Au procès Sankara, «on a appris des acteurs qui a commandité, exécuté et planifié», clame Luc Damiba

 

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Luc Damiba, secrétaire général du Comité international du mémorial Thomas Sankara au Burkina Faso. © RFI

 

Notre invité ce matin est Luc Damiba, secrétaire général du Comité international du mémorial Thomas Sankara, alors que le procès des assassins présumés de l'ancien président burkinabè se termine. Le verdict a été mis en délibéré au 6 avril, c'est le délibéré le plus attendu de l’histoire judiciaire du Burkina Faso. Pendant les 6 mois qu'a duré ce procès, 102 témoins ont défilé à la barre. Luc Damiba n’a pas raté une seule audience. 

RFI : Ce procès vous l’avez tellement attendu, tellement espéré, a-t-il été à la hauteur ?

Luc Damiba : Après 35 ans d’attente et de soif de justice, 20 ans de procédures judiciaires, six mois de procès, oui, ce procès a été à la hauteur et nous sommes dans un grand soulagement que ce procès historique se soit tenu jusqu’au bout. Aujourd’hui, c’est une victoire d’étape pour nous.

Et pourquoi alors, qu’est-ce que ce procès a révélé que l’on ne savait pas avant ?

Au moins, on a entendu de la bouche des acteurs, aujourd’hui devant un tribunal, beaucoup de choses qu’on savait plus ou moins. On a beaucoup appris des acteurs, qui a commandité, qui a exécuté et qui a planifié 

Sur le déroulement par exemple de cette journée du 15 octobre 1987, le jour où Thomas Sankara et douze autres de ses compagnons ont été assassinés, y-a-t-il eu des révélations importantes ?

Oui, il y a des révélations importantes. On sait que le véhicule qui a conduit le commando a quitté le domicile de Blaise Compaoré et dans le convoi des deux véhicules qui sont partis, il y avait le véhicule personnel de Blaise Compaoré, il y avait donc le garde du corps, l’aide camp de Blaise Compaoré. On sait qui a conduit ce commando, on sait précisément à quelle heure ils sont arrivés, avant même l’arrivée de Thomas Sankara, ce que beaucoup de gens ne savaient pas. On croyait qu’ils étaient venus après qu’il a eu commencé sa réunion, alors qu’ils sont venus l’attendre. Donc ça veut dire qu’il y avait une planification, il y avait une préparation, donc tout ça on le sait maintenant. Il est sorti les mains en l’air, on sait qui a tiré sur lui, plus ou moins, donc on a ces recoupements, je crois que ce sont des éléments dont on attendait qu’ils soient dits devant la justice.

Quels sont les témoignages qui ont été déterminants à vos yeux ?

Je crois que le chauffeur déjà, qui a tout de suite à l’entame du procès, reconnu les faits, même s’il n’a pas déclaré coupable parce que voilà, il a cherché à se disculper. Mais il a reconnu avoir conduit le commando. Il a décrit la scène de l’assassinat en détail parce qu’il était le chauffeur, il a tout entendu, il a été a des réunions secrètes donc il a ces informations, et là on sait. On sait aussi l’implication du général Diendéré, parce que son adjoint direct l’adjudant Abdrahamane Zetiyenga est venu au procès, il a été libéré et je crois que ce témoin est important. On a aussi des témoignages des anciens commandants de la gendarmerie, donc Ousseni Compaoré, Moussa Diallo également qui était son adjoint.

Y-a-t-il eu d’autres révélations importantes ?

On a appris avec tous les recoupements qu’il n’y avait pas de complot de 20h. Bien sûr l’implication extérieure, notamment la Côte d’Ivoire, on a appris l’implication du Togo, l’implication de la Libye, l’implication du Liberia, bien sûr de la France aussi. Parce qu’on a appris… les témoins qui sont venus ont parlé déjà et on a la version de Rawlings, les services de renseignements burkinabè ont sorti plein d’informations en son temps, donc ça ce sont des éléments qu’on a appris, mais qui restent à confirmer, c’est ce qu’on appelle une diversion de procédure. On attend la seconde phase du procès qui est la partie intéressante : la complicité internationale. Le juge doit continuer ce travail.

Est-ce que l’absence de Blaise Compaoré sur le banc des accusés, est-ce que cela ne ternit pas la portée de ce procès ?

Il y a une part de vérité qui n’est pas sortie, mais c’est lui qui a choisi de ne pas être là, donc ce n’est pas une procédure judiciaire qui n’est pas complète. C’est complet, il n’est juste pas là pour donner sa version des choses.

Gilbert Diendéré, le bras droit de Blaise Compaoré est lui bien présent. Vendredi il a pris la parole, clamant son innocence, dénonçant l’absence de preuves, avez-vous été déçu ?

Oui, on a été déçu de la posture de Gilbert Diendéré. Durant tout le procès déjà il était dans une ligne de défense de tout nier, il y a plein de choses qu’il connait, il dit qu’il connait beaucoup de choses, en même temps il ne nous dit pas ce qu’il connait. On était vraiment déçu, on aurait souhaité qu’il parle.

Alors avant l’ouverture de ce procès vous aviez déclaré « peu importe le verdict ou le nombre de condamnation qui vont être prononcés, il y aura au moins la justice et la vérité ». Maintenant que le procès se termine, avez-vous toujours la même appréciation ?

Oui, quel que soit le verdict, je pense que les historiens peuvent maintenant écrire les livres pour pouvoir dire ce qui s’est réellement passé.

► Luc Damiba prépare de son côté un documentaire sur ce procès historique.