TÉMOIGNAGE DE ZACHARIE SORGHO

Zacharie Sorgho

Quand je suis arrivé en Ouganda de Zambie en août 1999, j'ai été impressionné en premier par la situation verte du pays. Le bon accueil que j'ai reçu du Père provincial, Marc DE WULF, et de beaucoup de confrères m'a fait sentir que j’étais chez moi et m’a rendu à l’aise. Après quelques jours, on me donna l'occasion d'aller me promener dans le pays, pour en avoir une connaissance géographique, et pour rencontrer quelques communautés dans plusieurs missions. Pendant ma visite, j’ai pu apprécier le pays, les gens et tous les mots et gestes d’accueil que j'ai reçus. Pourtant j'avais hâte d’atteindre le lieu où j’étais nommé : Karamoja, Tapac. Le jour de mon voyage à Karamoja, rendu à Moroto, j'ai été effrayé par le grand nombre de pistolets tenus par les guerriers sur les routes. J’étais bouleversé et pas à l'aise du tout. Quand je suis arrivé à l’évêché, je me suis senti un peu plus en sécurité et le bon et paternel accueil que m’a fait l'évêque m'a aidé à regagner force et confiance.

Premières impressions

Berger karamajongJ'ai finalement atteint mon poste, Tapac, après avoir roulé 2 heures et demie sur une route dure et rugueuse. Les confrères m'ont présenté à des aînés qui faisaient une assemblée mais, en dépit de leur apparence amicale et rassurante, je me suis senti inconfortable et j’étais effrayé par les guerriers avec leurs pistolets. Beaucoup de questions ont envahi mon esprit. Comment est-ce qu'ils peuvent tenir de telles armes ici ? Comme font-ils pour survivent dans un tel environnement ? Pourquoi est-ce qu'ils s’habillent de cette façon ? Plus tard, les gens m'ont eux-mêmes aidé à trouver les réponses à mes questions, pas avec beaucoup d'explications, qu’ils sont en général réticents à donner, mais en laissant leurs propres vies se dérouler devant mes yeux, avec une confiance croissante à mesure qu’ils sentaient que je faisais partie de leur milieu.

Au début, j'avais un sentiment d'insécurité et je considérais les gens comme arriérés. J'étais effrayé, mais j’avais en même temps hâte de mieux les connaître, leurs manières de vivre, leurs traditions et leurs coutumes. C’était pour moi un défi. Une autre chose qui m’a frappé c’est le nombre de demandes qui m’ont été adressées de la part des gens locaux, quelquefois avant même qu’on ait échangé les salutations de politesse, ou même sans elles. Les demandes étaient nombreuses et allaient d'un pincement de tabac à priser à une robe ou un tissu à porter.

J’ai mal pris cette attitude, pensant que c'était un signe de désespoir et d’humiliation, mais j’ai découvert plus tard que c’était encore leur pragmatisme au travail. Demander quelque chose à une autre personne est un moyen de créer une amitié, un acte de déférence, une déclaration de bonnes intentions. Les Tepeth sont très simples et ils expriment beaucoup de liberté dans leurs réunions, leurs assemblées et leurs rassemblements sociaux. Leur organisation sociale et politique m'a impressionné par sa simplicité et parce qu’elle autorise l'exercice de la démocratie beaucoup plus que de ma propre tribu (Mossi). Cela m'a pris quelques mois avant d’avoir les pieds sur terre. Beaucoup de questions sont pourtant restées sans réponses : Pourquoi les attaques ? Pourquoi verser un prix si haut pour la mariée ? Comme font-ils pour survivre ? Comment est-ce qu'ils me voient ? Est-ce que j’arriverai à connaître leur langue ?

J'observais et essayais de comprendre les choses en raisonnant, mais ce n'était pas le bon chemin. Je me suis bientôt rendu compte que quelques-uns avaient fait ma connaissance, principalement ceux qui venaient à la paroisse. Je voulais aussi être en rapport avec eux, comprendre ce qu'ils disaient. Avec l’aide de ma communauté, j’ai laissé de côté mes peurs et j’ai commencé à sortir pour les rencontrer et bavarder avec eux. J’écoutais et écrivais tout ce que je pouvais saisir de leur langue et de sa prononciation. J’étais sûrement considéré comme un étranger, mais pas comme un ennemi. Toutes les fois que j’allais vers les gens, beaucoup m’entouraient, quelques-uns plus amicalement que d'autres. Je posais beaucoup de questions pour satisfaire ma curiosité et les réponses que j’obtenais n'étaient pas toujours honnêtes, puisqu’ils ne me connaissaient pas encore vraiment. Plus tard, avec le temps, en faisant connaissance avec eux, je découvris la vérité et les bonnes réponses que j'avais ardemment désiré connaître au commencement.

Enfants karamajongJe m'étais senti mal à l'aise pour deux raisons : mon ignorance de la langue locale, de la culture et des coutumes, et le grand nombre de demandes qu’on m’avait soumises. Après avoir surmonté ces deux obstacles, j'étais libre pour apprendre la langue, rencontrer les gens et passer du temps avec eux. Les membres de ma communauté m'ont aidé avec les livres prescrits pour les débutants et chacun d’eux me consacrait une heure de cours par jour. Je savais que si je voulais que les gens soient de bons amis, je devais être moi-même un bon ami pour eux. Je sortais donc les rencontrer : je parlais leur langue sans avoir peur, ne tenant pas compte des erreurs que je faisais. Les Tepeth eux-mêmes m'ont corrigé et, comme ils me considéraient comme un ami, ils étaient heureux avec moi et les choses se sont lentement arrangées.

L’étude de la langue exige beaucoup d'humilité et un engagement sérieux. Je me suis senti comme un enfant qui apprend à parler, ayant parfois de la difficulté à prononcer ce qui paraît facile pour une personne adulte. Les gens eux-mêmes sont devenus mes professeurs en voyant mon désir profond de connaître leur langue locale. Du 3 janvier au 8 février 2000, j'ai eu l'occasion d’assister à un cours de langue donné par un Père Comboni, le Père Bruno NOVELLI. Ce cours m'a beaucoup aidé à m’initier à la langue. En revenant de ce cours de langue, je parlais plus facilement. Je pouvais au moins m'exprimer et comprendre ce qu’ils disaient, même si ce n’était pas toujours clairement.

Connaître la langue ne suffisait pas : c'était juste une porte d'entrée dans la maison Tepeth. Un autre aspect qu’il me fallait connaître était leur culture, leurs traditions et leurs coutumes sans lesquelles on ne peut pas atteindre ou comprendre raisonnablement les gens. Je savais que les livres n’apporteraient pas toutes les réponses, mais que seulement ma présence et mon observation dans leurs rassemblements sociaux, fêtes, pourrait satisfaire ma curiosité. J'étais heureux avec les relations que j'avais, mais j’avais encore beaucoup à apprendre de la sagesse de leur culture et c'était là ma principale frustration.

Vie communautaire et relations en général

Zacharie donnant son témoignageA Tapac, j'ai trouvé une communauté de trois Pères qui, au cours des années, s’étaient très bien adaptés à la culture locale et qui connaissaient la langue. Ces Pères étaient appelés par leurs noms locaux respectifs : Les Pères Jo Van De Ven (Apalokodos), Franz Pfaff (Apalokori) et Désiré le Goff (Apalokuam). Ils avaient été avertis de ma venue et m’ont fait un bon accueil. Ils m’ont présenté aux gens de la communauté locale et m'ont aidé à m’installer. Plus tard, en septembre 2000, le Père Lazaro Bustince (Apaloyang) a rejoint la communauté, formant ainsi avec nous une communauté de 5 membres.

Je me suis rapidement rendu compte combien nous étions différents les uns des autres. Je savais que j’avais à m’adapter et à vivre avec des caractères et personnalités différentes, tout en gardant ma propre identité. C'était un défi pour moi. Notre interaction quotidienne m’a appris à connaître mes confrères et à me faire connaître à eux. Je vivais avec des gens qui étaient expérimentés en pastorale et qui avaient l'âge de mon père : la moyenne d’âge était de 54 ans. Bien qu'ils soient des hommes d’expérience dans la mission et dans la façon de diriger, ils m'ont donné mon propre espace pour grandir.

Notre communauté apostolique a essayé d'être témoin du Royaume de Dieu par notre vie communautaire, notre manière d’évangéliser les gens et nos différents engagements. Au début, j’avais des difficultés à m’intégrer dans l’esprit de la communauté. L'idéal qu’on nous avait présenté pendant le noviciat était loin de la réalité rencontrée. Nous restions souvent deux seulement dans la communauté, et je n'ai pas connu la vie d’une communauté de trois à cause des déplacements de mes confrères. Je n’ai pas connu la vie de communauté à un niveau profond. Nous avons souvent partagé nos plans, nos idées et notre travail pastoral, mais il n’y avait pas d’échanges intimes sur nos sentiments, notre spiritualité et nos expériences personnelles. Un de mes confrères dirige le projet de “ la Vache Heureuse ”, et utilise la communauté comme un 'pied à terre', et cela me rendait perplexe.

Personnellement, je me délassais avec mes confrères quand nous étions ensemble, mais je le faisais surtout avec les gens de l'extérieur, qui étaient toujours sur notre propriété. J'ai été défié par les vues différentes et les idées de mes confrères sur des questions concernant la vie de communauté et la mission aujourd'hui. Pour quelques-uns la mission, avant d’être la proclamation de l'Évangile, consistait en une activité de développement, dans le sens d’établir de bonnes infrastructures et de combler les nécessités où elles n'existent pas. Cette situation a gêné la réalisation de notre pastorale.

J'ai remarqué que travailler en équipe n’est pas facile et que c’est un réel défi. Cela exige patience commune, tolérance, compréhension et collaboration. Bien sûr, nous avions régulièrement des réunions de communauté et des conseils, mais il y avait une faiblesse quant à la mise en œuvre des décisions et plans que nous avions élaborés. Nous avons souvent omis de faire une évaluation adéquate de nos plans et actions. Ce que je déplore, c’est que nous n'avons jamais réussi à faire que nos projets individieuls deviennent des projets de toute la communauté. Bien que j'aie apprécié que des projets aient été discutés en communauté, et longuement, jamais aucune solution n'a été trouvée et les confrères sont restés avec leurs projets individuels.

En dépit des difficultés nous avons rencontrées, j'ai toujours eu le support et l'encouragement de mes confrères et cela m'a fait sentir chez moi. J'étais toujours libre de donner mon opinion et d’apporter ma contribution, mais je me demande si mon opinion était dûment considérée et appréciée.

Intégration personnelle
dans les activités apostoliques

À propos des activités apostoliques, je dirais qu’au début, je tournais au ralenti. La seule activité que je faisais était d’aller rencontrer les gens. Ce n’est pas qu’il y avait un manque d'activités, mais je cherchais ce en quoi je pourrais moi-même m’impliquer. Au cours d’une discussion avec le curé de la paroisse, il m’a proposé beaucoup d'activités en me laissant libre de choisir celles que je préférais et que je me sentais capable d’accomplir.

Zacharie et un amiJ'ai commencé avec la jeunesse : nous avons nettoyé ensemble un terrain de football et avons mis la balle au jeu à la satisfaction de tous. Nous avons ensuite organisé des matchs et joué entre nous. J'étais aussi responsable de la classe d'alphabétisation des femmes dans la langue locale. C'était une expérience merveilleuse et beaucoup sont venues au début, mais petit à petit leur nombre a diminué et j'ai dû arrêter. J'ai observé que cet échec n’était pas dû à ma pédagogie, qu’on a peut-être détestée, mais que c'était plus une question de manière d'apprendre. Les gens sont plus réceptifs quand on se sert d’un chemin non officiel plutôt qu’un chemin officiel.

Au niveau de notre communauté, j'étais responsable du jardin qui nous fournissait les légumes et nous permettait ainsi de ne pas toujours devoir aller en ville pour en acheter. Le projet “ Vache Heureuse ” m'a attiré : ce projet a pour but d’aider les gardiens de troupeau à acquérir compétences et connaissances pour mieux s'occuper de leurs animaux. J'étais le bienvenu à leurs réunions et ateliers et cela me permettait d’avoir une idée sur ce qui se passait. Nous savons que la vache est le centre de la vie Karimojong et que tout ce qu'ils font est explicitement ou implicitement relié à elle : améliorer la santé de la vache, prévenir les maladies émanant des tiques qui causent des ravages dans le bétail, réduire les maux rattachés au bétail. Le projet propose de nouvelles façons d'être riche en bétail à travers les soins et la prévention des maladies.

J'ai aussi visité les écoles et j’ai aimé rencontrer les enfants et les professeurs. L'éducation est encore très rudimentaire ici et les enfants vont à école seulement s'il y a de la nourriture. La situation d’insécurité et l'éloignement de la place n'attirent ni les fonctionnaires, ni les professeurs ni les infirmières.

Parmi mes différentes activités et responsabilités, je me sentais à l'aise et aimais les visites à domicile et les safaris dans les succursales (vallées). Avec le temps, comme je comprenais les gens et leur étais plus familier, j'ai commencé à aller les visiter dans leurs maisons et leurs villages, et à passer du temps avec eux. Cela m'a aidé à me rapprocher d’eux, de leur réalité et à être en contact avec quelques aspects de leur culture et coutumes. J’en suis venu à découvrir l'autre visage des gens : accueillant, chaud, sociable et amical. Ils ont partagé avec moi leurs repas, leurs problèmes et leurs joies, leur culture et leurs coutumes. Plusieurs était heureux de me voir passer 4 ou 5 jours, même une semaine, parmi eux, tout simplement. Pendant mon séjour dans les différentes vallées, j'ai rencontré les aînés tout comme les jeunes. Nous avons bavardé au sujet de n'importe quoi et c'était intéressant pour moi d’entendre leurs points de vue sur des questions liées à leur culture.

Parfois, quand j’étais dans un village, j’ai eu l'occasion d’assister à leurs fêtes sociales, comme un mariage ou une cérémonie religieuse. Beaucoup étaient surpris de me voir marcher à pied de longues distances, comme eux, quelquefois en leur compagnie, très souvent seul. La majeure partie de mon temps dans les villages consistait juste à être avec les gens et à converser avec eux. Le soir, nous pouvions nous rassembler et apprendre des prières, des chansons et expliquer, de façon à provoquer, une parabole ou une lecture de l’Évangile. Bien que beaucoup de jeunes filles et garçons aient exprimé le désir d’être baptisés, nous avons pensé, en équipe, que ce n'était pas encore le temps. L'évangélisation étant encore à ses débuts, nous ne devions pas nous hâter d’administrer les sacrements, mais plutôt dialoguer avec les gens et leur expliquer les valeurs de l'Évangile.

Le Père Franz Pfaff et un prêtre diocésain ont commencé l'apostolat parmi les gardiens de troupeau. Je me suis joint à eux avec enthousiasme car leurs objectifs étaient nobles. Notre apostolat auprès des gardiens de troupeau visait à leur apprendre les valeurs essentielles de la vie et à en faire des artisans de paix. La méthode utilisée consistait à faire connaissance avec quelques-uns à travers dialogue et rencontre. La vie est un choix et est ce qu’on en fait.

Impact du stage sur ma vie de foi

Après deux années d'expérience apostolique dans une région de pré-évangélisation, à Tapac, je peux affirmer que ce stage a eu un impact sur ma vie de foi. J'ai été touché par la façon dont les croyants de la religion traditionnels sont en rapport avec leurs esprits, leurs ancêtres et leurs dieux. Le fait d’être dans une région de pré-évangélisation, où il n'y a pas de chrétiens, ni de vie sacramentelle et aucune structure d’Église, est certainement resté un défi profond à ma foi.

Ma vie de foi a été marquée par les événements, tristes et joyeux, que j’ai vécus avec les gens. Je voulais vivre ma foi, mes convictions, en me basant sur la réalité quotidienne rencontrée et sur l'amour de Dieu. Quel que soit le bien que je pouvais voir chez les gens, dans leur culture et leurs coutumes, c’était pour moi un don de Dieu à parfaire et à apprécier. Ma vie de prière personnelle, mes méditations sur la Parole de Dieu, la prière communautaire, les récollections communautaires et individuelles, m'ont guidé et ont nourri ma foi. En dépit des épreuves et des défis vécus, j'ai gardé la conviction que Dieu m’aime et qu’il m’entoure de sa présence salvifique dans quoi que ce soit que j'accomplisse en son nom : très souvent, les niveaux d'insécurité m'ont fait sentir que j’étais entre les mains du Seigneur et qu’il me protégeait. J'ai souvent fait un rapport entre les gens d’ici et les Israélites dans le désert, et je me voyais moi-même marcher avec eux et les aider à découvrir la présence, l'amour de Dieu qui nous appelle tous à la terre promise.

J'ai toujours essayé de partager ma foi avec eux, non pas l’imposer mais reconnaître le bon que Dieu leur a déjà donné et travailler à les conduire à une pleine maturité. Je me suis rendu compte comme est vraie cette déclaration de Jésus : “ Vous est le sel du monde ”. Ma vie de foi doit être un signe tangible et doit attirer les gens, autrement il me manque quelque chose. En tant que chrétien, mon rapport personnel avec Jésus m'a toujours aidé à vaincre les difficultés et défis de ma foi. Je me suis rendu compte que c’est le Christ, comme premier missionnaire, qui doit être le centre de la mission et de tout ce que nous faisons ou disons.

La vie sacramentelle ne tenait pas une grande place dans notre pastorale, puisque la communauté locale est une communauté de religion traditionnelle africaine. En communauté, nous célébrons l'Eucharistie quotidiennement. Ces Eucharisties quotidiennes rassemblaient de 10 à 15 croyants de la religion traditionnelle qui étaient témoins de nos prières. Pour ces gens l’Eucharistie de chaque jour et ce qu'elle implique était au-delà leur compréhension culturelle. D’après moi, la mission est plus qu'administrer des sacrements : elle consiste d’abord à vivre et à témoigner véritablement du Christ et de son message de salut à ceux vers qui nous sommes envoyés.

Vivre avec des gens dont la culture et les valeurs évoquent sûrement la mentalité de l’Ancien Testament a influencé ma propre foi : Dieu est bon et mauvais. Dieu tue et donne la vie, et la religion est vue comme une façon d’en tirer un profit. Pour annoncer la Bonne Nouvelle à ces gens, j'ai senti que je devais aussi la vivre afin qu'ils puissent rencontrer le Christ à travers mon témoignage, et ce n'était pas toujours facile au quotidien.

C’est ma vie de prière qui a été le plus marquée par mon expérience ici. La réalité que je vivais m'a amené à tout confier à Dieu, les événements journaliers, et les rencontres ; aussi à remercier Dieu, à le louer, à le questionner au sujet de questions, et à demander sa présence. Ma prière personnelle est devenue plus réaliste : j’y incluais toujours mes expériences, mes joies, mes difficultés et mes défis.

Un de mes objectifs était de rencontrer des croyants de la religion traditionnelle et de partager avec eux ma foi. En faisant un retour en arrière sur ce que j’ai vécu ici, je dirais que je suis très reconnaissant à ma communauté qui m'a aidé à vivre cet objectif en profondeur.

Les conseils évangéliques étaient pour moi comme un garde fou (des barrières de sécurité) et mon engagement à les vivre avec l'aide du Christ a dépendu de la signification que je leur ai donnée.

La pauvreté n’est pas de vivre dans une pauvreté abjecte, mais de partager avec ceux qui ne possèdent rien. Partager le peu que je possède. Dans cette région où la vie est une question de survie, vivre la pauvreté était pour moi une façon d'être près des gens et de les comprendre. Ce ne sont pas nos richesses qui font s’éloigner de nous les gens, mais nos attitudes. Je voulais aussi être “ indépendant ” : utiliser ce que j'avais à ma disposition, et savoir me passer de ce qui me manquait.

La chasteté est pour moi un moyen, et non pas un but, de réaliser mon projet de vie en tant que Missionnaire d'Afrique, dans l'amour de Dieu, me consacrant à mes frères et sœurs. Le célibat, tout comme la pauvreté et l’obéissance, n'était absolument pas compris par les Karimojong. Ils pouvaient souvent m'accuser d'être un homme castré et sans aucun doute anormal. Cela a suscité au plus profond de moi-même une interrogation et le désir d’être honnête dans mon l'engagement. Mon souhait de vivre le célibat m’a poussé à aimer tous ceux avec que je vivais, sans mettre de conditions.

Le troisième conseil évangélique, l’obéissance, est aussi un défi. Mes confrères sont tous des gens qui ont pratiqué l’autorité. Originaire d'un contexte de royauté, j'avais une idée de ce qu’était l’obéissance. D'après mes valeurs culturelles, cela peut signifier se courber physiquement vers le bas et se soumettre à l’autorité dans un grand esprit de soumission. Mais pour moi aujourd'hui, l'obéissance est synonyme de responsabilité. Être responsable de tout ce qui est dans notre communauté, responsable et mettant en pratique les décisions prises, les plans que nous avons adoptés ensemble, et partager la fraternité. Quoi que je fasse, je dois être responsable.

Les perspectives futures

acharie et sa soeurPendant mon stage dans le Karamoja, à Tapac, j’en suis venu à découvrir que l’évangélisation est une entreprise collective, alors que la conversion est beaucoup plus personnelle. Évangéliser un être humain est l'évangéliser dans sa culture et, par le fait même, évangéliser sa culture elle-même. Personnellement, j'ai fait du progrès dans ma façon d'approcher des gens différents de moi au point de vue culture et coutumes, sans les classer ni les juger. Ma relation avec eux était bonne : je les ai rencontrés dans leur milieu social et j’ai partagé avec eux. J'ai dû lutter pour me débarrasser de mes peurs. Les gens ont apprécié ma présence, ma façon de les écouter beaucoup plus que je m’en étais rendu compte. Ma vie spirituelle a grandi grâce à cette expérience. Ma propre réalité, mes sensations, mes frustrations, mes courtes venues, le fait d’être en contact avec moi-même et de toujours prier avec les gens, tout cela m'a nourri et m’a toujours fait espérer en un avenir meilleur pour eux.

À travers les durs événements que nous avons vécus ici (menaces dues à l'insécurité, malentendus qui ont mené à quelque degré de violence envers nous), j’en suis arrivé à découvrir jusqu’à quel point la vie d’un disciple du Christ est exigeante et demande de m’impliquer. Partager avec d’autres ma foi, écouter leurs croyances, faire des efforts pour les comprendre dans leur contexte de vie, a contribué à ma propre édification. Je n'ai pas toujours réussi dans ma manière d’être témoin et d’être près des gens, et chaque haut et bas m'a permis de constater ma faiblesse et de chercher à m’améliorer. Quelquefois ma patience, ma tolérance et ma flexibilité ont été mises à l'épreuve : je pouvais alors me dire à moi-même : après tout, je ne suis qu’un instrument.

Je suis très reconnaissant envers les gens qui en sont venus à m'accepter comme un des leurs, à partager avec moi leurs réalités, leurs problèmes et leurs joies. Cela se manifeste dans le surnom qu’on m’a attribué : “ APALOMERI ” - le propriétaire du bœuf qui est tacheté de rouge et de blanc. Tous les noms émanent de leur culture basée sur le bétail, et le fait qu’ils m’aient donné un tel nom m’indiquait que j’avais une place dans leur compréhension. A mon arrivée, je trouvais plus logique de donner que de recevoir. Mais maintenant, à la fin de mon séjour, je remarque que j'ai reçu plus que j'ai donné : sécurité, confiance, accueil, chaleur, fraternité, et amitié.

Je crois fermement que comme missionnaire envoyé par le Père, c'est à travers un profond dialogue et une rencontre avec la conscience individuelle et collective que je pourrai permettre à ces croyants de la religion traditionnelle d’être informés des bons et mauvais côtés de leur réalité humaine. Ils pourront atteindre une pleine maturité en acceptant que leurs propres valeurs, leur culture et leurs coutumes soient remises en question et qu’on puisse y insérer les valeurs apportées par le Christ.

Mon guide spirituel, le Père Christian (Kiki) Ghilain m’a été très utile et a été pour moi une source de force spirituelle et de courage pour que je puisse faire face à la réalité de cet endroit. Comme la distance était grande et ma capacité pour voyager limitée, je n'ai pu rencontrer le Père Ghilain que rarement. Ces rencontres, importantes comme elles étaient, n’étaient pas assez régulières.

Au le stagiaire qui me succédera, je suggère qu'il laisse de côté la peur et qu’il soit sociable, ouvert aux gens, qu’il aille vers eux et partage sans préjugé sa foi avec eux. C'est un grand défi et nous avons besoin de chrétiens dynamiques pour continuer à provoquer les gens en leur présentant la foi dans le Seigneur ressuscité.

Conclusion

Zacharie ordonné prêtreCes deux années passées “ sur le terrain ”, dans une région de pré-évangélisation, m’ont beaucoup apporté spirituellement et humainement. La réalité et les expériences vécues m’ont été formatrices et m’ont enrichi à bien des égards : enrichissement personnel et spirituel, relations, découverte de moi-même. Mon stage m'a aidé à être davantage un initiateur, à faire toujours le premier pas, à me rapprocher des gens et à être plus attentif, à garder les yeux ouverts aux différentes réalités de la place. J'ai fais l’expérience de mes faiblesses et de mes capacités à travers mes relations avec ma communauté et avec les gens. Bien sûr, il y a encore de la place pour l’amélioration et pour l’espoir. Les difficultés et les défis m'ont aidé à mûrir dans ma vocation missionnaire, à la redéfinir tous les jours et lui donner un sens. Après tout, je reste convaincu que Dieu est celui qui m'a appelé à vivre et à consacrer ma vie comme témoin de son amour pour les hommes.

Le désir de témoigner donne un sens à ma vocation et je désire poursuivre ma formation dans la Société de Missionnaires d'Afrique. Du fond de mon coeur je remercie les membres de ma communauté. Ils ont toujours été à mes côtés et m'ont encouragé. Je remercie aussi la Province ougandaise et tous les confrères qui ont contribué à mon expérience.


SORGHO JACKARY
Stagiaire 1999-2001
Tapac, Karamoja,
Ouganda

Zacharie est retourné en Ouganda après son ordination à Koupéla le 3 juillet 2004.