Bénin : Angela Kpeidja, porte-voix des victimes de harcèlement

Par  - À Cotonou
Mis à jour le 11 février 2022 à 14:26
 

 

La journaliste béninoise Angela Kpeidja. © Facebook Angela Kpeidja

 

Depuis qu’elle a osé dénoncer ce phénomène qu’elle a elle-même subi, cette journaliste est devenue un exemple et une référence en matière de lutte pour le droit des femmes.

Quand elle n’intervient pas sur une scène du TEDx à Cotonou, elle parle aux étudiant dans un amphithéâtre de l’université d’Abomey-Calavi ou prend la route pour se rendre à Pobè, à 100 kilomètres de la capitale économique, à la rencontre d’une énième victime de viol.

Le 1er mai 2020, Angela Kpeidja, 47 ans, a vu sa vie basculer à la suite d’une publication sur les réseaux sociaux. Bien qu’effectuée loin des écrans de télévision qui ont révélé la journaliste, cette sortie médiatique aura pourtant l’effet d’une bombe. Ce jour-là, à l’occasion de la fête du travail, elle dénonce à haute voix le harcèlement sexuel dont elle est victime à l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (ORTB), le média de service public qui l’emploie depuis 2007.

Violentes critiques

De nature inédite dans le pays, cette dénonciation publique a un effet immédiat. Inattendu aussi, y compris pour son auteure. “Ce n’est que par la suite que j’ai pris conscience de l’ampleur du phénomène et de la nécessité de continuer cette bataille”, explique Angela Kpeidja.

Les jours suivants, en effet, les choses vont s’accélérer : prise de parole d’autres victimes, sollicitations de toutes parts, mais aussi entrevue avec le chef de l’État… Une rencontre décisive, dans la mesure où les marques de considération et le soutien du président Patrice Talon vont encourager la journaliste et, accessoirement, lui assurer une forme de protection.

Portée par cet élan, Angela Kpeidja décide d’écrire son autobiographie. Un livre sorti en août 2021, sous le titre Bris de silence, qui retrace sa vie, jalonnée de violences en tous genres. Avec, en trame de fond, le thème harcèlement sexuel au travail. Son récit rencontre un franc succès tant au Bénin qu’à l’étranger. En décidant de livrer son expérience personnelle, Angela Kpeidja veut contribuer à changer les mentalités sur la question des violences faites aux femmes et ce, sur tous les plans – institutionnel comme judiciaire ou social.

UNE PARTIE DE L’OPINION PUBLIQUE LUI EST HOSTILE, CERTAINS POINTANT DU DOIGT SON STATUT DE FEMME DIVORCÉE

Mais le chemin est périlleux. Dans une société conservatrice où prévaut encore le principe selon lequel « on doit laver son linge sale en famille », les affaires de mœurs restent encore largement entourées du silence des victimes et des proches.

À cela s’ajoute la réprobation – voire l’hostilité – d’une partie de l’opinion publique à l’égard d’Angela Kpeidja, certains pointant du doigt son statut de femme divorcée. « Depuis que j’ai choisi de combattre les inégalités entre les sexes, je suis devenue la folle du Bénin ! » plaisante-t-elle face aux violentes critiques qu’elle continue d’essuyer au quotidien.

Star du web

Devenue incontournable sur la Toile, la journaliste met sa popularité en ligne au service de son combat. Sur Facebook, chacune de ses prises de position suscite des milliers de réactions, qui vont de l’admiration au blâme, en passant par la controverse.

MON MESSAGE S’ADRESSE DAVANTAGE AUX JEUNES, FILLES ET GARÇONS. QUAND J’ÉCRIS, JE PENSE SOUVENT À MA PROPRE FILLE

C’est à travers ces canaux que son message « porte le mieux » et touche directement sa cible prioritaire. « Je me sers beaucoup des réseaux sociaux, car mon message s’adresse davantage aux jeunes, filles et garçons. Quand j’écris, je pense souvent à ma propre fille. C’est notre responsabilité de construire une société plus juste et plus équitable pour les nouvelles générations. »

Promue responsable du département web de l’ORTB quelques jours après sa rencontre avec le chef de l’État, Angela Kpeidja est désormais à la tête d’une équipe de trois personnes – que des hommes. En parallèle, elle dirige son association, N’aie pas peur, qui apporte un soutien moral et psychologique aux victimes, qu’elle encourage à briser le silence.

Très sollicitée, elle a notamment participé à la rédaction d’un manuel de défense contre le cyber-harcèlement destiné aux journalistes, à la demande de l’ONG Pen America. Des entreprises privées ou des institutions telles que l’Unesco la consultent  également régulièrement sur les questions relatives au genre et à la lutte contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel.

Ses prochains projets ? Adapter son livre sur les planches et à l’écran. Et publier un second tome de Bris de silence.