Afrique de l’Ouest : l’activisme diplomatique façon Faure Gnassingbé
Depuis des mois, le président togolais et son ministre des Affaires étrangères multiplient les initiatives pour faciliter le dialogue entre les putschistes et les organisations régionales. Des médiations menées le plus souvent en coulisse.
Il n’est pas le plus expansif des chefs d’État. Pas le plus démonstratif non plus. En Afrique de l’Ouest, Faure Essozimna Gnassingbé est pourtant l’un des plus entreprenants en matière de facilitation. Pas seulement grâce aux congrès organisés à Lomé mais aussi, et surtout, grâce au travail de médiation qu’il mène dans les coulisses : un activisme discret à l’image de la diplomatie togolaise, omniprésente mais secrète.
FAURE GNASSINGBÉ SE DISTINGUE PAR SA CAPACITÉ À PARLER AVEC QUASIMENT TOUS LES ACTEURS
Mali, Guinée, Guinée-Bissau, Tchad… Lomé propose le dialogue aux frères ennemis. Deux hommes sont à la manœuvre : d’abord le chef de l’État, qui a hérité de son père, le général Gnassingbé Eyadéma, sa propension à se poser en médiateur. Et Robert Dussey, ministre des Affaires étrangères depuis neuf ans, sherpa envoyé aux quatre coins du continent, dont la personnalité est proche de celle du président qu’il sert. La silhouette svelte et célère de cet homme de réseaux se meut avec agilité dans l’espace ouest-africain où les coups d’États succèdent aux crises post-électorales.
Un atout pour la Cedeao
Le président togolais goûte particulièrement les médiations, une activité traditionnellement réservée aux « doyens » – ce qu’il est devenu, en dépit de son relativement jeune âge (55 ans) mais compte tenu de sa longévité au pouvoir (dix-sept ans). « Parmi les chefs d’État de la sous-région, Faure se distingue par sa disposition à l’écoute, sa capacité à parler avec quasiment tous les acteurs. Ce qui lui permet de renouer le dialogue parallèlement aux rencontres officielles organisées par ses pairs de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] », explique un ministre togolais.
Faure Gnassingbé est en effet l’un des rares chef d’État à entretenir une relation suivie avec le leader de la junte malienne, Assimi Goïta. Robert Dussey se rend régulièrement à Bamako et ne rate pas une occasion de plaider la cause des Maliens. « Nous avons toujours privilégié l’accompagnement aux sanctions, même si cela ne plaît pas à tout le monde », confie-t-il dans un entretien à Jeune Afrique.
Parallèlement, le Togo a encouragé le président de la transition malienne à intensifier la mise en œuvre des réformes préconisées par la Cedeao en vue d’une « transition pacifique et inclusive ». Dans le cas du Mali, c’est un atout précieux pour la Cedeao car il permet de maintenir le contact avec la junte, dont les relations avec la communauté régionale ont souvent été exécrables.
Au-delà de l’Afrique de l’Ouest, la diplomatie togolaise est aussi active en Afrique centrale. Après le décès du président Idriss Déby Itno (IDI) en avril 2021, elle a entamé une discrète médiation entre le pouvoir tchadien et plusieurs groupes rebelles, dont le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact).
Robert Dussey s’est rendu à plusieurs reprises à N’Djamena pour s’entretenir avec le président de la transition, Mahamat Idriss Déby Itno, tandis que plusieurs rounds de négociation avec les groupes rebelles ont été organisés au Togo : la médiation togolaise avait notamment pour objectif de favoriser la participation des neuf groupes politico-militaires présents à Lomé au dialogue national – aujourd’hui en préparation au Tchad sous la houlette du ministre Acheikh Ibn Oumar, lui-même ancien rebelle de l’UFR de Timan Erdimi.
Si elle se déploie avec un certain succès, la diplomatie togolaise peut également rencontrer des difficultés : en 2019, elle s’est impliquée dans le litige opposant l’ancien président béninois, Thomas Boni Yayi, et son successeur, Patrice Talon qui l’avait placé en résidence surveillée. L’affaire a laissé des traces dans les relations entre les deux capitales voisines.
Rente diplomatique
S’investir dans les médiations a aussi un coût et, a priori, n’apporte pas grand-chose sur le plan intérieur, si ce n’est des désagréments. L’intérêt est de l’ordre de l’influence et de l’image. Surtout pour les petits pays. S’investir dans des médiations confère une visibilité sur la scène internationale et peut valoir un statut de sage, comme ce fut le cas pour Omar Bongo Ondimba.
DANS LE CAS DU MALI, LE TOGO EST UN ATOUT PRÉCIEUX POUR LA CEDEAO CAR IL PERMET DE MAINTENIR LE CONTACT AVEC LA JUNTE
C’est une « rente diplomatique », comme il existe une « rente militaire », telle celle dont a bénéficié IDI auquel la communauté internationale pardonnait tout en raison de son rôle majeur dans la lutte contre le terrorisme. En faisant de Lomé la capitale du dialogue, Faure Essozimna Gnassingbé entend bien tirer des dividendes de son investissement. Y compris sur le plan intérieur.