Burkina Faso – Mariam Sankara : « Je doute de la demande de pardon de Blaise Compaoré »

Au lendemain de la demande de pardon formulée par l’ancien président pour les actes qu’il a commis pendant qu’il était au pouvoir, la veuve de Thomas Sankara réagit en exclusivité pour Jeune Afrique.

Mis à jour le 27 juillet 2022 à 15:38
 
 

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Mariam Sankara, le 11 octobre 2021. © Olympia de Maismont/AFP

 

 

C’est une lettre qui, depuis vingt-quatre heures, suscite beaucoup de commentaires à Ouagadougou. Dans ce courrier, Blaise Compaoré, condamné en avril dernier par contumace à perpétuité pour l’assassinat de Thomas Sankara, en 1987, demande « pardon » à la famille de ce dernier mais aussi à l’ensemble du peuple burkinabè pour « les souffrances » endurées pendant ses vingt-sept années au pouvoir.

Cette lettre est datée du 8 juillet 2022, alors que Blaise Compaoré était de retour à Ouagadougou – sans être inquiété par la justice – pour être reçu par le lieutenant colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, mais a été lue le mardi 26 juillet devant la presse par le porte-parole du gouvernement, Lionel Bilgo. Ally Coulibaly, conseiller spécial d’Alassane Ouattara, et Djamila Compaoré, la fille de l’ancien président, étaient présents à ses côtés après avoir spécialement fait le voyage d’Abidjan pour « porter » cette lettre aux autorités burkinabè.

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Installée à Montpellier, dans le sud de la France, où elle vit depuis la disparition tragique de son mari, c’est par la presse que Mariam Sankara a découvert l’existence de cette lettre et la demande de pardon de Blaise Compaoré. Interrogée au téléphone par Jeune Afrique, la veuve de l’ancien président y répond.

Jeune Afrique : Acceptez-vous le pardon demandé par Blaise Compaoré pour son rôle dans l’assassinat de votre mari, le 15 octobre 1987 ?

Mariam Sankara : C’est à ma grande surprise que j’ai appris, par la presse, que Blaise Compaoré a demandé pardon au peuple burkinabè et à la famille de son « ami et frère » Thomas Sankara. Sincèrement, je me demande si cette lettre vient de Blaise lui-même. Depuis 1987, il a eu l’occasion de demander pardon à maintes reprises. Mais il est resté impassible. Il aurait pu venir au procès reconnaître sa responsabilité et demander pardon mais il n’a rien fait. Lors de son dernier séjour à Ouagadougou, début juillet, il aurait pu s’adresser aux Burkinabè mais non, il n’a rien fait.

Vous doutez donc que ce soit Blaise Compaoré lui-même qui ait écrit cette lettre ?

Je doute de l’authenticité de cette lettre car, comme je vous l’ai dit, Blaise a eu l’occasion de demander pardon depuis longtemps. Il ne l’a pas fait. Il est venu récemment à Ouagadougou. Tout le monde l’a vu. Il aurait pu parler. Mais il n’a rien dit du tout.

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Au-delà du débat sur l’authenticité de cette lettre, acceptez-vous son pardon ?

Le pardon ne se décrète pas. Quand on a commis un acte et qu’il a été jugé, si on le reconnaît, on se rend à la justice. À ce moment, peut être que le pardon aurait pu être accepté par les victimes. En reconnaissant ses actes et en acceptant la justice, il aurait vraiment montré qu’il se repent. Mais demander pardon comme ça, alors qu’on ne sait même pas si c’est vraiment lui qui demande…

Voyez-vous un aveu de culpabilité de Blaise Compaoré dans cette demande ?

Encore une fois, je me demande si c’est bien lui qui a écrit cette lettre. Il avait l’occasion depuis longtemps de demander pardon. Et c’est aujourd’hui, où il ne semble pas être lui-même, qu’il fait cette demande ? Si on veut vraiment le pardon et la réconciliation, il y a des formes à respecter. Là, c’est une manière assez inédite.

Avez-vous été choquée du retour de Blaise Compaoré début juillet à Ouagadougou ?

Oui, j’ai été choquée de ce retour. Quelqu’un qui est condamné et qui passe comme ça par-dessus la justice, cela est choquant. Il est rentré sans que rien ne se passe, sans que personne ne soit averti. Cela a été une surprise de mauvais goût pour tout le monde. S’il doit revenir au Burkina Faso, il faut que la démarche se fasse auprès de la justice burkinabè. Quelque part, je pense qu’on instrumentalise la réconciliation et le pardon, qu’on tolère l’impunité. Or, tous les Burkinabè veulent la réconciliation et la paix dans le pays. Il ne faut pas que ces actes nous divisent. Il faut que l’on reste vigilant et uni, sans céder à la division.