Saleh Kebzabo: «Il faut dénoncer les dérapages du gouvernement mais on ne peut pas tout lui imputer»

 

Comment sortir du bras de fer au Tchad ? Depuis la marche du 14 mai et les violences auxquelles elle a donné lieu, 6 responsables de l'opposition ont été inculpés et transférés dans la prison de Moussoro, à 300 km au nord-ouest de Ndjamena. Le principal syndicat du pays a lancé une « grève illimitée » pour demander leur « libération immédiate et sans condition ». Saleh Kebzabo, ancien chef de file de l’opposition tchadienne, est l'actuel vice-président du Comité d’organisation du dialogue national inclusif. Sur Twitter, l'homme politique a appelé les deux parties à se parler éventuellement avec l'aide de médiateurs. Qu'envisage-t-il précisément ? Il s'en explique sur RFI.

Dans le Tweet que vous avez publié ce jeudi matin, vous indiquez que des erreurs et des fautes ont été commises dans la gestion de la dernière manifestation. Quelles sont ces erreurs et ces fautes ?

Saleh Kebzabo : Du côté des pouvoirs publics par exemple, la procédure suivie n’a pas respecté les règles juridiques, tout comme l’interpellation de certaines personnes ne me semble pas f ondée. Cela donne l’impression d’un certain acharnement, alors que sur le fond, je pense que le gouvernement est fondé à faire respecter la loi et à faire respecter l’État de droit. En face, dans le camp des manifestants, j’ai comme l’impression que, parfois, on prend les choses à la légère. Demander à manifester suppose qu’on a la maîtrise des manifestants soi-même. Ils doivent donc se prémunir contre tout dérapage qui pourrait intervenir d’une façon ou d’une autre.

Et ce qui s’est passé lors de la dernière marche dite pacifique, c’est que personne n’avait le contrôle de quelque manifestant que ce soit. Donc, les dérapages qu’on a vus, il fallait s’y attendre, forcément. Mais je crois que les initiateurs de la march e se sont laissés débordés par d’autres qui sont venus s’ajouter à eux, qui ont amené une forme de violence qui n’était pas dans les options premières de Wakit Tama [coalition d’opposition]. Il y a quand même eu une certaine conjonction d’intérêts divergents, voire contradictoires, qui ont amené une manifestation monstre. Et ça, à l’extérieur, les gens ne le comprennent peut-être pas. C’est pour cela que je crois que de part et d’autre, il y a des dérapages, il y a plus que des dérapages qui parfois ont été commis, et qu’il faut mettre un peu d’eau dans le vin pour ne pas connaître une radicalisation extrême qui ne profiterait à personne. 

Vous dites qu’on a assisté à une certaine « conjonction d’intérêts contradictoires, voire divergents » lors de cette marche du 14 mai. À quoi pensez-vous quand vous dites cela ?

Aujourd’hui, je ne pense pas que le thème anti-Français par exemple soit vraiment un thème très mobilisateur au Tchad. Ce n’est pas vrai. Quand on ausculte très bien notre politique depuis l’indépendance, il y a certains activistes, des hommes politiques tchadiens qui, déjà à l’époque, étaient anti-Français ou francophobes et qui, aujourd’hui, ont vu leurs rangs se grossir dans certaines régions du pays.Et malheureusement une certaine arabophonie, liée à un islamisme qui ne dit pas son nom, constitue ce lot commun pour certains Tchadiens de demander le départ de la France. Je ne pense pas que cette idée-là soit majoritairement partagée par les Tchadiens. Je crois qu’il y a une amplification comme ça se fait outre mesure, mais je ne pense que ça puisse être aujourd’hui, un problème fondamental que puissent diviser le s Tchadiens.

Vous dites justement qu’il faut sortir de l’imbroglio et sauver le Tchad dans la tolérance. Vous êtes inquiet ?

Je suis mesurément inquiet. J’entends par là que les revendications de toutes ces organisations sont les mêmes que tous les autres Tchadiens portent. Moi-même qui vous parle, je ne suis pas ici en défenseur du gouvernement. Il y a des dérapages commis par le gouvernement qu’il faut en effet dénoncer. Il y  a un comportement de la part du gouvernement qu’on ne peut pas, qu’on ne doit pas soutenir, mais ce n’est pas une raison non plus pour se liguer comme ce gouvernement et vouloir lui impliquer toutes les fautes que nous vivons en voulant engager une insurrection pour le renverser. Dans le même temps, il y a beaucoup de choses qui se passent dans le pays et à l’extérieur du pays, sous des formes tout à fait négatives. Des affrontements dits intercommunautaires, pour être terre-à-terre ce sont des affrontements intertribaux, qui ne devraient pas être de mise en plein 21è siècle où on est aujourd’hui. Tout comme aujourd’hui, on constate que les conflits dans certains pays voisins, principalement au Soudan, risquent de s’exporter dans notre pays comme ce qui s’est passé il y a quelques jours à Kouri-Bougoudi [plusieurs dizaines de morts dans des affrontements entre orpailleurs dans l’extrême nord du pays, près de la frontière libyenne le 25 mai]. Les Tchadiens doivent donc s’interroger sur tout ça avant de poser tout acte irrémédiable, tout acte qui peut porter atteinte à notre propre unité.

Vous appelez à la désignation de médiateurs. Quel pourrait être le rôle de ces médiateurs ?

Il pourrait avoir aujourd’hui des hommes de bonne volonté individuellement ou collectivement qui peuvent se dire  ‘attention c’est l’avenir de notre pays qui est en jeu de cette façon-là’. Peut-être que tout le monde n’en a pas conscience, y compris au gouvernement. Et dans ce cas-là, certains seraient bien fondés à offrir leurs bons offices parce que vous avez là,  des antagonistes qui peuvent vouloir se défendre jusqu’au bout.

À titre personnel, que préconisez-vous au sujet des 6 responsables de l’opposition qui sont inculpés, dont Max Loalngar, le porte-parole de Wakit Tama, suite à cette manifestation et qui sont actuellement détenus à la prison de Moussoro ?

Je dis qu’il faut engager des discussions. Il faut qu’on s’entende avec eux. Nul n’a le droit de porter atteinte aux biens publics ou privés. Là-dessus, nous sommes tous d’accord. Maintenant  que cela est fait, que doit-on faire ? Qui va indemniser les entreprises qui en ont été victimes ? Est-ce que vous allons faire jouer le droit à fond jusqu’au bout ? Je crois qu’on est en politique et que, en politique, toute solution pacifique est toujours la bienvenue. Et que je ne pense pas que c’est en les maintenant en prison ou en les condamnant qu’on aura réglé au fond le problème.