler et s’écouter. » Il ne s’agit pas de recueillir des opinions  car « ce n’est pas une enquête ». « Il s’agit, en revanche, d’écouter l’Esprit Saint… » ajoutera-t-il. Cet Esprit Saint qui est le protagoniste de la mission. L’écoutons-nous vraiment ? Si lors d’une marche on cesse d’écouter le guide, il est fort possible que l’on se perde, que l’on ignore quand est-ce qu’il faut s’arrêter et à quel endroit. La marche devient ennuyante, fatigante et dangereuse. Quiconque écoute la voix de l’Esprit Saint, ne s’égare pas. Même s’il tergiverse, il revient aussitôt sur le bon chemin à l’appel du guide. C’est ici le lieu d’évaluer notre marche ensemble, pour voir si vraiment nous écoutons l’Esprit. 
          ¥  Marcher ensemble dans une quête de sainteté
S’il est vrai que le thème de synodalité exprime la nature de l’Église, sa forme, son style, sa mission et contient tout ce dont « nous avons besoin pour comprendre  le “marcher ensemble” », ce marcher ensemble a certaines implications qu’il faut prendre en compte. Cela suppose que nous marchons dans une direction et poursuivons un but : la sainteté. Et l’Esprit Saint est celui qui nous guide dans cette marche ensemble pendant laquelle, précisera le Pape François, « Tout le monde est protagoniste, personne ne peut être considéré comme un simple figurant. » Pour le pape, cette marche ensemble n’est pas un simple mouvement vers un lieu quelconque. Elle exprime également une « inquiétude intérieure », une préoccupation. « Si un chrétien ne ressent pas cette inquiétude intérieure, s’il ne la vit pas, il lui manque quelque chose », poursuit le pape François. Et cette inquiétude intérieure naît de la foi et nous invite à évaluer ce qu’il convient de faire, ce qu’il faut garder ou changer. » C’est ici le lieu de l’ambigüité du marcher ensemble. Tout se dit, toutes les intuitions s’offrent à l’esprit en raison de la fatigue du chemin, de l’influence mutuelle ; bref, à l’esprit de la foule qui est intelligible. Il faut cependant faire le tri. Opter pour les comportements qui nous donnent d’avancer vers le but à atteindre, vers l’objectif de cette marche ensemble. Il nous faut pour cela, appréhender les aléas de cette marcher ensemble.
Sans nul doute, marcher ensemble a toujours été la chose la mieux souhaitée pour les compagnons de route ; et cela, par son caractère sportif et de divertissement. Quand on marche ensemble, on sent moins la fatigue du chemin.  Qu’à cela ne tienne, le respect des règles du jeu doivent être de mise pour éviter les excès. Car il est souvent difficile de contrôler tous les mouvements des marcheurs. Sans les règles du jeu, la marche ensemble perd tout son sens. Il devient pire que le voyage seul qui, lui aussi se règle sur fond du bon vouloir du voyageur. Dans le cadre du marcher ensemble, les marcheurs sont généralement soumis à une éthique de la marche ensemble ; autrement, l’esprit ou la psychologie de la foule l’emporte sur le bon comportement. Nous comprenons par ce fait, qu’en proposant à l’Eglise un synode sur la synodalité, en nous invitant de faire route ensemble, les jeunes et le vieux, les enfants et les parents, Cardinal, évêques, prêtres et chrétiens, le Saint Père attend également de nous, le respect des règles du jeu pour éviter les excès, pour éviter que la psychologie de la foule l’emporte sur le comportement responsable, au risque de fragiliser davantage cette Eglise déjà secouée par des scandales de toutes sortes dont les scandales sexuels. C’est ici que se situe notre interrogation principale : Quelle synodalité pour une Eglise déjà secouée par les scandales, dont sexuels ? 
2. Les enjeux d’une synodalité à l’épreuve des scandales.
Qu’il nous soit permis de le dire, sans peur d’être contredit, que dans cette marche ensemble, le risque d’une psychologie de la foule reste élevé.
La foule, dira Platon, est inintelligible. Car il est souvent difficile de contrôler le mouvement de la foule, surtout lorsqu’elle est en mutation. A en croire Sigmund Freud, le comportement des foules semble influencé par la perte du sentiment de responsabilité de l'individu, et l'impression d'universalité du comportement, ces deux facteurs augmentant en fonction de la taille de la foule. Par ailleurs, ajoute-t-il, les foules ne sont pas toutes négatives de nature. Les foules peuvent réfléchir et remettre en question les idéologies provenant de leur environnement socio-culturel si elles ont un leadership puissant. C’est ici que se situerait l’enjeu de notre marcher ensemble en tant qu’Eglise, guidée par l’Esprit Saint. Nous ne sommes pas n’importe quelle foule, nous sommes l’Eglise, une Assemblée des hommes et des femmes qui réfléchissent et savent remettre en question les idéologies provenant de leur environnement socio-culturel actuel, de notre monde d’aujourd’hui hautement influencé par le progrès de la technologie. 
Dans notre marcher ensemble, nous devons réfléchir et remettre en question les séductions de notre époque et/ou de notre monde actuel. Comment marcher ensemble au moment où chacun a la tête baissée sur whatsapp, viber, Signal, facebook, etc ? Peut-on vraiment avancer ensemble ? Comment marcher ensemble au moment l’instrument de communication devant nous servir de guide nous en détourne davantage au point de favoriser la tromperie, l’escroquerie ? Nous devons ici faire usage d’un certain esprit critique face à tout ce que la modernité nous offre, pour ne pas compromettre notre marche ensemble et nous détourner de l’ultime objectif poursuivi : notre sanctification pour la vie éternelle. L’heure est grave faisant que si nous ne réfléchissons pas jusqu’à remettre en question les idéologies deu monde actuel, le marcher ensemble devienne dangereux et fasse de nous une foule en marche avec toutes les conséquences que nous connaissons de la foule.
Voyons ce que disent certains psychologues sur le comportement des foules pour pouvoir nous situer et mieux comprendre les enjeux de cette marche ensemble que nous rappelle le Pape François.
A/ Quelques théories sur la psychologie de la foule. 
Théorie Lebonnienne
Le Bon soutient que les foules existent sous trois formes : la submersion, la contagion, et la suggestion. 
 La submersion: Durant la submersion, les individus dans la foule perdent leur sens de soi individuel et leur responsabilité personnelle. Ceci est assez fortement induit par l'anonymat de la foule. 
 La contagion: la contagion fait référence à la propension des individus dans une foule de suivre aveuglément les idées et les émotions prédominantes de la foule. Selon Le Bon, cet effet est capable de se propager entre les individus « submergés » un peu comme une maladie. Recours à la mode de façon aveugle. Ex. Tout le monde veut avoir un téléphone endroid.
La suggestion: cette forme se réfère à la période dans laquelle les idées et les émotions de la foule sont principalement tirées d'un inconscient racial partagé. Ce comportement provient d'une inconscience archaïque partagée et est donc non civilisée de nature. Elle est limitée par les capacités morales et cognitives des membres les moins capables. Hostile à toute remise en cause, à une nouveauté. Une telle foule, pense Le Bon est une force efficace pour la destruction. Le Bon évoque également les « meneurs de foule » à l'origine d'effet de cascade, notamment les cascades d'information qui se produisent lorsque les individus, en carence d'information, imitent le meneur, celui qui semble savoir.
L'idée de Le Bon selon laquelle les foules favorisent l'anonymat et génèrent des émotions est fortement contestée. Clark McPhail souligne des études montrant que « la foule énervée » ne tient pas à son essence, mais aux pensées et aux intentions de chacun des membres. Norris Johnson, après avoir étudié une panique de 1979 à un concert de The Who, conclut que la foule est composée de nombreux petits groupes de personnes, qui la plupart du temps essayaient de s'aider les uns les autres. R. Brown conteste l'hypothèse que les foules sont homogènes, suggérant plutôt que les participants existent sur un continuum, ils diffèrent dans leur capacité à s'écarter des normes sociales.
Théorie freudienne
Grand admirateur de Le Bon, la théorie du comportement des foules de Sigmund Freud, tient à l'idée que devenir membre d'une foule sert à déverrouiller l’inconscient. Cela se produit parce que le Surmoi, centre de la morale, est déplacé par la foule pour être remplacé par un leader charismatique de la foule. C’est une sorte de la culture de l’irresponsabilité.
McDougall argumente son point de vue de manière similaire à Freud, en affirmant que les émotions simplistes sont très répandues, et que les émotions complexes sont plus rares. Dans une foule, l'expérience émotionnelle globale partagée revient au plus petit dénominateur commun, conduisant l'expression émotionnelle à des niveaux primitifs.
La théorie de désindividualisation
La théorie de désindividualisation fait valoir que dans des situations de foule typiques, des facteurs tels que l'anonymat, l'unité du groupe, et l'excitation peuvent affaiblir les contrôles personnels (par exemple la culpabilité, la honte, l'auto-évaluation) en éloignant les gens de leur identité personnelle et ainsi réduire leur préoccupation pour l'évaluation sociale. Ce manque de retenue augmente la sensibilité individuelle à l'environnement et diminue la prévoyance rationnelle, ce qui peut conduire à des comportements anti-sociaux. Ce manque d'attention libère l'individu de la nécessité d'un comportement social normal.
La théorie de l’identité sociale
La théorie de l'identité sociale postule que le soi est un système complexe composé principalement de la notion d'appartenance ou de non-appartenance à divers groupes sociaux. Ces groupes ont différentes valeurs, normes morales et comportementales, et les actions individuelles dépendent de l'appartenance au groupe (ou à la non-appartenance) au moment de l'action. 
Cette influence devient évidente en trouvant que lorsque le but et les valeurs d'un groupe change, les valeurs et les motivations de ses membres changent également. Les foules sont un amalgame d'individus, qui tous appartiennent à différents groupes en conflit. Toutefois, si la foule est principalement liée à un groupe identifiable, les valeurs de ce groupe dictera l'action de la foule. Dans les foules qui sont plus ambigües, les individus prendront une nouvelle identité sociale en tant que membre de la foule. Cette appartenance à un groupe est rendue notable par la confrontation avec d'autres groupes, un phénomène relativement courant pour les foules.
L'identité de groupe sert à créer un ensemble de normes comportementales; pour certains groupes, la violence est légitime, pour d'autres elle est inacceptable. Cette norme est formée à partir des valeurs existantes, mais aussi des actions des autres dans la foule, et parfois de quelques-uns dans des positions de type leader.
Une préoccupation de cette théorie est que si elle explique comment les foules reflètent les idées sociales et les attitudes prévalentes, elle n'a pas à expliquer les mécanismes par lesquels les foules adoptent le changement social.
B/ Pensons synodalité en contexte d’une Eglise secouée par les scandales sexuels
Comme vous pouvez le voir, plusieurs théories ont été développées pour comprendre le comportement des foules. Et l’Eglise n’en fait vraiment pas exception, si bien que beaucoup de personnes ne seront pas d’accord avec moi. L’ampleur des abus aujourd’hui révèle que le comportement des beaucoup de membres de l’Eglise de notre temps est bel est bien un comportement de la foule, marqué par une certaine irresponsabilité de l’individu, simplement parce qu’ils refusent d’écouter et de s’écouter et par-dessus tout, d’écouter l’Esprit Saint. Protagoniste infaillible de la marche de l’Eglise depuis ses débuts, l’Esprit Saint a besoin de nous, souligne le pape François. « Écoutez-le en vous écoutant vous-mêmes et ne laissez personne en dehors ou en arrière. » Ecouter, c’est le premier engagement de l’homme au monde. C’est entendre la voix de Dieu, accueillir sa présence mystérieuse en nous. D’où le sens du rappel du condensé de la loi d’Israël, repris dans le livre du Deutéronome (Dt 6, 2-6). Un rappel pour que le peuple ne tombe pas dans une obéissance tatillonne et sans intelligence, un rappel pour qu’il ne perde pas de vue l’essentiel : ce qui donne son sens à cette Loi, ce qui fait l’esprit de cette Loi.
Pour le pape François, dans le parcours synodal, l’écoute doit tenir compte du sensus fidei, mais elle ne doit pas négliger toutes ces « intuitions » incarnées là où l’on ne les attend pas. Il peut y avoir une« intuition sans citoyenneté », ni moralité, et elle n’en est pas moins efficace. L’Esprit Saint, dans sa liberté, ne connaît pas de limites, et ne se laisse pas non plus limiter par ses appartenances ; a-t-il affirmé.  Il fait confiance en l’homme qu’il croit capable d’écouter sa voix. C’est à ce niveau que réside les dérapages autrement les abus dans l’Eglise. Notre marche ensemble, n’en aggravera pas l’ampleur ? D’où, l’urgence de mener déjà des réflexions là-dessus comme pour tirer une sonnette d’alarme.
Aujourd’hui plus que hier, et particulièrement depuis la fin du xxe siècle, l’Eglise Catholique fait face à la révélation de nombreux cas d’abus sexuels sur mineurs et autres, commis par des prêtres, des religieux ou des laïcs en mission ecclésiale sur différents continents. Face à tout cela, quelle chance accordons-nous à notre marcher ensemble tout en sachant que la psychologie de la foule peut à tout moment l’emporter sur la conscience d’être Eglise ? C’est ici le lieu des graves réflexions pour nous les consacrés, appelés à être leaders et témoins du Christ au milieu de cette foule. Prenons surtout conscience que nous sommes Une Eglise, une structure qui repose sur des bases solides, où s’entremêlent raison et foi, les deux ailes pour bien voler et atterrir en lieu sûr. Portons-en la marque et défendons-la par la qualité de notre humanité.
Conclusion
 Le marcher ensemble fait peur ! Surtout lorsque le guide disperse, lorsque nous dispersons par des contres témoignages. L’expérience de ce que va être notre marche ensemble ainsi que sa réussite dépendent de notre fidélité à la parole du Maître, de notre fidélité à la motion de l’Esprit Saint. C'est ce que David inculquera à son fils Salomon au soir de sa vie, l'invitant à garder les observances du Seigneur son Dieu, en marchant dans ses chemins :"Tu observeras ses décrets, ses commandements, ses ordonnances et ses édits, selon ce qui est écrit dans la loi de Moïse. Ainsi tu réussiras dans tout ce que tu feras et entreprendras" (1 R 2, 1-4.10-12). Faisons de-même si nous voulons réussir cette marche ensemble.
Aujourd’hui plus que hier, la parole n’est plus écouter. Nous sommes envahis par les « bruits » de la modernité et de la mondanité. Face à tout cela, ne perdons pas de vu que nous avons été créés par et pour Dieu et devons faire de notre existence, une opportunité pour sa gloire et le salut de l’humanité. Amen 
Nous nous excusons de n’être pas à la hauteur d’épuiser toute la problématique dudit sujet. Ceci a été sélectionné l’a été pour que vous croyez que l’Esprit Saint est le protagoniste de notre marche ensemble pour la vie éternelle.
 Père KIYE M. Vincent, Mafr