Côte d’Ivoire : bienvenue à Pepressou, le village de Bédié, là où le temps s’est arrêté

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 16 février 2022 à 17:54
 

 

Daoukro, en novembre 2020. © Sia Kambou/AFP

 

Un palais inachevé, des souterrains secrets, une église flambant neuve… À quelques kilomètres de Daoukro, dans le centre de la Côte d’Ivoire, Pepressou est oublié de tous. Mais ses habitants, eux, sont restés fidèles à l’enfant du village : l’ancien président Henri Konan Bédié.

« C’était en 1996, non ? » « Bien avant ! » « Après 1993 en tout cas. » Dans le village, la question donne lieu à un vif débat. Les plus jeunes s’interrogent à haute voix, tandis que les anciens, drapés dans des pagnes, plissent les yeux ou regardent en l’air. Tous finissent rapidement par s’accorder sur une chose : la date de la construction des cent « villas » de Pepressou se situe entre 1993 et 1999. L’enfant du village, Henri Konan Bédié, inamovible patron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, ex-parti unique), est alors – enfin, diront certains – président de la Côte d’Ivoire.

Une époque faste, durant laquelle les vieilles habitations de brique et de terre de Pepressou furent rasées au profit d’une centaine de maisons mitoyennes de plain-pied, de quatre chambres chacune, aux tuiles rouges alignées. Elles sont réparties en deux lotissements, P1 et P2, situés de chaque côté d’une large route goudronnée. Un confort inespéré, moyennant 250 000 F CFA [380 euros] par maison, dans ce petit village encerclé par les forêts et les plantations du Centre-Est, à 7 km de Daoukro, le fief du Sphinx.

« C’était bien en 1996 », finit par répondre avec assurance un jeune homme du village, planteur d’hévéas comme beaucoup ici. « C’est Henri Konan Bédié qui a introduit cette culture dans toute la région au moment du déclin du cacao. Il est lui-même un grand planteur et un grand cultivateur », rappelle l’un de ses anciens ministres, originaire de la région, l’Iffou.

Le jour du cataclysme

D’autres dates ne s’oublient pas, et ne souffrent d’aucune approximation. À Pepressou, le 24 décembre 1999 est gravé dans tous les esprits. Le jour du cataclysme : la chute du président Bédié, victime du premier coup d’État de l’histoire du pays, renversé avant l’achèvement de son mandat par des militaires aux ordres du général Robert Gueï. Les villageois l’apprennent à la radio, à la télévision ou par des coups de téléphone reçus depuis Abidjan, à 230 km plus au sud, où les armes crépitent. Henri Konan Bédié, qui passe les fêtes à Daoukro, se voit contraint de rallier la capitale économique. Il s’envolera vers le Togo deux jours plus tard, à bord d’un hélicoptère français.

La peur saisit Pepressou. Les rumeurs font état de coffres-forts enterrés et de liasses de billets dissimulées dans les murs des maisons des proches du président. Elles font craindre l’arrivée des soldats et les pillages. « Nous avons fui, nous nous sommes cachés dans la forêt », se souviennent les habitants, alors « abattus ». Quand ils reviennent, quelques jours plus tard, certaines maisons sont restées intactes, d’autres ont subi l’assaut des pilleurs. L’or familial, que l’on se transmet de génération en génération dans les familles baoulées fortunées, la adja (l’héritage), a été emporté. Un acte qui, selon la croyance, promet la malédiction à ses auteurs et à leur descendance. « Voler l’or des Baoulés tue », dit-on.

Impressionnante coupole

Les militaires ont continué leur route, à la sortie du village, jusqu’au « palais » de Pepressou, que dévore aujourd’hui la végétation. « Palais », « présidence », « une maison de campagne »… Le terme varie selon les interlocuteurs. On opterait volontiers pour le premier tant l’édifice est imposant. Dès le hall d’entrée, surplombé par une impressionnante coupole, des bris de verre et des feuilles séchées craquent sous les pas. Difficile de déterminer le nombre de pièces. Une partie de la cuisine est encore là, un grand plan de travail en inox, comme ceux que l’on trouve dans les grands restaurants, recouvert de poussière. On devine la place d’un ascenseur dont il reste la porte. L’immense bâtisse n’était pas achevée au moment de la chute du président.

COMMENT PEUT-IL SAVOIR QUE LES LAMPADAIRES NE FONCTIONNENT PAS ? IL NE VIENT JAMAIS LA NUIT…

Mais le plus stupéfiant se trouve à l’extérieur. Près de l’entrée principale, on découvre deux voies, en forme de V, l’une partant sur la droite, l’autre sur la gauche, comme des entrées de parkings souterrains. La première devait conduire jusqu’à la résidence de Bédié, à Daoukro, où il passe encore aujourd’hui le plus clair de son temps ; l’autre, relier un bunker aménagé quelques kilomètres plus loin. Impossible aujourd’hui d’y accéder, la forêt a regagné ses droits. Ceux qui l’ont visité disent qu’il abrite une vaste salle de réception, un garage et un caveau. « Là-dessous, il y a même un rond-point. Des milliards, engloutis pour rien, une folie », soufflent les détracteurs de l’ex-chef de l’État.

Un mois sans eau 

« À Pepressou, la vie s’est arrêtée comme ça », soupire un habitant. Ce 24 décembre 1999, les projets d’extension du village ont été pulvérisés. « Il devait y avoir davantage de maisons, cinq cents de plus. Certains avaient payé d’avance. Ils n’ont jamais revu leur argent après le coup d’État. » Les plus nantis ont entretenu leurs résidences, comme ce neveu d’Henri Konan Bédié qui a même fait construire un étage.

Chez d’autres, le temps a fait son œuvre, la rouille a attaqué les portails et abîmé les murs. Quelques lampadaires ne fonctionnent plus. Et, malgré la mise en service d’un nouveau château d’eau, inauguré en 2014 par Alassane Ouattara au temps de son alliance avec Bédié, quand il était question d’un parti unifié, le village pâtit de coupures récurrentes.

« Nous avons de gros problèmes d’approvisionnement en eau. Parfois, nous restons un ou deux mois sans en avoir », expliquent ceux qui, ce jour-là, assistent au dernier jour des funérailles d’une habitante. « Si le président Bédié était au courant, il ferait quelque chose, c’est certain », pensent les villageois, convaincus que ces difficultés ne sont pas remontées jusqu’à lui. « Comment peut-il savoir que les lampadaires ne fonctionnent pas ? Il ne vient jamais la nuit… »

Église cubique

L’actuel chef de l’État s’était engagé à financer la construction d’une église. Sa brouille avec le patron du PDCI, quelques années plus tard, a eu raison de cette promesse. Henri Konan Bédié a dû mettre lui-même la main à la poche. « C’est bien la première fois », raillent ses opposants, qui rappellent l’histoire de ce palais des congrès construit à Daoukro pendant son mandat, pillé mais jamais rénové. « Quand ce n’est pas avec l’argent de l’État… »

L’église est bien là, un édifice blanc aux grands vitraux, cubique, moderne. Une architecture qui détonne dans un environnement où rien n’a vraiment changé depuis vingt-deux ans. Sa réalisation a été confiée à l’architecte Pierre Fakhoury. La première messe y a été célébrée le 25 décembre 2021 en présence du couple Bédié. Un caveau familial a également été construit. C’est là que sera enterré Nanan Bédié Marcellin, frère aîné de l’ancien président et chef de Pepressou, décédé dans la nuit du 27 au 28 août dernier et dont la date des funérailles n’a pas encore été arrêtée.

« Il voulait faire de Pepressou son Yamoussoukro » [la capitale ivoirienne, village natal de Félix Houphouët-Boigny, où ce dernier a réalisé des travaux herculéens, notamment une gigantesque basilique], note un observateur, qui constate qu’après des travaux entrepris à Daoukro, où il est à l’origine du bitumage des routes, de la construction d’hôtels, d’une mosquée et d’un grand lycée qui porte son nom, « il s’était focalisé sur son village natal ».

Tous ici sont évidemment acquis au PDCI. Pourtant, aux dernières législatives, six habitants ont voté pour le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, le parti au pouvoir. Ce qui fait sourire dans le village : « des brebis galeuses ».