Côte d’Ivoire : « Protéger le pouvoir d’achat tout en maintenant l’activité », la priorité d’Adama Coulibaly

Dette, flambée des prix, sanctions contre le Mali… La Côte d’Ivoire est confrontée à des vents contraires. Mais le ministre ivoirien de l’Économie et des Finances insiste sur les bonnes performances du pays.

Par  - envoyée spéciale à Abidjan
Mis à jour le 13 juin 2022 à 12:34
 

 

Adama Coulibaly, ministre ivoirien de l’Économie et des Finances, le 6 mai 2022, à Abidjan. © Olivier pour JA

 

Il est le grand argentier de la Côte d’Ivoire depuis 2019, confirmé dans ses fonctions à la fin d’avril, à l’annonce du nouveau gouvernement de Patrick Achi. À la tête du portefeuille de l’Économie et des Finances, Adama Coulibaly est la cheville ouvrière de la politique économique ivoirienne. Budget, financement du Plan national de développement (PND) 2021-2025, dette, lutte contre l’inflation, il est sur tous les fronts.

En nous recevant, au début de mai, dans son bureau du 19e étage de l’immeuble Sciam, dans la commune du Plateau, à Abidjan, il souligne la solidité de l’économie ivoirienne, avec une croissance attendue de 7 % en 2022, malgré un contexte difficile lié aux effets prolongés de la pandémie de Covid-19 et aux conséquences, plus récentes, de la guerre en Ukraine. Ancien enseignant-chercheur en économie revenu au pays après une riche expérience au Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), Adama Coulibaly insiste sur le rôle que doit jouer le secteur privé dans l’essor du pays.

Jeune Afrique : L’Afrique de l’Ouest est confrontée à une forte inflation depuis le début de l’année, une situation qui devrait durer. Quels en sont les effets en Côte d’Ivoire ?

Adama Coulibaly : Cette hausse des prix est un phénomène mondial. Elle trouve ses racines dans la pandémie de Covid-19 et dans la désorganisation des circuits d’approvisionnement, notamment en raison de l’indisponibilité des conteneurs. La reprise post-pandémie s’est soldée par une hausse du prix du fret, des matières premières, de l’énergie, une inflation exacerbée par la guerre en Ukraine. Les deux pays en conflit étant d’importants exportateurs mondiaux de blé et d’engrais.

L’OBJECTIF EST DE PROTÉGER LE POUVOIR D’ACHAT TOUT EN MAINTENANT L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

La Côte d’Ivoire, dont 20 % des importations de blé viennent d’Ukraine et 26 % des importations d’engrais viennent de Russie, a de plus en plus de mal à satisfaire ses besoins. Malgré ce contexte tendu, l’inflation a été contenue à 4,2 % en moyenne sur 2021 et, si elle a atteint 5,6 % en décembre, elle est retombée à 4,6 % en mars 2022, en deçà de la moyenne de l’Uemoa (6,6 %).

Le gouvernement a pris plusieurs mesures temporaires pour juguler la flambée des prix. Est-ce que cela sera suffisant ?

L’objectif est de protéger le pouvoir d’achat des consommateurs tout en maintenant l’activité économique. De janvier à mars, nous avons par exemple en partie subventionné le prix des produits pétroliers afin de limiter la hausse des tarifs des carburants – super comme gasoil –, avant d’annoncer en avril le maintien du prix du gasoil, une mesure qui renforce le soutien aux industriels et aux transporteurs.

En mars, nous avons instauré un plafonnement pour trois mois des prix des produits alimentaires de base puis, en mai, nous avons suspendu, également pour trois mois, les droits de douane sur les importations de blé, un geste à destination des meuniers. L’ensemble de ces mesures cible in fine les populations vulnérables. Depuis le début de l’année, ce sont plus de 200 milliards de F CFA [318 millions d’euros] qui ont été mobilisés.

Ces décisions, légitimes sur le plan économique et social, pèsent sur le budget ivoirien. Faut-il s’inquiéter pour l’équilibre des finances publiques ?

Ces mesures, qui génèrent un manque à gagner pour l’État en même temps que des dépenses supplémentaires, vont logiquement engendrer une hausse du déficit budgétaire. Prévu à 4,7 % du PIB pour cette année, il sera finalement plus élevé d’environ un point. Mais il s’agit d’un déficit conjoncturel, que nous résorberons le plus vite possible, en visant un retour à la normale au plus tard en 2025.

MÊME SI L’ENDETTEMENT DE LA CÔTE D’IVOIRE A AUGMENTÉ, IL RESTE LARGEMENT DANS LES NORMES COMMUNAUTAIRES

La Côte d’Ivoire n’a finalement pas recouru au marché international pour se financer avec un troisième eurobond. L’endettement se fera donc entièrement sur le marché régional. Est-ce une déception ?

Nous allons là où les conditions sont les plus avantageuses ! La Côte d’Ivoire a écrit une belle histoire avec les marchés internationaux, en procédant à des émissions régulières d’eurobonds depuis 2014, dont celles de novembre 2020 et de février 2021, qui ont été particulièrement remarquées en raison des montants et des taux exceptionnels obtenus. C’est un acquis, et la crédibilité du pays demeure, comme le confirment les notations de la dette souveraine établies par Fitch et S&P, à BB -, au même niveau que l’Afrique du Sud.

Cela dit, les conditions sur le marché international, qui étaient favorables ces dernières années, se sont durcies récemment, notamment en raison de l’effet de la guerre en Ukraine sur les taux d’intérêt et sur le taux de change de l’euro et du dollar. Dans l’immédiat, nous n’avons donc pas d’intérêt à y aller. Comme il est pour l’heure plus avantageux de recourir au marché régional – sur lequel nous réalisons des émissions régulières –, nous y emprunterons les ressources nécessaires pour satisfaire nos besoins de financement.

Les besoins d’endettement des pays ouest-africains augmentent, et les conditions d’emprunt se tendent sur les marchés internationaux… N’y a-t-il pas un risque d’essoufflement sur le marché de l’Uemoa ?

Pour le moment, il n’y a pas de signaux indiquant qu’il pourrait y avoir des problèmes. Et, même s’il a augmenté ces dernières années, comme c’est le cas de la plupart des pays, du fait de la pandémie de Covid-19, l’endettement de la Côte d’Ivoire reste largement dans les normes communautaires. Ainsi, l’encours de la dette représente 51,7 % du PIB quand les règles de l’Uemoa imposent de le limiter à un taux de 70 %.

NOUS DONNERONS AUX ACTEURS INFORMELS ACCÈS AUX MARCHÉS PUBLICS S’ILS LÉGALISENT LEURS ACTIVITÉS.

Comme l’a souligné le FMI à l’issue de sa dernière mission dans le pays, en avril, la Côte d’Ivoire doit aussi accroître ses recettes fiscales. Comment progresser sur ce point ?

Nous sommes très mobilisés sur le sujet, bien conscients que, plus nous augmenterons nos recettes, moins nous aurons besoin d’emprunter. Nous mettons l’accent sur la digitalisation de tous les actes et procédures, un moyen de limiter les interventions humaines et les déperditions qui y sont associées.

Dans le même temps, il nous faut élargir l’assiette fiscale, ce qui signifie faire passer le maximum d’activités informelles vers le secteur formel. Sur ce volet, l’incitation est la clé. C’est pourquoi nous proposons un système gagnant-gagnant en disant aux acteurs informels que nous leur donnerons accès aux marchés publics s’ils déclarent et légalisent leurs activités.

Vous avez demandé au FMI de sortir la Côte d’Ivoire de sa liste des pays dits fragiles. Quelles retombées en espérez-vous ?

Il s’agit seulement d’assurer une cohérence entre les performances économiques du pays et son statut dans la classification du FMI. Cela permettrait aussi de mettre fin à une disparité : le fait que deux institutions sœurs de Bretton Woods, la Banque mondiale et le FMI, classent le pays différemment : la première ne considère pas la Côte d’Ivoire comme un pays fragile, la seconde continue à la citer comme tel dans ses publications. Il s’agit en fait d’une question d’ordre méthodologique au niveau du FMI. Les corrections seront effectuées dans les prochaines publications de l’institution.

NOUS PRENONS ACTE DE L’ENGAGEMENT DE MSC DE MAINTENIR LES ACTIVITÉS ET LES EMPLOIS

À la mi-juin, l’exécutif réunira un groupe consultatif avec tous les partenaires du pays pour assurer le financement du PND pour la période 2021-2025. Les besoins sont chiffrés à plus de 80 milliards d’euros. Sur qui comptez-vous en particulier ?

Selon le montage prévu, le financement doit être assuré aux trois-quarts par le secteur privé, acteurs nationaux et étrangers, alliés de longue date et nouveaux entrants. Le privé doit prendre toute sa place dans l’économie, alors que l’on attend une croissance de 7 % en 2022 et une moyenne de 7,2 % sur la période 2023-2025. Comme pour les deux plans précédents, nous attendons de nos partenaires et des investisseurs le renouvellement de leurs engagements. Et nous invitons les investisseurs à venir faire des affaires en Côte d’Ivoire car l’économie ivoirienne est l’une des plus dynamiques au monde.

L’exécutif a peu goûté d’apprendre en même temps que tout le monde l’annonce de la cession des activités portuaires de Bolloré à MSC. Quelle est votre marge de manœuvre dans ce dossier ?

Nous prenons acte de ce qui a été fait et de l’engagement de MSC de maintenir les activités et les emplois. Le groupe Bolloré représentait des activités importantes dans la gestion portuaire mais aussi ferroviaire, avec la liaison vers le Burkina Faso. Des discussions vont avoir lieu avec le ministère des Transports, qui suit le dossier de près. Une chose est sûre, la concurrence dans un secteur est toujours une bonne chose parce qu’elle fait baisser les prix. C’est un point sur lequel nous serons vigilants.

Les sanctions contre le Mali ont aussi des répercussions sur la Côte d’Ivoire et sur le Sénégal, qui sont d’importants partenaires commerciaux de Bamako. Sur le plan économique, cela a-t-il un sens de les maintenir ?

Il m’est difficile de faire des commentaires sur une décision prise par les chefs d’État de la zone… Les sanctions excluent des produits essentiels, dont ceux liés aux services de santé et à l’énergie. Elles créent néanmoins des difficultés pour les opérateurs économiques et pour les populations.

Le Mali figure parmi les plus grands importateurs au sein de l’Uemoa, soit près du tiers des importations intracommunautaires. Il est également un grand exportateur de bétail et de céréales. Nous souhaitons la conclusion rapide d’un accord entre le Mali et la Cedeao afin que les sanctions puissent être levées et que le pays retrouve un niveau d’activité compatible avec les attentes des opérateurs économiques et des populations.