Burkina Faso : Philippe Ouédraogo, cardinal médiateur

« Dieu tout-puissant » (1/5). Il n’aime pas la lumière des projecteurs, mais s’active volontiers en coulisses. De la chute de Blaise Compaoré au coup d’État contre Kaboré, il a été au cœur de toutes les crises politiques qui ont secoué le Burkina Faso ces dernières années. Portrait d’un religieux influent et jamais indifférent.

Mis à jour le 6 juin 2022 à 10:44
 

 

Philippe Ouédraogo a été fait cardinal par le Pape François en 2014 © Grzegorz Galazka/SIPA

 

Il n’est pas du genre à se laisser désarçonner. La sérénité des hommes d’Église, sans doute. Ce 24 janvier, tout le pays avait beau être suspendu au déroulé du coup d’État en cours contre Roch Marc Christian Kaboré, lui n’a pas bouleversé son programme. Comme chaque jour, le cardinal Philippe Ouédraogo s’est levé à l’aube pour prier. Puis direction le petit séminaire de Pabré – où il a effectué une partie de sa scolarité – pour la fête de Saint-François de Sales.

L’archevêque métropolitain de Ouagadougou est en route lorsqu’il reçoit un appel. Au bout du fil, la personne semble pressée : il faut rentrer en urgence à Ouaga, pour une « séance de rencontre » de la plus haute importance liée aux événements politiques en cours. Le cardinal accepte, mais se permet de faire patienter son interlocuteur, dont il préfère aujourd’hui encore taire l’identité. Hors de question de louper la célébration prévue de longue date à Pabré.

La confiance de Kaboré

Retranché au camp de gendarmerie Paspanga, le président Kaboré sait que la fin de son régime est proche. L’ensemble de l’armée a rallié les putschistes, qui sont passés à l’action la veille. La tension est croissante entre les mutins et les gendarmes qui forment la garde présidentielle. Le chef de l’État veut à tout prix éviter que le sang coule : il accepte de démissionner. Reste à obtenir des garanties pour lui et ses proches, puis à organiser le transfert du pouvoir aux nouveaux maîtres du pays, en présence d’une autorité morale et coutumière.

Le nom de Philippe Ouédraogo émerge rapidement. Fervent catholique depuis son enfance, Kaboré connaît bien le prélat et lui fait toute confiance. Les putschistes, menés par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, n’y voient pas d’objection. Un consensus est trouvé. « Les deux camps voulaient qu’un témoin soit présent et qu’il fasse office de médiateur. J’ai été étonné d’être choisi mais j’ai accepté car je savais que cette démarche était déterminante pour faire revenir la paix », explique Philippe Ouédraogo.

Vers 13h, le voici de retour à l’archevêché, dans le quartier ouagalais de Koulouba. Arrivent ensuite deux délégations : la première, composée d’officiers du futur MPSR (Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration), et la seconde, formée par Kaboré et quelques gendarmes de sa sécurité rapprochée. « J’ai compris que la situation était irréversible. Il fallait donc avancer dans un esprit d’apaisement. J’ai insisté sur la nécessité de respecter la dignité humaine du président, celle de sa famille et celle de ses collaborateurs », confie le religieux. Après avoir remis sa lettre de démission, Kaboré est emmené par les putschistes. Le coup d’État, que tout le monde sentait venir depuis des mois, est consommé.

Un fidèle du pape François

Le cardinal estime n’avoir fait « que son devoir ». Rien de plus normal, poursuit-il, que d’avoir une fois de plus aidé à résoudre une crise politique. À 77 ans, ce natif de la région de Kaya, archevêque de Ouagadougou depuis 2009, estime que « l’Église ne peut rester indifférente à ce qui se passe autour d’elle » et qu’elle se doit « d’œuvrer dans le sens de la paix ».

Réputé ouvert et attaché aux valeurs universelles, celui qui se définit d’abord comme un « pasteur proche du peuple » est aussi engagé sur les questions humanitaires et sociales. « Il fait beaucoup à ce niveau, par exemple en organisant des dons ou des distributions de vivres pour les indigents et les déplacés », commente une figure politique burkinabè. En contact constant avec les laïcs, il a également créé le Service pastoral pour la formation et l’accompagnement des responsables (Sepafar), sorte de réseau de réflexion et d’action qui réunit chaque mois des religieux et des dirigeants de tous horizons.

C’est en février 2014 que Philippe Ouédraogo a été fait cardinal par le Pape François, dont il est l’un des fidèles sur le continent. De quoi renforcer encore son aura, au grand dam du président de l’époque, Blaise Compaoré, et de son clan. Depuis des mois, le prélat a en effet pris position contre la modification de la Constitution, censée permettre au chef de l’État de se maintenir au pouvoir.

De Compaoré à Diendéré

Le 31 octobre 2014, Compaoré est chassé par une insurrection populaire. Une page de l’histoire du Burkina Faso se tourne. Dans les jours qui suivent, Ouédraogo fait partie du conclave de personnalités chargées de mettre en place les instances de transition. Il s’oppose notamment à la nomination d’un de ses frères en Christ, Paul Ouédraogo, l’archevêque de Bobo-Dioulasso, comme président de la transition, arguant que « le rôle de l’Église n’est pas de gérer la chose publique ».

Moins d’un an plus tard, le 16 septembre 2015, le général Gilbert Diendéré, ancien bras droit de Blaise Compaoré, tente un coup d’État. Mais sous la double pression de la rue et d’une frange loyaliste de l’armée, le putsch échoue. Après avoir rendu le pouvoir, il se réfugie chez le nonce apostolique à Ouagadougou. « Le nonce venait d’arriver au Burkina, raconte Philippe Ouédraogo. Il n’avait même pas présenté ses lettres de créance. Comme la situation était compliquée, j’ai été interpellé pour jouer les médiateurs. » Une fois de plus, le voilà qui s’active en coulisses. Le 1er octobre, Diendéré se rend sans heurt aux autorités et est placé en détention.

Dialogue avec l’islam

Depuis cette transition houleuse, le pays a sombré dans l’insécurité et les groupes jihadistes ont pris le contrôle de pans entiers du territoire. Fidèle à la longue tradition nationale de cohabitation religieuse, le cardinal reste fermement attaché au dialogue avec l’islam qui constitue, à ses yeux, un « défi majeur ».

« Nous serons toujours présents pour y prendre part », assure celui qui préside le Symposium des conférences épiscopales africaines et de Madagascar (Secam) depuis 2019. Cette année, les mois de carême musulman et catholique se sont en partie chevauchés. Le 22 avril, Philippe Ouédraogo a donc organisé une rupture du jeûne avec des musulmans à l’archevêché de Ouagadougou : « C’était un acte très fort et de grande portée en matière de reconnaissance interreligieuse. »