Missionnaires d'Afrique

Laurent Balas
M.Afr
Mali


Le stage : un temps fondateur

Comment mieux accueillir et former un stagiaire ? À quoi sert le stage ? Quelle peut être la communauté idéale ? À quoi le stagiaire idéal peut-il diable ressembler ? Et quel est le meilleur stage pour un candidat ? J’ignore comment répondre à ces questions. Alors, partant de ma propre expérience, j’esquisserai des bribes de réponse…

J’ai moi-même vécu un stage assez particulier dans un cursus de formation plutôt atypique. En sortant de l’université, j’ai, en effet, été accepté pour la coopération catholique à la place du service militaire alors obligatoire : c’était une forme de coopération un peu spéciale, bénévole où l’on était affecté dans des missions catholiques à travers le monde pour des tâches de développement ou d’enseignement, et ce pour une durée de deux ans. Je ne connaissais pas les Pères Blancs (Ils avaient pourtant leur maison de formation à Toulouse, à environ 800 mètres de ma maison familiale), et j’étais plus attiré par l’Asie que par l’Afrique.

Mon expérience de “stagiaire non déclaré”
Le hasard des nominations, ou – au choix – la Providence m’ont destiné à une paroisse alors tenue par les Missionnaires d’Afrique, sur l’île Idjwi du lac Kivu, au large de Bukavu, entre l’actuel Congo et le Rwanda. En rejoignant mon poste, je ne savais pas à quoi m’attendre quant à la vie missionnaire que j’allais partager ; mais je ressentais en moi un appel à suivre le Christ, à devenir prêtre. J’avais cheminé pendant mes études universitaires avec un accompagnateur Jésuite, sans vraiment voir clairement à quoi le Seigneur pouvait bien m’appeler : vie diocésaine ? Vie monastique ? Fatigué de chercher, je me suis dit : “Va donc en coopération, qui sait si les choses ne vont pas s’éclaircir là-bas ?”

Laurent à l’École Supérieure d'Ingénierie, d'Architecture et d'Urbanisme au Mali.C’est donc au cours de cette expérience de deux ans comme “crypto-stagiaire” – stagiaire non déclaré – que ma vocation de Missionnaire d’Afrique a mûri. Je découvrais en effet un monde nouveau – l’Afrique centrale, complexe et contrastée –, une Église nouvelle – la jeune et dynamique Église zaïroise –, une façon nouvelle d’annoncer l’Évangile, celle des Missionnaires d’Afrique. J’ai été frappé par leur simplicité, leur vie en communauté, leur sens presque contemplatif de la prière, leur connaissance de la culture et leur proximité avec les gens ; je découvrais aussi, étonné, la possibilité que ma formation universitaire soit utile à mon ministère…

Comme le temps passait, mes résistances et mes peurs tombaient peu à peu et l’évidence me gagnait : je serai Père Blanc, Missionnaire d’Afrique. Aujourd’hui encore, je repense à ces deux années comme le temps fondateur de ma vocation missionnaire. Par la suite, quand les doutes m’ont assailli pendant l’étouffant noviciat ou les ennuyeuses années de théologie, ou même plus tard dans les fatigues du bouillonnant champ apostolique, c’est dans ces deux années de “stage” que j’ai puisé la force de continuer, la certitude que je ne m’étais pas trompé de chemin. Et dans la Parole Vivante, bien sûr…

Pour moi, c’est ce qu’un stage devrait être pour chacun : un temps fondateur, où ta vocation missionnaire se décide en toi ; un temps de référence, auquel tu reviens souvent au cours de ta vie, quand les fatigues sont lourdes et que le découragement te guette : quand l’horizon est brumeux.

Quand tu sais en toi ce que le Christ veut de toi
Je me rappelle avoir annoncé ce projet de devenir Père Blanc à mes parents venus me visiter, sur un bateau qui reliait Idjwi à Goma. Nous venions de vivre trois magnifiques semaines ensemble à la mission, et m’ayant vu vivre et partager cette vie missionnaire, eux ne doutèrent pas un instant que j’étais à ma place. Je me rappelle le sentiment de paix profonde qui m’habitait alors, une paix nouvelle doublée d’une joie inédite. Il me semble que chacun devrait pouvoir en faire l’expérience pendant son stage, non pas en raison de circonstances spéciales particulièrement favorables, mais parce que tu reçois au fond de toi la confirmation que tu es à ta place, et que le chemin où tu t’es engagé est vraiment le tien, celui qui te rendra heureux. Tu sais en toi que le Christ te veut là.

Laurent au cours d’un camp biblique sur l’évangile de Jean au Mali.J’avais choisi de ne rien dire aux missionnaires qui m’accueillaient du questionnement qui m’habitait, et du cheminement que je faisais. Je voulais vivre cette expérience dans un sentiment de liberté intérieure qui me semblait nécessaire pour un bon discernement. J’étais accompagné par une religieuse pour éviter toute interférence. J’avais besoin de cette liberté. Quand, au terme de ce parcours, au 24e mois de mon séjour, à une semaine de prendre l’avion, j’ai enfin dévoilé mon intention, le Provincial m’a dit : “Dommage, on aurait pu te suivre de plus près !” Heureusement, ai-je pensé, ils ne m’ont pas suivi du tout.

Aujourd’hui, alors que des stagiaires sont confiés à mon équipe, je continue de penser qu’il faut essayer de donner au jeune ce climat de liberté qui permet un authentique discernement et une juste décision. Ce n’est pas toujours facile concrètement, et la communauté doit aussi, bien sûr, assumer ses responsabilités vis-à-vis du stagiaire. Mais je pense qu’il doit trouver suffisamment d’espace dans sa communauté pour tester sa vocation, vérifier l’appel intérieur qui a grandi dans son cœur.

J’avais reçu de mes parents une éducation très libre, basée sur le respect des choix de chacun, le sens de la responsabilité. Quelques années auparavant, alors que j’hésitais entre l’entrée directe au séminaire diocésain après le bac et l’entrée au séminaire après la faculté d’architecture, je dis à mon père, qui me demandait ce que j’avais décidé : “Je ferai deux ans d’architecture, puis je rentrerai au séminaire”. Je n’oublierai jamais sa réponse : “Tu entres au séminaire si tu veux, ou tu fais l’école d’architecture. Mais si tu commences l’architecture, tu termines”. Liberté du choix, esprit de responsabilité dans les choix faits : il me semble qu’idéalement, le stage doit permettre au candidat d’en faire l’expérience pendant son stage dans le champ pastoral.

Le premier critère de discernement
Cette liberté est aussi une épreuve initiatique, où chacun peut révéler ce qui l’habite, et de quoi il est capable. Bien sûr, le stagiaire n’est pas seul à discerner : l’équipe d’accueil est aussi amenée à essayer d’évaluer la vocation de son candidat, ou tout du moins son aptitude à la vie missionnaire comme vécue par les Missionnaires d’Afrique. Mais justement, quant à moi, un point décisif de l’évaluation consiste à voir ensemble comment le stagiaire a géré sa liberté, comment il a organisé son temps, les choix qu’il a fait dans les circonstances diverses de la vie. Ce critère est pour moi le premier.

Une dernière chose me semble importante, pour aider au discernement du stage. Dans un monde de surconsommation, il me semble que le stage doit permettre une expérience ascétique et radicale. Le stagiaire doit être mis en situation de choisir radicalement le Christ, le choisir alors que la vie du disciple est rude et les conditions spartiates, car elle le sera de plus en plus. Je me demande parfois si, dans le souci louable de bien accueillir les stagiaires, on ne leur propose pas trop souvent une vie doucereuse, confortable et médiocre, alors qu’il leur faut tester le goût radical et salé de l’Évangile.

À ce titre, je me suis interrogé quand a été décidé le relèvement de l’allocation des stagiaires, car ils ne sont pas des salariés comme les autres, mais des disciples de Jésus, ses amis intimes, attachés à sa personne. Je pense enfin, je l’ai écrit ici même, que le serment – et non cette chétive déclaration d’intention – devrait conclure le stage. Le Serment missionnaire, pour consacrer le choix décisif d’un jeune homme habité par la Parole, qui vient de se plonger tout nu dans les eaux tumultueuses de la mission.

Laurent Balas

Tiré du Petit Echo N° 1049 2014/3