Côte d’Ivoire : Ousmane Diakité, l’imam du juste milieu

« Dieu tout-puissant » (5/5) Discret, méconnu du grand public, il a pourtant derrière lui des années de médiations et d’influence. Depuis un an, il a pris la tête du Cosim en Côte d’Ivoire avec la lourde mission de contrer la propagation de l’idéologie des groupes terroristes.

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 10 juin 2022 à 14:53
 

 

L’imam Ousmane Diakité © DR

 

Que savent les Ivoiriens du cheikh Aïma Ousmane Diakité ? Peu de choses, tant l’homme est discret. Mais son franc-parler, lui, est de notoriété publique. Un épisode a marqué les esprits. Le 21 juin 2017, tout ce que le pays compte de personnalités politiques et d’hommes d’affaires musulmans est réuni à la grande mosquée du quartier huppé de la Riviera Golf. C’est l’affluence des grands jours pour cette Nuit du destin, moment important du mois de ramadan.

Ousmane Diakité, alors secrétaire exécutif du Conseil supérieur des imams de Côte d’Ivoire (Cosim), a la parole. Son prêche porte sur l’enrichissement illicite et la corruption. « Si vous détournez des fonds, ne pensez pas que vous avez seulement désobéi à la loi de la République. Vous avez aussi désobéi aux ordres d’Allah », explique-t-il d’une voix calme sortie de sa barbe grisonnante et de sa carrure imposante. Dans l’assistance, certains hochent la tête en signe d’approbation. Manipulation des marchés publics, abus de fonction… Personne en particulier n’est visé, mais l’imam a des mots sévères.

Il insiste : « Certains s’achètent une conscience en se disant qu’ils vont utiliser une partie de l’argent qu’ils volent pour construire des mosquées, pour faire partir des gens à la Mecque… La religion musulmane n’accepte pas cela. Il n’y a pas de blanchiment d’argent spirituel. Le fait de faire des sacrifices avec de l’argent volé ne le rend pas licite. »

Le prêche est alors largement commenté. En s’exprimant sur la corruption, Ousmane Diakité a soulevé une question taboue. En 2017, selon l’ONG Transparency International, la Côte d’Ivoire se classait au 103e rang sur 180 que compte l’indice de perception de la corruption.

Homme de principes

Ousmane Diakité est désormais le président du Cosim – il a été élu en avril 2021 -, une organisation qui compte 26 742 imams et jouit d’une solide implantation à travers le pays. Cette fonction fait de lui le guide de la communauté musulmane en Côte d’Ivoire. Il a néanmoins gardé la tête de la mosquée Arafat de Bounoumin, à Cocody, où se trouvent ses bureaux, ainsi que l’université musulmane africaine.

Décrit comme un homme de principes, il est connu pour sa capacité à faire des compromis. Le choix de cet homme pour succéder à l’imam Mamadou Touré est le fruit d’un parcours sans errance et d’une fidélité à l’organisation.

Ousmane Diakité est né en 1956 à Odienné, dans la région de Kabadougou située au nord-ouest de la Côte d’Ivoire. Après des cours primaires et secondaires à l’école Dar-el Hadith, à Bouaké, il s’envole vers la France. Il y étudie le français à l’université des sciences humaines de Strasbourg. En 1979, il intègre l’université Mohammed V, au Maroc. Sa maîtrise en droit public, option administration intérieure en poche, il rentre au pays.

De 1983 à 1986, il est d’abord professeur de langue arabe et française au sein du groupe scolaire Mamadou Coulibaly à Odienné. Puis, il devient fonctionnaire au ministère de l’Intérieur en tant que secrétaire général de mairie, à Odienné dans un premier temps, avant d’être affecté dans plusieurs autres mairies de cette région du Nord. En 1987, des leaders religieux musulmans créent leur organisation : Ousmane Diakité n’hésite pas et intègre rapidement le Cosim.

Proche du Cheick Fofana

Il y avait alors une nécessité réelle d’unifier la pratique de l’islam dans le pays. « À l’époque, les fêtes musulmanes étaient célébrées sur plusieurs jours en fonction des différents courants et des pays d’origine des uns et des autres. Même le pèlerinage était organisé en rangs dispersés, note un observateur de la scène politique. La force du Cosim, c’est d’avoir réussi à s’imposer comme le seul interlocuteur de l’État et à encadrer la pratique de l’islam en Côte d’Ivoire. »

L’un des leaders de l’organisation s’appelle Cheick Boikary Fofana, médiateur de poids qui s’était impliqué dans la résolution de plusieurs crises que le pays a traversées. Au décès de ce dernier en mai 2020, Alassane Ouattara dit « son immense tristesse » face à la disparition de son « ami et frère ».

« En 2011, lorsque les mosquées sont attaquées et des imams assassinés pendant la crise post-électorale, le Cheick a fait un discours pour dire à tous les membres de la communauté de ne pas se venger, de ne pas réagir, de ne pas riposter. Il voulait éviter que la crise ne se transforme en une guerre religieuse. Son appel a eu un écho favorable et il a été félicité à travers le monde », se souvient Seidou Konaté, recteur principal de la grande mosquée de Yopougon. Sa mosquée située dans le quartier Toit rouge porte aujourd’hui encore les stigmates de cette violence. « Des gens ont été brûlés ici. Avez-vous vu la partie noire sous le hangar ? La dalle aussi a été brûlée. Elle a été ramollie. Nous avons dû la casser pour tout reprendre. Ça a été des moments difficiles. Mais aujourd’hui, grâce aux médiations, les gens vivent de nouveau ensemble. »

Médiateur durant les crises

Durant les années sombres de l’histoire du pays, Ousmane Diakité a joué un rôle important. En 2007, il devient le secrétaire exécutif du Cosim. Surtout, il est l’homme de confiance du Cheick Boikary Fofana. « Il était son représentant dans les médiations pendant la crise, notamment au sein de la Convention de la société civile ivoirienne. C’était son bras droit », confie un proche. C’est donc naturellement qu’en 2014, il est désigné comme membre de la Commission électorale indépendante, pour le compte de la communauté musulmane.

C’est cette trajectoire qui lui a permis d’accéder à ses fonctions actuelles en remportant l’élection à la tête du Cosim face à deux rivaux. « Sa victoire tient au fait qu’il s’est tenu aux côtés des imams pendant des années. Sa présidence est aussi une continuité avec celle du Cheick Boikary Fofana qui était très apprécié », explique un responsable d’une association islamique.

Si ses prédécesseurs ont parfois été jugés trop proches du pouvoir, notamment du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), Ousmane Diakité observe pour sa part une certaine distance vis-à-vis des politiques. Lors de son installation officielle en tant que guide de la communauté musulmane le 12 juin 2021, Alassane Ouattara était représenté par le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de la Protection civile, le général Vagondo Diomandé. « Il se méfie des politiques, qu’il tient à bonne distance. Ce n’est pas un courtisan et il n’aime pas être courtisé », glisse un proche. Sortira-t-il de sa réserve pour s’exprimer sur les questions relatives à la vie du pays lorsque l’actualité le nécessitera ?

Lutte contre les réseaux jihadistes

Pour l’heure, le 7e président du Cosim travaille à consolider les liens avec les autres communautés religieuses. Il s’attèle également à tisser des relations entre le Cosim et les organisations islamiques d’autres pays. Il est notamment proche de Ali Orhon Pehlivan, président de l’ONG AIDE, qui relève de la fondation turque Aziz Huday Wakfi, sous l’autorité de Cheick Nour Tobas. Il est aussi proche du Turc Serkan Kayalar. Fin mai, Ousmane Diakité a également participé, à l’invitation des autorités qataries, à une rencontre sur les religions et le discours de la haine.

Dans un contexte de menace jihadiste dans les zones frontalières de la Côte d’Ivoire, le Cosim joue un rôle discret mais indispensable de prévention. La première étape est l’enseignement de l’islam et cela passe par la formation des imams. Chaque année, une centaine d’entre eux sont sélectionnés pour être formés au Maroc. Il intervient également sur la nomination des imams dans les mosquées. « Nous sommes pour un Islam qui n’impose pas sa doctrine aux autres, qui ne conditionne pas son rapport aux autres sur la base de leur confession religieuse, et qui ne juge pas car le jugement appartient à Dieu », estime l’imam Seidou Konaté. « C’est ce que nous appelons l’islam modéré, du juste milieu. C’est ce que le Coran prône. Si vous n’êtes pas modéré dans votre pratique, et dans votre rapport avec les autres, vous n’allez pas pouvoir convaincre. On pratique l’islam par conviction, on ne l’impose pas », ajoute-t-il.

L’organisation mène notamment de nombreuses activités dans les villages frontaliers avec le Burkina, le Mali et la Guinée. À chaque étape de cette « caravane socio-culturelle » organisée en partenariat avec des organisations de la société civile ou une association de jeunesse musulmane, ils procèdent à des distributions de vivres. Un médecin est également présent. Un observateur de la scène politique analyse : « Le Cosim a un point focal dans presque toutes les localités du pays. Il est un acteur indispensable pour la médiation dans les cas de conflits intercommunautaires. Ce qui est un point clé car les groupes jihadistes profitent des fragilités pour s’installer ».